A la suite d'un nouveau débat avec Jacques Treiner dans ce fil de commentaires, il me semble utile de "publier" ici une analyse à ce sujet que j'avais faite il y a quelques semaines dans le blog d'Oliver Danielo, objectifterre.
Olivier Danielo avait "à l'époque" annoncé dans son blog, en s'appuyant pour cela sur les études à ce sujet d'Andresen et al., que "dans une Europe alimentée uniquement par des énergies renouvelables, disposant d'un réseau électrique de qualité, les besoins en stockage d'énergie pour les moments où la production directe est insuffisante par rapport aux besoins n'avaient pas besoin d'être élevés: il suffirait de pouvoir stocker, à l'échelle européenne, 6 heures de production seulement pour "faire la soudure" dans tous les cas de figure". Cette étude a été faite à partir d'une simulation prenant en compte la réalité météorologique européenne (qui conditionne bien évidemment les productions éolienne et photovoltaïque), de manière fine, sur une durée suffisamment longue de 8 ans.
Face à cette affirmation, Jacques Treiner avait "fait l'ingénu", en posant "naïvement" la question suivante:
« Mais, si vous n'avez qu'une réserve d'énergie que pour 6 heures seulement, comment ferez-vous si le vent s’arrête, en hiver et par temps couvert, pendant plusieurs jours ? ».
Jacques Treiner feint de voir dans cette situation un problème insoluble, discréditant les scénarii "100% renouvelables pour l'Europe entière".
En l'occurrence, il n'est absolument pas perturbé par le fait que le gouvernement danois ait adopté cet objectif (sans doute les danois ont-il oublié qu'en hiver, parfois, il n'y a pas de vent?) ni par l'existence d'une étude commandée par la communauté européenne qui dit, elle aussi, la faisabilité d'un tel projet, ni, enfin, par l'existence d'un projet similaire aux Etats-Unis (80% de renouvelables en 2050)... Non! Jacques Treiner n'écoute que son bon sens "paysan" (avec tout le respect que j'ai pour ceux qui font fructifier la Terre!) , "s'il n'y a pas de vent, il n'y a pas d'énergie éolienne, alors, on serait le bec dans l'eau"... Voila!
En fait, Jacques Treiner n'a "juste" pas compris, plus exactement il refuse d'admettre que la solution à ce problème se trouve (en partie, l'autre étant dans l'utilisation intelligente de plusieurs types d'énergie (éolien mais aussi hydraulique, biomasse...) et dans celle de moyens de stockage, notamment les STEP) dans ce qu'on appelle "l'effet de foisonnement", qui sera donc l'objet de ce billet. Cours particulier pour monsieur Treiner! ... et pour ceux que le sujet intéresse!
Pour bien comprendre cet effet, il me semble utile de revenir sur un document publié par l’association pro-nucléaire "Sauvons le Climat" de monsieur Treiner (merci à eux ! :- ) ) et reprise, par exemple, par Jean-Marc Jancovici sur son site manicore, sur cette page .
Voici ce document :
Je reproduis le commentaire de ce graphe fait par JM Jancovici :
Puissance injectée heure par heure sur le réseau par l'ensemble des éoliennes d'Europe, à quelques exceptions près, entre le 1er septembre 2010 et le 28 mars 2011. L'effet de "foisonnement" n'est clairement pas constaté à l'échelle du continent européen. La puissance installée est de 65000 MW, qui n'est jamais atteinte (le maximum se situe aux 2/3), et le minimum s'établit à un peu moins de 4% de la puissance installée (en septembre).
Source Hubert Flocard, Sauvons le Climat, novembre 2011
Le commentaire de JM Jancovici est très négatif : il insiste sur le fait que la puissance maximale (65 GW, la puissance de 65 réacteurs nucléaires… quand même ! ) n’est jamais atteinte (ce qui est une évidence et n’est nullement un problème). De fait, la puissance maximale atteinte est de 40 GW "seulement", la puissance moyenne est d’environ 15 GW … ce qui est pourtant tout à fait encourageant/ un bon début : cela veut quand même dire que l'industrie éolienne actuelle produit autant d'énergie que 15 réacteurs nucléaires... ce qui est, évidemment, loin d'être négligeable!
