On ne vit pas dans une quelconque forêt enchantée et même si c’était le cas, il y a des choses qui ne se font pas. Afficher sa richesse. Son malheur. Ses faiblesses. Et donc également montrer des signes extérieurs de joie.
Et donc il écrivait des phrases complexes pour décrire des sujets qui l’étaient tout autant : politique intérieure ou mondiale, sociologie de comptoir, poésie pompeuse, science-fiction paranoïaque, écrits révolutionnaires en chewing-gum pour contenter son égo et les quatre lecteurs qui le suivaient sur les réseaux sociaux.
Le bonheur n’est pas vendeur même dans le cas de publications gratuites.
Être assis, le dimanche dans une cuisine en bordel. Mélanges d’acrylique sur la table. Envie d’une tartine au choco, la tranche de pain recouverte directement sur la main car les assiettes ont servis à mélanger les couleurs. Un demi pomelo en tranches, fruit au goût encore inconnu jusqu’alors. Un peu sûret mais rafraichissant. Ecrire. Regarder peindre. Fixer une bougie rouge alumée. Ecrire. Ecouter la respiration du chien dans son panier.
Ne pas encore penser à demain et au taf. C’est vrai que demain c’est loin. Surtout quand on n’a aucun souci. Des fringues à laver son encore empilées quelque part dans un coin de la chambre. C’est pas grave. Ouvrir un livre. Lire trois lignes. Le refermer. Le poser sur la table encombrée. Il est là, c’est pas grave si on ne le lit pas. On a lu trois lignes donc on a lu. Regarder le tableau en train d’être peint. Il y a quelques minutes, la toile était vide. A présent elle est remplie de couleurs. Le chauffage a fait son oeuvre, la pièce est agréable. Remplie d’un bordel des plus joyeux. Le seul plan de la journée était de passer un coup de rasoir. Ca n’a pas été fait et ça ne le sera pas. « Inutile » on lui a dit. Le feu du rasoir sur la peau lisse à nouveau, ce sera pour demain. Un des demains.
Ca n’aurait aucun sens d’écrire sur le bonheur. Qui voudrait lire le simple plaisir de passer à côté d’une personne dans une pièce encombrée en plaçant sa main au creux du dos de celle-ci pour faciliter le déplacement. Indiquer sans rien dire qu’on est là. Qu’on prend soin. Et si elle se retourne, simplement lui sourire. Sans rien dire.
Puis sortir. Aller dans le fond du jardin. Dans le froid de l’hiver. Marcher en regardant le ciel. Ne pas oublier de regarder les étoiles. C’est du gaz une étoile ? Il faudra vérifier. Ou pas. Ecouter le vent. Poursuivre l’oie qui ne veut pas rentrer dans son abri en lui parlant. Caresser son plumage. Vérifier qu’elle ne boite pas. Qu’il lui reste de l’eau. Lui souhaiter bonne nuit et vaguement espérer qu’elle réponde. Ou apprécier qu’elle ne dise rien en fait. Puis faire le chemin inverse et rentrer. Enlever ses chaussures.
Hors de question d’écrire des choses comme ça. De toute façon, il est trop tard pour écrire. La bougie termine bientôt de se consumer. Les couleurs sont toujours sur la table. Les écrits inutilement intellos attendront demain. Ou un autre jour. Mais le bonheur ne s’écrit pas. A moins que...