Après la parution de l’Encyclique « Laudato si » du Pape François, David Chollet, élu tourangeau écologiste, livre ses premières impressions. Il s’agit d’une analyse « à chaud », David se réservant la possibilité de revenir sur le sujet dans un texte plus abouti.
Encyclique Laudato Si’ – Une première lecture
La lettre encyclique de François ne semble apporter en première approche que des changements d’accentuation à l’enseignement du Magistère romain.
La nouveauté semble principalement résider dans le style direct, parfois accusatoire, à tonalité populiste, déjà bien connu de ce Pape argentin.
Mais, chemin faisant, il introduit des inflexions très sensibles dans la doctrine de l’Église.
Un diagnostic qui conforte les écologistes
Le premier chapitre de l’encyclique, ainsi que des passages entiers des suivants, pourraient faire une excellente introduction à un programme écologiste. On y retrouve même une certaine confusion dans l’argumentation.
Les points essentiels relevés par François sont les suivants :
- La gravité des changements écologiques est longuement exposée : le changement climatique et la perte de la biodiversité occupent une place centrale ;
- Les origines humaines de ces modifications sont affirmées avec force ;
- La connexion entre crise écologique, crise sociale et crise économique est fortement appuyée. La notion de « dette écologique » est au passage affirmée ;
- L’impossibilité d’une solution technique à une crise provoquée par la technique est affirmée (critique du culte du progrès) ;
- Si les conséquences catastrophiques pour l’homme de ces changements sont énoncées, l’importance de dépasser cette approche utilitaire pour respecter les valeurs intrinsèques du monde de la vie est réaffirmée.
Avec cette encyclique, les catholiques du monde entier vont pouvoir passer des heures à travailler sur des notions comme le cycle du carbone, la dette écologique, le principe de précaution, l ‘économie circulaire et la nécessaire décroissance (le mot est lâché) des pays développés.
C’est un tournant important dans la vie quotidienne de l’Église catholique : la connaissance du contenu de la crise écologique fera partie du background attendu chez tout bon fidèle.
Une analyse des racines humaines de la crise
Le document veut aller plus loin que ces constats et propose une analyse des mécanismes de cette crise.
Il s’appuie beaucoup, pour se faire, sur l’excellent (mais ancien) ouvrage de Romano Guardini La fin des temps modernes.
La thèse centrale est l’existence d’une crise éthique produisant la domination d’un « anthropocentrisme dévié » qui se décompose en deux éléments majeurs :
Versant objectif : la domination d’un « paradigme technocratique » dans lequel tous les problèmes des sociétés humaines et toutes les réponses à ces problèmes sont invitées à être formulés. Ce paradigme réduit l’ensemble du monde naturel, y compris le corps humain, à une matière première sans forme ni qualité, manipulable à l’envi.
Versant subjectif : la négation de la nature en l’homme par ce paradigme provoque un vide spirituel, une perte du sens de la mesure, qui trouve sa compensation dans un consumérisme exacerbé et une croyance dans la capacité du progrès, de la recherche du profit et des mécanismes de marché à satisfaire les exigences du bonheur.
Cet « anthropocentrisme dévié » serait la cause ultime de la crise écologique et sociale.
Cette analyse, qui fleure bon son Heidegger et son École de Francfort, n’est pas très nouvelle dans la littérature catholique : on la retrouve avec force chez Jean-Paul II.
Néanmoins, Jean-Paul II lui associait une raison ultime : l’athéisme. C’était l’oubli de Dieu par l’homme qui provoquait cette perte d’une conception saine de la dignité de l’homme et du sens de son existence et de ses responsabilités.
François ne reprend pas ce point. Il insiste même sur une nécessaire « conversion écologique »des catholiques pratiquants eux-mêmes, entérinant explicitement que la foi de ses fidèles n’en fait pas forcément des écolos modèles.
La solution catholique : l’écologie intégrale au coeur de la DSE
Sans surprise, les solutions mises en avant par François s’appuie sur la doctrine sociale de l’Église (DSE) et notamment deux de ces principes centraux.
