Le contribuable français a commencé à débourser 150 millions d'euros pour l'achat de drones made in USA « Reaper » piloté et administré par des réseaux et satellites américains. Des militaires français ont débuté leur formation aux USA afin de se familiariser avec le système de combat inhabité le plus abouti de nos jours. En pleine affaire Snowden, nul besoin de logiciels sophistiqués pour permettre à la NSA de garder un œil permanent sur les opérations militaires françaises, signant, de fait, la fin du secret défense spécial France aux regards de notre bien curieux allié américain.
Dans l'affaire Snowden, les autorités françaises ont prétendu qu'il n'était pas possible de se défendre contre de telles attaques et ce malgré tous les moyens qui sont consentis au budget de la défense. Dans l'affaire Reaper, nulle possibilité pour le gouvernement français de trouver des circonstances atténuantes. Le système est piloté et administré par des réseaux et satellites américains. L’ensemble des données transitent sur le sol américain avant même d'arriver aux yeux et aux oreilles de nos « équipages » sur chaises de bureau et décideurs militaires.
Autant dire que d'ici quelques semaines, lorsque le « french Reaper » tournera au dessus du Mali, le détail de nos opérations, et les plus « secrètes » d'entre elles, comme celles concernant nos forces spéciales, risquent de ne plus présenter aucun mystère à notre allié américain. Mais finalement peut être n'a-t-on plus rien à cacher ?!
Le plus étonnant dans cette affaire de perte de souveraineté nationale est le silence radio qui entoure l'opération. Que ce soit des médias, de nos politiques et même de nos militaires, il est plus que difficile de trouver une pensée, une réaction, une critique ou même une ébauche de stratégie d'emploi (ou de non-emploi) de cette arme, à l'aune de la révélation Snowden !
L'achat d'un équipement militaire non réfléchi ?
Bien qu'en début d'année Grégoire Chamayou dans son excellent ouvrage sur la « Théorie du drone », finement ciselé et largement documenté, nous met en garde sur les limites stratégiques et philosophiques qui entourent l'emploi de vecteurs inhabités de combat, les réactions et les réponses peinent à émerger. A croire que soit les stratèges militaires sont à cours d’arguments, soit ils sont en pleine léthargie ou entrés en hibernation, anesthésiés par les coupes financières du dernier budget de la Défense.
Un petit bémol dans cette partition silencieuse est la dernière parution de la revue « Politique étrangère » (automne 2013) de l'Institut français des relations internationales (IFRI) mais dans une tentative de défendre l'emploi du drone avec largement moins de brio et des arguments que démonte l'ouvrage de Chamayou irrémédiablement. Par contre il faut noter dans ce même numéo de la revue de l'IFRI l'excellent article de Jean-Jacques Roche « Le silence des armes ou la paix importune », qui même si ne traitant pas directement des drones met à bas les poncifs qui nous sont servis à longueur de temps par les médias et les politiques selon lesquels nous vivrions dans un monde toujours plus instable et dangereux. Chiffres incontestables à l'appui, il démontre que le monde n'a jamais été aussi pacifique ! Si, si, vous avez bien lu !
Quelle stratégie d'emploi pour la Défense ?
Du côté politico-militaire, on est bien en plein désert du Sahel. Sorti du volume en équipement arrêté par le dernier livre blanc, ce ne sont pas les arguments ou les explications qui pleuvent...
Seul quelques déclarations d'intention de responsables de la Défense sont censées nous rassurer. D'après ces derniers, il ne serait pas question d'utiliser le Reaper armé de bombes ou de missiles! Mais rien n'est moins réversible que ce genre d'annonce. Il suffit de monter les munitions sous les ailes et le tour est joué, si d'ici là nos stratèges changent d'idée.
Une des conditions d'achat de ce vecteur était conditionnée à sa transformation en un vecteur uniquement contrôlé par nos moyens franco-français (évoqué sous le barbarisme d'une « francisation » du drone). Or un article de La Tribune du 15 octobre 2013 fait état des doutes du Délégué (comprenez PDG) de la Direction Générale de l'Armement (DGA) et met à mal cette condition qui se voulait sine qua none. Pourquoi les Américains accepteraient-ils que l'on modifie leur bijou puisque de toute façon c'est le seul drone de combat de ce type pleinement opérationnel sur le marché !
Quant aux écrits, qui eux seuls engagent, on ne peut que se référer au « PIA 3.3.12 – Emploi des drones en service » de mars 2012 du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations (CICDE), organe officiel en charge de rédiger toutes les stratégies d'emploi militaires. Or ce document est largement dépassé et son contenu périmé car bien que se voulant définir le « Cadre interarmées pour l'emploi des drones » en « se limitant aux systèmes de drone existants dans l’inventaire national », à l'époque de la rédaction de ce document il n'était nullement question du Reaper américain et ne répond donc en aucune mesure aux problématiques nouvelles soulevées dans la « Théorie du drone ».
On y trouve également ce qui semble être l'argument clé justifiant l'investissement dans le drone : « L’analyse des engagements récents montre que les vecteurs aériens inhabités participent de manière significative et croissante aux missions de renseignement et d’appui au profit des forces. Constatant leur efficience, notamment le rapport "effets obtenus / risques encourus", un nombre grandissant de nations investit dans le développement et l’acquisition de systèmes de drones. »
En clair, puisqu'un nombre « grandissant de nations » s'y intéressent, il ne saurait être possible que la France s'en passe quel qu’en soit le prix ! L’argumentaire peut sembler léger mais il fait loi. Et la Défense ne paraît pas pressée de mettre à jour sa doctrine quand bien même l'arrivée du Reaper est imminente !
En tout cas, dans quelques semaines, quand le « french Reaper » tournera dans les cieux africains, et que l'œil de la NSA scrutera les faits et gestes de nos militaires, on ne pourra par arguer qu'on ne savait pas...
http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7827&id_provenance=123