Le théâtre de Saint Quentin-en-Yvelines, Scène Nationale (www.theatresqy.org) ouvre son Université Populaire avec Alain Badiou: le thème
QU'EST-CE QUI FAIT ÉCLAIRCIE DANS NOTRE SOMBRE TEMPS ? par ALAIN BADIOU
LE 16 NOVEMBRE 18H00 (entrée libre)
«Notre monde est sombre parce qu’il ne nous propose aucune orientation, aucun sens acceptable, pour une vie humaine digne de ce nom. Le sujet « libre » qu’on nous vante n’est en réalité libre que de parvenir à avoir les moyens de se procurer ce qu’il désire – ou ce qu’on désire qu’il désire – sur le Marché planétaire.
Toute éclaircie revient à définir ce qu’est un vrai Sujet. Quel que soit le domaine où il peut se manifester dans sa dimension créatrice – art, science, politique, amour --, un Sujet ne peut faire éclaircie dans la contrainte du monde qu’en tenant fermement un point, un désir, une conviction, dont les conséquences ne peuvent s’engloutir dans une vision commerciale de l’existence. Autrement dit, il faut avoir une passion d’exister et de penser qui soit de part en part gratuite.
Autant dire que toute lumière provient d’une sorte de fidélité obstinée à ce qui ne représente pas pour le Sujet un intérêt, mais le bonheur inventé qui consiste à découvrir en soi-même qu’on est capable de ce dont on ne se savait pas capable.
De ce point de vue, il faut opposer l’individu, toujours soumis – et il doit l’être – au principe intéressé de sa survie et d’une sorte de contentement animal, au Sujet, qui se délivre de la tyrannie des intérêts pour entrer dans la clarté de la seule action libre qui vaille : celle qui est au service désintéressé d’une valeur potentiellement universelle.
Ainsi le Sujet, que tout individu est capable de devenir, est aussi ce par quoi l’individu, qu’on peut appeler l’animal humain, surmonte son narcissisme biologique, pour participer à cette rencontre avec d’autres qui ne s’opère que dans la lumière d’une Idée. Appelons « Idée » ce au nom de quoi peuvent se rencontrer, agir et penser ensemble, d’innombrables individus, parce que ce dont il s’agit, et qui leur est commun, est universel.
L’Idée du commun, de l’action commune, de la fin du despotisme du « privé », a reçu dans les deux siècles précédents le nom de « communisme ». Comme pour tous les noms importants – qu’on pense au christianisme, qui massacrait les hérétiques, ou à l’idée moderne de « civilisation », qui génocidait les « sauvages » – il y a eu autour du mot « communisme » d’immenses et vaines violences. Nous garderons pourtant ce nom précieusement, car il n’y en a pas d’autre qui puisse aussi précisément désigner l’éclaircie possible d’un monde voué à la pure brutalité des concurrences intéressées et au culte de la propriété privée.
Nous pouvons donc dire qu’à condition d’en réinventer la portée générale, ce qui fait éclaircie dans notre monde est tout ce qui, dans tous les ordres de la pensée et de l’action, peut être rapporté à l’Idée communiste. »