Jean-Marc Jancovici insiste sur le minimum à 4%… mais ne parle pas des durées des « trous dans la production» correspondant.
Or, ce graphe montre que ces "trous dans la production", le chiffon rouge brandis par les défenseurs de l'énergie nucléaire qui disent "mais enfin, un avenir 100% renouvelables, vous n'y pensez pas, ce n'est pas sérieux, c'est tout simplement IMPOSSIBLE!", sont , à l’échelle européenne, à la fois rares et courts: Le seul « trou » un peu important, sur une période de 7 mois, dure… environ 3 jours, du 1er au 4 Septembre 2010.
3 jours sans vent(*)... un problème insurmontable?
(*): Et encore: il faut relativiser cette affirmation, comme on le verra ci-dessous: une formulation plus juste serait "3 jours sans vent en Allemagne et en Espagne... un problème insurmontable"?
Contrairement à ce que monsieur Treiner feint de penser, la réponse à cette question est: NON, ce n'est pas un problème insurmontable... et ce, pour de très nombreuses raisons!
La première de ces raisons est qu'un avenir 100% renouvelables pour l'Europe ne sera pas un avenir 100% éolien! L'énergie éolienne sera, certes, une énergie majeure... mais il y aura aussi l'énergie photovoltaïque, l'énergie hydraulique, la biomasse... or, ces deux dernières énergies présentent des possibilités de "pilotage" de la production pour s'adapter à la demande tout à fait intéressantes.
Mais ce n'est pas tout! Il reste encore les capacités de stockage, et aussi: ce fameux effet de foisonnement.
Jean-Marc Jancovici, sur son site manicore, prétend que le graphe présenté ci-dessus ne montre pas d’effet foisonnement (L'effet de "foisonnement" n'est clairement pas constaté à l'échelle du continent européen)… or, c'est très exactement le contraire!, comme on va le voir ci-dessous.
Entrons un peu dans le détail, à l’aide de quelques zooms.
Zoom 1 sur le 4 Février : les différentes productions européennes.
Le 4 Février, il y a du vent sur l’Europe… du Nord ! On constate, de bas en haut, la présence :
- d’une forte production en Allemagne/Autriche (en bleu);
- d’une production française (en rouge)… nettement plus modeste, mais qui est à son maximum ; cela provient tout simplement du fait que la puissance installée en France est beaucoup plus faible que celle installée en Allemagne… ce qui changera dans les années à venir, espérons-le !
- d’une production espagnole (en vert) à peu près équivalente à la française… mais qui est très loin de son maximum, que l’on peut voir le 20 Janvier. A vue d’œil, la production le 4 Février n’est qu’un tiers de la production maximale : le vent n’est pas très fort en Espagne… pendant qu’il est fort en Allemagne !
- on voit ensuite la production danoise (en violet) , puis on devine une petite production irlandaise en bleu ciel et enfin une production anglaise (enfin, United Kingdom ) en orange assez modeste… ce qui va sans doute beaucoup changer dans les années à venir, aussi : les anglais ont en effet des projets d’éolien offshore immenses, dont on peut voir une liste ici (un total de 30 GW, juste pour l ‘Angleterre !):
La puissance totale en action en Europe à ce moment est de 30 GW, 30 réacteurs nucléaires… pas mal du tout !
Donc, première constatation : comme on peut s’en douter, le vent ne souffle pas partout de la même façon: en l’occurrence, la faible production espagnole de ce moment est (plus que) compensée par une forte production dans le reste de l’Europe !
Zoom 2 : du 15 Janvier au 2 Février 2011.
Sur ce deuxième exemple, on voit le cas qui fait tant peur à Jacques Treiner : 15 Jours sans vent … (à quelque chose près, quand même), en Allemagne, entre le 17 Janvier et le 2 Février. Bon, il y a bien un toute petite « pointe » de vent le 25 Janvier, mais on va la négliger.
15 jours sans vent… est-ce la fin du monde ?
L’Allemagne doit-elle construire une puissance gaz équivalente à la puissance éolienne installée, pour prendre le relai en l’absence de vent ?
