Elle avait vu le jour tandis que sa mère était en cure à la clinique de répression des émotions. Elle était morte en lui donnant naissance. Thèse officielle. La BRE l’avait coffrée sur dénonciation : un voisin l’avait vue offrir une cigarette à un clochard céleste. Ils étaient venus à 10, sans doute avaient-ils espéré choper le père de Nero par la même occasion. Mais ça faisait longtemps qu’il s’était planqué bien loin du territoire de la Cité, aidé par le fait qu’il avait mis ses implants hors-service. Si bien que le Gouvernement ignorait son identité et son visage. Néanmoins, il devait éviter les portiques de contrôle de loyauté placés en moyenne tous les 200 mètres.
Pour une raison qu’elle ignorait, Nero ressentait toute la palette d’émotion que l’être humain possédait au début du XXIe siècle. Encore plus fort, les portiques ne détectaient rien. Si elle se tenait à carreau, ses émotions étaient insoupçonnables.
D’une beauté et d’une intelligence hors du commun, Nero avait très tôt pris conscience de la portée de ce miracle et avait suivi sans encombre l’Enseignement Officiel jusqu’à décrocher une accréditation comme agent de renseignement au service de Maintien de l’Ordre. Officiellement, elle devait récolter de l’information sur les groupes d’opposants émotionnels. Officieusement, elle était bien sûr liées à certains d’entre-eux et leur fournissait de précieuses données aidant leurs actions de sabotages.
La seule difficulté qu’éprouvait Nero résidait dans ses yeux. Lorsqu’elle était témoin d’une injustice, un voile de colère les obscurcissait ostensiblement. Elle était passée plusieurs fois à côté de la catastrophe. Car, contrairemement aux civils, les agents de Maintien de l’Ordre n’étaient pas emmenés en cure de désintox émotionnelle : s’ils étaient soupçonnés de trahison, ils étaient simplement exécutés sans autre forme de procès. Une façon pratique de réguler la surpopulation causée par les progrès de la science ainsi que le taux de chômage, permettant ainsi un quasi plein emploi, concept important pour la popularité du Chef de la Cité, toujours en quête de réélection.
Grâce à ses contacts dans l’Opposition Emotionelle, Nero s’était procurée une arme de poing à propulsion dont elle avait pu effacer la puce de la localisation. Hacktiviste par le sang. Une fois la nuit tombée et sa journée de travail achevée, Nero réalisait ce qu’elle pensait être la vraie raison de son existence : tuer les agents de la BRE.
Mais à chaque fois qu’elle en butait un, le voile sur ses yeux s’épaississait. Même si sa cause était juste, tuer un homme, même le pire des salauds, n’est jamais sans conséquence. Mais comme elle le répétait à ses camarades de lutte : un être humain sans émotion est déjà mort et un type de la BRE en moins, c’est une victoire de plus pour la liberté.