Les élections du 6 mai dernier ont accouché d’un paysage politique totalement bouleversé.
Dans le détail, la composition du nouveau Parlement est la suivante :
- Nouvelle démocratie (droite) : 18,85%, 108 sièges. (Résultat 2009 : 33,47%) ;
- Syriza (gauche radicale) : 16,78%, 52 sièges. (2009 : 4,6%) ;
- Pasok (socialistes) : 13,18%, 41 sièges. (2009 : 43,92%) ;
- Grecs indépendants (droite populiste) : 10,6%, 33 sièges ;
- KKE (communistes) : 8,48%, 26 sièges. (2009 : 7,54%) ;
- Aube dorée (extrême-droite) : 6,97%, 21 sièges. (2009 : 0,29%) ;
- Dimar (centre-gauche) : 6,11%, 19 sièges.
L’abstention s’est élevée à 35%. Les écologistes, le parti d’extrême droite Laos, deux formations libérales de droite et un parti d’extrême gauche ne dépassent pas la barre des 3% nécessaires pour accéder au Parlement.
Les principaux faits marquants de ces élections peuvent se résumer ainsi :
- la domination écrasante des deux partis qui se succèdent au pouvoir depuis la chute de la dictature, en 1974, prend fin : ne réunissant que 32% des voix, contre 80% en moyenne lors des scrutins précédents, le Pasok et la Nouvelle démocratie ne disposent pas de la majorité absolue au Parlement et ne peuvent pas former un gouvernement seuls ;
- les partis associés à la politique d’austérité connaissent un véritable effondrement en réalisant des scores historiquement bas : -14,6% pour la Nouvelle démocratie, -30,75% pour le Pasok, le Laos ne parvenant même pas à entrer au Parlement ;
- la gauche radicale réalise une percée spectaculaire ;
- trois formations opposées aux mesures d’austérité entrent pour la première fois au Parlement, signe de la décomposition/recomposition des formations traditionnelles :
- les Grecs indépendants, formation dissidente de la Nouvelle démocratie créée en février 2012 ;
- l’organisation Aube dorée ;
- Dimar, créé en juin 2010 et issu du Syriza.
Au total, les forces soutenant les mesures d’austérité représentent 32% alors que les opposants réunissent 49% (ne sont totalisés que les formations représentées au parlement).
Si ces résultats ont provoqué l’étonnement et l’effroi de nombreux médias et commentateurs étrangers, ils n’ont pas surpris les électeurs et analystes grecs qui anticipaient la possibilité d’une dispersion des voix et l’impossibilité de créer un gouvernement. Les Grecs se sont dirigés vers cette situation en connaissance de cause et n’ont pas succombé au chantage exercé sur eux non seulement par les médias dominants en interne mais également par certains dirigeants européens. Ils ont transformé cette élection en un référendum sur les politiques qui leur sont infligées depuis 2010, obtenant ce qui leur avait été refusé en novembre 2011, lorsque les dirigeants européens avaient opposé une fin de non recevoir à la tentative du premier ministre grec en ce sens.
Cependant, si les partis soutenant les mesures d’austérité sont minoritaires, la camp des opposants est éclaté entre la gauche radicale, la gauche modérée, les communistes, les populistes de droite et les néonazis qui n’ont comme point commun que la dénonciation des mesures imposées depuis 2010 en contrepartie des plans « d’aide » à la Grèce.
Les négociations qui se sont déroulées tout au long de la semaine dernière n’ont pas produit de résultats. Conformément à la Constitution, les chefs des trois formations arrivées en tête ont été successivement chargés de mener des négociations en vue de former un gouvernement de coalition. Ces tentatives ont échoué, de même que les premières discussions menées sous l’égide du Président de la République, dimanche 13 mai.
Les positions des partis au cours de ces tractations ont évolué au cours de la semaine dernière :
- La Nouvelle démocratie, a affiché pendant toute la campagne électorale, en dépit de l’avis contraire de tous les analystes politiques, la certitude de disposer d’une majorité absolue au Parlement et a violemment attaqué son partenaire au sein du gouvernement, le Pasok. Après avoir critiqué le premier plan d’austérité puis soutenu et appliqué le second, la ND a affirmé être prête à renégocier les plans de rigueur et a fixé comme unique limite le maintien de la Grèce dans la zone euro.
- Syriza a tenté de former un gouvernement de gauche, en s’adressant à nouveau, comme lors de la campagne électorale au KKE et à Dimar, sur la base d’un programme basé sur la dénonciation des plans d’austérité tout en préservant la place de la Grèce au sein de l’euro. Sans surprise, le KKE a refusé immédiatement alors que Dimar a émis un accord de principe avant de s’attaquer à Syriza jugé comme trop radical. Syriza s’est également adressé à la ND et au Pasok en exigeant de leur part de dénoncer les plans d’austérité comme préalable à toute formation d’un gouvernement de coalition, ce qui a été refusé.