Le 1er Février, calme plat en Allemagne… la catastrophe ?
La réponse à toutes ces questions est : Non !
Car, on le constate : au milieu de ce « trou » allemand… il y a une très forte production en Espagne !, du 20 au 25 Janvier notamment. Il y a aussi une forte production (par rapport à la puissance installée) en France du 25 au 28 Janvier. Il y a de la production au Danemark et en Angleterre le 18 Janvier, en Angleterre et en Irlande le 30 janvier… le 1er Février, trou en Allemagne… mais production tout à fait satisfaisante en Espagne !
Au final, et c’est ça, l’effet de foisonnement, le « trou » majeur de 15 jours en Allemagne, donc à une échelle « locale » « finit », à l’échelle européenne, donc « à grande échelle » en… 4 trous… beaucoup plus partiels (la puissance immédiatement disponible ne chute pas en-dessous de 5 GW) et plus courts. Il ne « reste » du trou de 15 jours… que 4 petits trous : un très partiel (il reste 8 GW) le 18 janvier, un plus marqué le 19 (5 GW), un le 26-27 Janvier à 8 GW, un dernier partiel à 8 GW du 29 Janvier au premier Février.
Donc : Le foisonnement diminue la durée et la « vigueur » des trous… auxquels il devient alors possible de répondre, entre autres par des technologies de stockage à assez court terme.
« Bon, mais il reste des trous de 2 jours… 6 heures de stockage, ça n’est pas suffisant , alors ».
La réponse est : pour l’instant et si on ne considère que l'énergie éolienne, oui ... mais ça va changer/ ça va être de moins en moins vrai dans les années qui viennent!
En effet, le foisonnement que l'on peut constater pour l'instant n'est du qu'à ... DEUX source seulement, en l'occurrence l'Allemagne et l'Espagne... et deux sources seulement, c'est encore un peu court!
En effet, ces deux zones sont les seules à avoir pour l'instant un potentiel conséquent. Les autres zones (France, UK, Irlande, Danemark... et tous les autres pays d'Europe!) ont des potentiels et donc des productions trop faibles pour pouvoir « peser » vraiment sur le graphique. MAIS ça va changer dans les années à venir, au fur et à mesure du développement des énergies renouvelables, et donc ici de l'éolien, dans ces différentes zones.
Et de fait, avec un peu de perspicacité, on peut facilement voir dès à présent «ce qui se passera dans l’avenir »…sans s’appeler madame Irma ! Il suffit pour cela, tout simplement, d’amplifier les composantes fournies par les pays qui ont pour l’instant une puissance installée trop faible pour peser.
Et ainsi:
- si on triple ou quadruple la production française, cela va « tuer » dans l'exemple précédent le trou le plus marqué, celui du 19 Janvier ; car, ce jour-là, la France est en train de produire !
- si on augmente la production du Danemark et de l’Angleterre, on va « affaiblir encore » le premier trou, du 18 Janvier ;
- de même, une production danoise augmentée « écornerait » le trou du 29 au 1 le 29;
- une augmentation de la production anglaise ferait de même le premier Février;
résultat des courses ? du « trou » de trois jours du 29 Janvier au premier Fevrier, il ne resterait plus …qu’un trou à la fois moins prononcé et très court, le 30 Janvier !
Donc:
1) le "foisonnement" de la seule énergie éolienne existe;
2) il sera à l'avenir d'autant plus efficace que différentes "régions" européennes seront en mesure de contribuer de manière significative à la production commune.Et c'est évidemment ce vers quoi on se dirige: La France va (enfin!) démarrer des projets éoliens offshore d'envergure, l'Angleterre également, le Danemark, qui a adopté un objectif de 100% d'énergies renouvelables toutes énergies comprises (électricité, chauffage, industrie, transports) en 2050 va encore renforcer ses parcs, etc, etc.
CONCLUSION :
Ce graphe, fort intéressant démontre donc, au contraire de ce qu’écrit JM Jancovici, l’effet de foisonnement du cumul des productions de différentes « régions » : sur la courbe de puissance totale, on voit que les « trous » sont beaucoup plus … nombreux… mais surtout beaucoup plus courts ! que sur la courbe d’un seul pays, l’Allemagne , par exemple.
