Le 21 février, cela fera 500 jours que le physicien et ancien employé de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) Adlène Hicheur se trouve en détention provisoire à la maison d'arrêt de Fresnes, pour avoir échangé sur des forums internet présentés au public comme étant des sites islamistes. En Octobre et novembre 2009, les journaux Français, relayant les informations données par le ministère de l'intérieur, en faisaient leurs gros titres et titraient sur « Le Physicien d'Al Quaida Maghreb Islamique » (JDD, 1/10/2009), « L'Islamiste du CERN » (Le Figaro, 24/11/2009) , allant même jusqu'à l'accuser de préparer un attentat contre la caserne du 27ieme BCA à Annecy (Le Monde relayant des propos de Mr F.Péchenard, 17/11/2009). Aujourd'hui, à de rares exceptions près, la presse se tait. Pas une seule ligne pour s'étonner que, faute de preuves permettant d'appuyer les soupçons, l'enquête s'est enlisée, et que Mr Hicheur croupit depuis près de 500 jours entre les murs de la maison d'arrêt de Fresnes, établissement pénitentiaire de sinistre réputation, sans même savoir quand la date de son procès, s'il y en a un, sera arrêtée. Seule certitude, sa détention provisoire ne peut dépasser 24 mois et une décision devra donc être prise par la justice avant cette échéance, mais 24 mois de détention pour de simples surfs sur internet, c'est long et amplement suffisant pour compromettre l'avenir professionnel d'une personne!
Les réponses aux nombreux courriers envoyés par son comité de soutien aux hommes politiques de tous bords pour dénoncer cette situation sont très instructifs de l'état d'esprit ambiant : lorsqu'ils daignent répondre à nos courriers, ils bottent en touche, avec plus ou moins d'élégance, répondant en substance « Conformément au principe de séparation des pouvoirs et à l'exercice de mon mandat, vous comprendrez que je ne peux m'exprimer sur une affaire judiciaire ». Pourtant, au-delà du cas particulier de Mr Hicheur, il serait utile que nos parlementaires s'intéressent de plus près à cette justice d'exception que représentent les magistrats « intouchables » du pole anti-terroriste de la galerie St Eloi. Dans un rapport datant de 2008, l'organisation internationale Human Rights Watch a souligné l'arbitraire de notre législation anti-terroriste, dont les critères sont peu exigeants en matière de preuve lorsqu'il s'agit de décider de l'arrestation de suspects ou de l'ouverture d'une instruction par un juge. Sur la base d'indices minimes, voire inexistants, elle permet le maintien en détention provisoire des suspects pendant des mois, voire dans certains cas pendant des années, tandis que les liens étroits entre les juges d'instruction spécialisés et les services de renseignement dans les affaires de terrorisme mettent sérieusement à mal le droit des accusés à un procès équitable. On ne peut que craindre que les affres subies depuis des mois par Mr Hicheur ne soient qu'une nouvelle illustration des comportements dénoncés par Human Rights Watch.
Suite à un courrier envoyé par le comité de soutien à la présidence de la république et au ministère de la justice, ce dernier a bien voulu répondre à nos interrogations dans un courrier que l'on peut lire ici. Plusieurs interprétations peuvent en être données:
a) Il s'agit d'une leçon d'instruction civique nous démontrant que nous sommes dans un état de droit, que tout est fait dans les règles et que nous avons donc tort de nous inquiéter : Mr Hicheur a la possibilité de faire tous les recours nécessaires, de demander toutes les annulations de procédures ou de pièces qu'il souhaite, et toutes ses requêtes seront entendues par la justice après des débats contradictoires équitables (bref, la justice est parfaite et la législation anti-terroriste, malgré ses spécificité, n'échappe pas aux règles qui régissent le reste de la justice)
b) Il s'agit d'une suggestion de pistes à suivre pour faire valoir son innocence (?!)
c) Un internaute Islandais, tenant le blog ECHR news, spécialisé dans l'actualité de la cour européenne de justice, nous propose une toute autre interprétation, qui au vu des décisions récentes parait plausible : La lettre du chef de cabinet du ministère de la justice serait particulièrement intéressante car il omettrait de préciser que l'affaire H a de forte chances d'être une affaire dite "signalée", auquel cas toute les réquisitions prises sur la remise en liberté de Mr H. par le procureur général de la cour d'appel de Paris devant la chambre de l'instruction de la cour de l'appel de Paris le seraient sur instruction directe ou tout au moins consultation du ministère de la justice (cf. article du journaliste du monde http://libertes.blog.lemonde.fr/2010/11/30/comment-le-pouvoir-intervient-dans-les-affaires-judiciaires/)." Nous serions alors loin de l'univers judiciaire idéal présenté dans sa lettre...
Quelques éléments récents du feuilleton judiciaire en cours peuvent laisser craindre que cette dernière interprétation ne soit la bonne :
- Le 27 janvier 2011, le mandat de dépôt a été renouvelé pour 4 mois par le Juge Des Libertés (JLD) après une mascarade de débat. Un appel a été déposé auprès de la chambre d'instruction.
- Le 4 février 2011,la chambre d'instruction a débattu d'un appel concernant une précédente demande de mise en liberté (la 11ieme ou la 12ieme depuis le début de l'affaire). Elle a signifié son refus le mardi 8 février
- Le 11 février 2011, la chambre d'instruction a débattu de l'appel à la décision du 27 janvier. Une décision à nouveau négative a été rendue le 15 février.
Dans ces deux derniers cas un recours a été déposé en cassation. Si ces recours devaient s'avérer à nouveau négatifs la porte serait alors ouverte pour un recours auprès de la cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
On rappellera ici que quatre critères peuvent justifier la détention d'une personne avant jugement lorsqu'il subsiste des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une infraction. Il s'agit:
- du risque de fuite
- du risque d'entrave à la bonne marche de la justice (collusion avec des complices)
- de la nécessité de prévenir la criminalité
- du besoin de préserver l'ordre public
Je doute fort que Mr H, qui est le seul membre de sa supposée association de malfaiteurs, réponde à l'un quelconque de ces critères, d'autant que l'enquête semble se résumer à une analyse de bribes de conversations sur des forums internets afin d'essayer de démontrer une supposée culpabilité. Lorsque l'on sait que certains trafiquants de stupéfiants peuvent être remis en liberté pour bonne conduite après quelque mois d'incarcération, on ne peut qu'être scandalisé que des éléments aussi minces autorisent la détention provisoire d'un homme depuis plus de 16 mois.
Une autre hypothèse plausible est que cette affaire ayant été pilotée depuis le ministère de l'intérieur, personne parmi les magistrats n'ose prendre, malgré l'absence d'éléments concrets au dossier (qui dans le cas contraire serait « ficelé » depuis longtemps), une décision qui risquerait de déplaire en haut lieu... On passe donc la patate chaude à l'étage supérieur, ici la cassation.... Un tel acharnement de l'appareil d'état et/ou de la justice sur un citoyen isolé reste en tout cas totalement incompréhensible...