- Le Pasok, après avoir également attaqué avec vigueur son allié ND, a rapidement annoncé qu’il soutiendrait tout gouvernement garantissant le maintien de la Grèce dans la zone euro. Au vu de son résultat catastrophique, le ramenant à son plus bas niveau depuis sa première apparition en 1974, le Pasok a osé se poser en force responsable, affirmant qu’il était favorable à une renégociation des mesures d’austérité.
- Les Grecs indépendants ont mené une campagne virulente basée sur la dénonciation des mesures d’austérité, le rejet des immigrés et ont adopté une rhétorique nationaliste sur les questions de politique étrangère. Ayant laissé entendre pendant la campagne qu’ils pourraient soutenir Syriza, les GI ont fustigé par la suite des positions qu’ils considèrent comme trop laxistes sur le contrôle de l’immigration et les principales questions nationales. Après avoir également rejeté de manière ferme toute proposition provenant de la ND et du Pasok, les GI ont laissé entendre le 13 mai qu’ils pourraient trouver un terrain d’entente avec eux afin de ne pas laisser le pays sans gouvernement tout en maintenant la dénonciation des plans de rigueur. L’adjectif « indépendant » ne doit pas faire oublier que leur leader a été député de la Nouvelle démocratie depuis 1993 et ministre en 2007 et que nombre de ses députés proviennent du même parti, exclus pour avoir voté contre les mesures d’austérité en février 2012, après avoir cautionné la politique de la ND pendant des années.
- Le KKE a suivi une ligne claire du début à la fin des élections : seule la sortie de l’euro et de l’UE peuvent permettre à la Grèce de sortir de la crise. Il a refusé toute proposition de coalition et a renvoyé dos à dos Syriza, qualifié de fossoyeur des espoirs du peuple, et les autres partis condamnés pour leur hypocrisie.
- L’Aube dorée, après avoir mené une campagne de rejet des plans d’austérité, des immigrés, des juifs, des homosexuels et des traîtres (tous ceux qui ne partagent pas leur idéologie) a été mise à l’écart par les autres partis et a multiplié les provocations.
- Dimar, tout en réalisant un moins bon score que ce qui était prévu, apparaît comme un parti charnière. Il affirme la nécessité de s’extirper des plans de rigueur tout en se maintenant au sein de l’euro. Après avoir soutenu qu’il ne gouvernera jamais avec la ND, il se montre favorable à une coalition large l’associant à la ND, à Syriza et au Pasok. Ayant des positions relativement proches de Syriza au début des négociations, il termine la semaine en dénonçant l’électoralisme supposé de Syriza et son comportement honteux du fait du refus de ce dernier de participer à un gouvernement comprenant la ND et le Pasok.
Le ballet des négociations a été caractérisé par une bonne dose d’hypocrisie des partis de gouvernement ayant contribué à la mise en place des mesures d’austérité et affirmant aujourd’hui leur volonté de les remettre en cause. Par ailleurs, Syriza a été mis sous pression afin d’intégrer un gouvernement de coalition ND, Pasok, Syriza, Dimar afin de lui faire partager le fardeau de la poursuite des plans de rigueur.
L’objectif de cette tactique est double :
- la Nouvelle démocratie, le Pasok et Dimar, réalisant le scenario le plus probable avant les élections, tentent de justifier la mise en place d'un gouvernement qui prolongera l'application des plans d'austérité sous couvert de leur renégociation hypothétique ;
- en cas d’échec, leur manœuvre vise à rejeter la responsabilité de nouvelles élections sur Syriza, alors même que la gauche radicale apparaît, selon les derniers sondages, en mesure de devenir la première formation politique du pays dans l’hypothèse d’un scrutin en juin.
Cette pression, amplifiée par les critiques de la plupart des médias, n’a pas fait plier Syriza qui a annoncé le 13 mai au soir sa décision de ne plus participer aux négociations. En revanche, son discours s’est parfois infléchi, tergiversant entre abrogation et renégociation des plans d’austérité imposés par l’Union européenne et le FMI ou encore entre effacement ou interruption du paiement de la dette.
Au stade actuel, tout dépend du fait de savoir si Dimar a décidé de se couper définitivement de la gauche. Si tel était le cas, les éléments les plus conservateurs de Dimar l'auraient emporté, gagnant ainsi la bataille interne à ce parti entre ceux qui tendent vers le Pasok et ceux qui tendent vers la gauche.
Dimanche soir, la mise en place d’un gouvernement qui poursuivra d’une manière ou d’une autre les mesures de rigueur et devra trouver 11 Milliards d’euros « d’économies » supplémentaires d’ici la fin juin, n’est pas écartée. Les prochains jours permettront de constater si de nouvelles élections auront lieu au mois de juin ou si la volonté de la majorité des électeurs grecs sera à nouveau bafouée.