Et ce n’est pas tout… car cette courbe ne prend en jeu qu’une seule des ENR –V : l’éolien ! Or, dans quelques années, il faudra ajouter à cette courbe celle du photovoltaïque, dont la production va devenir très significative, au fur et à mesure de la baisse du prix de cette énergie. Or, le photovoltaïque, ça produit… tous les jours ! Donc, les « trous » qui restent vont être « hachés » par des productions importantes… quotidiennes !
Quant au cas de figure "catastrophe" qu'envisage monsieur Treiner (plusieurs jours sans vent, avec de gros nuages noirs parfaitement immobiles dans le ciel...)... c'est tout simplement un cauchemar, mais jamais une réalité! Quand le ciel est couvert, on est en phase de dépression, et il y a alors du vent; et quand on n'a pas de vent, alors on a un anticyclone...et un ciel dégagé, favorable à la production photovoltaïque!
J'ai eu l'occasion de vivre début Juin cette excellente complémentarité entre l'énergie éolienne et l'energie solaire en passant un week-end en Suisse près de la centrale photovoltaïque du Mont Soleil, auprès de laquelle sont implantées de grandes éoliennes qui (de mon point de vue) ne font qu'embellir le site, d'une grande beauté . Le samedi, grand beau temps: les éoliennes tournaient au ralenti, voire pas du tout... mais le photovoltaïque "donnait" à plein! Le dimanche, changement de décor: pluie, brouillard... et vent sur les crètes! production sans doute ridicule sur les panneaux... mais les éoliennes brassaient, brassaient, majestueusement dans le brouillard... elles, elles "donnaient", dans le vent! Et j'ai eu beau prêter l'oreille, je n'ai entendu aucun bruit...
Et au final… oui!, monsieur Treiner : des STEP de forte puissance mais de faible capacité, 6 heures seulement, suffiront à faire le « balancing », le complément, le lissage des trous, courts, qui resteront.
Pour être complet, rappelons, qu’il faudra, évidemment, pour que la production espagnole soit « transférée » en Allemagne et réciproquement, qu’il existe à l’échelle européenne… et si possible même au-delà, donc, « du Maroc au Kazahstan » (deux pays qui présentent de grandes capacités d'éolien terrestre, donc bon marché), un réseau permettant le transfert de grandes puissances d'un point à l'autre de ce très grand ensemble. Un tel réseau existe déjà partiellement, mais il faudra sans doute « l’étoffer » encore. Est-ce impossible ? Bien sûr que non ! Gregor Czisch propose, par exemple, de construire des lignes de courant continu de 800 000 V (actuellement, le réseau THT est du 400 000 V alternatif), permettant de transférer avec peu de pertes (3% de pertes sur 1000 kilomètres, 10% de pertes sur 3000 kilomètres... de quoi traverser l'Europe d'un bout à l'autre!), sur de grandes distances, une puissance de… 13 GW par ligne, la puissance de 13 réacteurs nucléaires « dans un seul fil » ! Avec un tel réseau, on peut donc transférer une très grande puissance, de quoi répondre aux besoins d’un pays entier. Le jour, l’énergie transférée est immédiatement consommée, car il y a des besoins ; et la nuit… on transfère aussi : on remplit alors les STEP du pays momentanément « sans vent »… lesdites STEP étant « revidées » le lendemain, pour répondre aux besoins diurnes... par exemple. Et ainsi de suite...
Avoir l’esprit gagnant (winner), ne pas se laisser démoraliser (« esprit looser », selon Olivier Danielo ;-) ) par d’apparentes difficultés… qui sont, en réalité, parfaitement solubles ! Est-ce impossible ?
Il paraît que les français… vont bien… et qu’ils sont pourtant le peuple le plus démoralisé de la planète !
Monsieur Treiner… pourriez-vous ne pas contribuer à cette dépression chronique, objectivement peu justifiée, avec vos propos anti-ENR démobilisants ? Bien sûr, si vous le faisiez, ça affaiblirait le soutien à l’industrie nucléaire… mais ça serait bon pour le pays… non ?
Bien cordialement,
JPM2