Les agents de la BRE l’avaient chopé en flag en train de se recueillir sur la dépouille d’un chat qu’il avait percuté sur la nationale 129 tandis qu’il s’allumait une clope.
S’en était suivi une garde à vue musclée – bottin téléphonique et commentaires nauséabonds sur sa mère, la taille de son sexe et son gros pif – durant laquelle, à bout, il avait confessé posséder de la compassion pour les enfants handicapés. Pour les clochards qui crevaient dehors par moins 20 degrés dans l’indifférence générale. Il avait même évoqué son envie de vomir quand il lui prenait de penser aux réfugiés de l’extraction de pétrole, refoulés à coup de flingues et auto-pompes acides aux portes de l’Europe.
En fait, Thomas n’avait jamais pris le traitement officiel rendu obligatoire par le Gouvernement au début des années 2000. Pour prévenir des dégâts bactériologiques causés par les attentats à caractères religieux. « Bullshit » s’était-il dit à l’époque. Et maintenant, il était dans la merde.
Avant son transfert au sein du centre, la BRE l’avait soumis au scanner d’anormalité. En voulant analyser les données, ils s’étaient rendu compte que l’implant individuel de Thomas, situé dans l’avant-bras droit, n’enregistrait aucune donnée. Il était soupçonné d’avoir réussi à le rendre inutilisable en le grillant au four à micro-ondes. Ce qui expliquait pourquoi le BRE n’avait pu être alertée du fait que Thomas n’avait jamais pris son traitement. Partant de là, la BRE avait autorité pour le faire interner. L’intitulé officiel des charges retenues contre lui le qualifiait de « terroriste émotionnel constituant une menace grave à l’ordre publique de la Cité ».
Les journées à la clinique de répression des émotions commençaient à 6h du matin : les patients étaient réveillés, dans leurs chambres individuelles – ils ne se croisaient jamais – avec le journal radiophonique de la chaîne officielle qui leur permettait, selon les spécialistes, de se connecter au monde et d’exercer leurs droits de citoyens.
Durant l’exposé des informations, les patients se rendaient dans l’espace cuisine de leur chambre pour se faire couler des pastilles de café recyclé dans des tasses blanches au design suédois. Le Gouvernenment y distillait une dose homéopathique d’anti-dépresseur. Selon le degré de dangerosité des patients, ils prenaient d’une à plusieurs doses de médicament officiel, pour combler leurs carences. Après une douche rapide et un brossage de dents minuté (une minute trente sur chaque face des mâchoires), les patients s’installaient dans la partie bureau de leur espace de rééducation pour leur première séance de travail thérapeutique du jour : classement, encodage, travail sur ordinateur.
A 10h30, ils étaient invités à s’extraire un échantillon de sang et placer le tube à essai dans le sas de communication. L’échantillon partait directement au laboratoire pour analyse. S’ensuivait le testing de cognition et de conformité : une série d’image défilaient sur l’écran de la chambre. Après 10 secondes, le sujet devait appuyer sur un bouton rouge ou un bouton vert en guise de commentaire sur la série qu’il venait de voir. Le test durait 30 minutes.
A 11h, l’édition d’informations imagées de la mi-journée était diffusée sur l’écran. A 11h15, les patients reprenaient leur tâche jusqu’à 13h. A loisir, ils pouvaient alors passer commande d’un sandwich, surfer sur les sites d’informations officielles ou écouter la musique autorisée par le Gouvernement, à savoir un mélange de pop et d’électro.
A 13h30, ils entamaient la troisième séance de travail thérapeutique. A 18h, ils passaient un électrocardiogramme et un scanner cérébral. A 19h, la journée s’achevaient et les patients devaient alors se cuisiner le repas du soir, ni trop salé, ni trop sucré. Ils étaient aidés dans cette tâche par un robot nutritionniste qui les sermonnait s’il leur venait à l’idée d’ajouter trop de matière grasse à la préparation. Toutes les 3 minutes, le robot ânonnait une publicité ventant les mérites des chaines de magasins fournisseurs des produits présents dans le réfrigérateur.
Enfin, après le repas, les patients regagnaient leur lit et s’endormaient devant l’écran qui, après leur avoir diffusé la dernière édition des informations du jour, leur laissait le choix entre des retransmissions sportives, des émissions culinaires ou des télé-crochets électro-pop, donc. Il avait été prouvé par le Docteur Schwartz et son équipe, qu’à haute dose d’exposition, ce panel d’émissions augmentait le niveau de conformité et diminuait au neuf dixième les risques de récidives.
La durée de l’internement dépendait du degré de libre pensée initiale, des résultats des tests journaliers et de la rapidité de la diffusion du médicament officiel dans le sang.
Le jour de la sortie, une blonde à la poitrine surdimensionnée remettait aux patients la biographie officielle du chef de la Cité, un bon de valoir pour une réduction de 10% sur l’achat d’un nouveau smartphone et un livre de cuisine équilibrée.
Dans le cas de Thomas, le traitement fut rapide : bien avant son entrée en clinique, il avait déjà développé une passion pour l’électro-pop et les télé-crochets. Après être rentré chez lui, il avait rédigé une longue lettre au chef de la Cité pour le remercier de l’aide que le Gouvernement lui avait apportée et lui dire à quel point sa biographie constituait dorénavant une source d’inspiration incroyable, notamment dans son travail de classement et d’encodage pour lequel, il avait accepté une baisse de salaire, pour que la Cité puisse investir la différence dans la répression des émotions et du terrorisme religieux.
Au final, la seule différence entre le chat percuté sur la nationale 129 et Thomas était que ce dernier pensait vivre sa vie alors qu’en réalité, il l’avait perdue dès son premier café recyclé.