Le 16 septembre dernier, la commission d’enquête indépendante du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a conclu, à son tour, que le gouvernement israélien commettait un génocide à Gaza. Fin juillet, deux importantes ONG israéliennes, B’Tselem et Physicians for Human Rights Israel étaient parvenues à la même conclusion. Lorsque l’armée israélienne a commencé la prise de la ville de Gaza, le même jour, le ministre de la défense, Israel Katz, a fièrement annoncé « Gaza est en feu ». Le quotidien Haaretz avait rapporté cet été que plus de 100 000 Palestiniens avaient déjà été tués, avec une part de 83 % de civils selon l’armée israélienne elle-même. La famine a été utilisée comme arme de guerre, selon l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, 80 % des victimes de la famine sont des enfants.
Saisi d’une hubris délétère, le gouvernement Netanyahou est animé par un mélange de racisme – son ministre de la défense Yoav Gallant avait annoncé dès le 9 octobre 2023 combattre des « animaux humains » – et de messianisme biblique en ravivant la figure d’Amalek. Résultat : selon le Haaretz, 82 % des Israéliens juifs sont favorables à l’expulsion de tous les habitants de la bande de Gaza. Près de 47 % d’entre eux ont même déclaré être d’accord pour tuer tous les habitants, y compris les femmes et les enfants. Une équipe de snipers, Ghost, a même été créée pour tuer des civils. Netanyahou a montré qu’il était d’ailleurs prêt à éliminer au Qatar les négociateurs d’une éventuelle trêve incluant la libération des otages.
Des personnalités juives s’expriment, sous forme de collectifs ou à titre individuel, contre le génocide à Gaza. Il faut les soutenir ! Le 11 septembre dernier, à Londres, devant les 5000 spectateurs du Royal Albert Hall, le chef d’orchestre israélien Ilan Volkov a estimé que ce qui se passait à Gaza était « atroce, à une échelle inimaginable », dénonçant également la retenue des otages israéliens dans des « conditions inhumaines » et les prisonniers politiques palestiniens qui croupissent en Israël. Récemment, 50 réalisateurs de documentaires israéliens ont appelé dans une lettre ouverte au boycott des institutions culturelles israéliennes, condamnant la guerre à Gaza. En avril, 350 écrivains israéliens avaient de leur côté réclamé la fin de la guerre, parmi eux David Grossman qui début août reconnaissait qu’il y avait un génocide à Gaza. Des historiens comme Omer Bartov, Raz Segal, Amos Goldberg et Daniel Blatman, spécialistes de la Shoah, ont confirmé l’accusation de génocide.
Or, en France comme dans de nombreux pays européens, nous ne sommes pas représentés par les institutions juives de nos pays. À l’occasion de la cérémonie d’hommage aux victimes du 7 Octobre, un an après les massacres, le président du CRIF avait déclaré : « “From the river to the sea” est le premier slogan à visée génocidaire prétendant libérer un peuple au nom d’un génocide imaginaire », sans même se rendre compte que c’est le Likoud de Benjamin Netanyahou qui dès 1977 avait écrit dans son manifeste « entre la mer et le Jourdain, seule la souveraineté israélienne prévaudra. » C’était dix ans avant que le Hamas soit créé.
Le CRIF devient une deuxième ambassade de l’État d’Israël. Il s’emporte contre l’idée du premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure, de hisser le drapeau palestinien sur les mairies qui le souhaitent, le jour de la reconnaissance de l’État palestinien. Pourtant, la justice française avait statué dans le cas de l’Ukraine : « Mettre un drapeau ukrainien sur la façade d’un bâtiment public n’est pas une revendication politique ; c’est un symbole de solidarité envers une nation victime d’une agression. »
Conçu au départ comme garantie pour les Juifs du monde entier, Israël ne fonctionne plus comme un havre de sécurité. Au contraire, le régime au pouvoir met les Juifs en danger lorsqu’il accuse toute personne qui le critique d’antisémitisme. Affirmer notre opposition au régime de Netanyahou c’est bien lutter efficacement contre l’antisémitisme car les institutions juives portent une lourde responsabilité dans l’essor inquiétant de l’antisémitisme. C’est en s’affirmant contre les exactions commises par le régime israélien que nous luttons contre l’amalgame entre les Juifs et les soutiens aveugles de la politique génocidaire israélienne. Il s’agit de faire vivre les valeurs juives de solidarité qui ont marqué notre histoire pour se placer du côté des opprimés, comme l’ont fait les Juifs étasuniens au moment de la lutte pour les droits civiques, en Afrique du Sud dans la lutte contre l’apartheid et plus généralement dans l’histoire des mouvements ouvriers.
Être juif, c’est revenir à cet impératif issu de la philosophie et de la littérature juive, « tikkoun olam », réparer le monde. Pour beaucoup de Juives et de Juifs, le nouvel an s’accompagne d’un appel à la repentance et à l’introspection. Espérons que ce sera l’occasion d’une prise de conscience : être juif aujourd’hui, c’est refuser le génocide à Gaza, même si c’est en représailles aux atrocités injustifiables du 7 octobre 2023. C’est ainsi que nous lutterons efficacement contre l’antisémitisme.
Jérôme Segal, historien franco-autrichien, maître de conférences à la Sorbonne
Osnat Lubrani, ancienne représentante des Nations unies, de nationalité israélienne