La destination universelle des biens d’abord, qui relativise toute forme de propriété privée, et propose une vision des biens de la Terre comme patrimoine à fructifier pour le transmettre aux générations futures. Il rappelle combien la famille doit être un lieu privilégié pour favoriser cette approche.
Le principe de subsidiarité est mis en avant par ses applications au service de la « transition écologique » (l’expression n’est pas dans l’encyclique) : coopérative de production locale d’énergie renouvelable, écologie industrielle, systèmes d’échanges locaux… la solution aux problèmes écologiques doit partir de la base pour créer un « attachement » durable au changement et placer les dirigeants politiques et les « intérêts économiques » sous « la pression de la population ».
Pour combattre le « vide spirituel » et le « consumérisme effréné » qu’il engendre, François se pose en héritier de Benoit XVI et de son « écologie intégrale », nouveau nom de code de la loi naturelle. Chaque personne est invitée à trouver dans la loi morale inscrite dans son cœur par Dieu la mesure de ces actions et l’énergie pour résister aux tentations du monde et à sa « culture du déchet ». Cette approche éthique, qui permettrait un dialogue avec les éthiques environnementales, n’est malheureusement pas approfondie. Les thèses « biocentristes » sont sommairement condamnées au passage.
Au passage, François rappelle, dans le 2ème chapitre de sa lettre, qu’il est inapproprié de voir dans la tradition judéo-chrétienne un ennemi du monde naturel. Au contraire, tout homme est appelé à voir dans chaque créature sa « soeur cadette » (« car nous avons le même Père », ici François rate de manière inexcusable la possibilité de citer Chesterton).
Si seul l’homme est « image de Dieu », il invite chaque chrétien à voir, à la suite de Saint Bonaventure, dans toute créature, les « traces » du Dieu trinitaire, son Créateur.
La recherche de solutions oecuméniques: vers une spiritualité écologique ?
Où François rompt avec ces deux prédécesseurs, c’est qu’il ne fait pas de l’adoption de la doctrine de l’ « écologie intégrale » un préalable à la réponse aux crises « socio-écologiques ». La coopération entre « hommes de bonne volonté » est réaffirmée dans le plus pur esprit de Vatican II.
Bien sur, les mouvements écologistes qui s’opposent aux OGM tout en tolérant la manipulation sur les embryons humains ou l’avortement sont égratignés au passage, comme il se doit. Le planning familial est, sans surprise, à nouveau condamné.
Mais il s’essaie, dans l’introduction et le chapitre 6, à l’esquisse d’éléments de « spiritualité écologique ». Elle est écrite certes principalement à destination des chrétiens, et avec des matériaux chrétiens. Le plus important reste cependant son insistance sur un « changement de style de vie » s’appuyant sur l’ « amour pour toutes les créatures », la « fraternité universelle » ainsi que la contemplation de la beauté propre à la création que l’éducation doit favoriser.
Comme Saint Bonaventure dans son Itinéraire de l’esprit vers Dieu, il semble persuadé que cette contemplation et cet amour guideront les hommes vers la foi dans le Dieu Un et Trine.
Mais la tonalité est moins exclusive que chez Jean-Paul II ou Benoît XVI. Il est significatif que la première prière qui clôt la lettre soit écrite de manière à pouvoir être prononcée par des juifs ou des musulmans.
Conséquences ?
Que le Chef de l’Église catholique reconnaisse comme essentiel au message de l’Église les thèmes essentiels des partisans (catholiques) de la décroissance n’est pas un événement mineur, ni dans l’histoire contemporaine de l’Église, ni dans celle du mouvement écologiste. Jusqu’à preuve du contraire, ce courant n’est pas majoritaire chez les cathos.
La réception de l’encyclique va être un sujet de conflit majeur : à ce sujet, l’inflexion du message de l’Église sur les PGM (plutôt favorable jusqu’alors) fait l’objet d’un long développement dans la lettre qui témoigne des autres conflits à venir.
La façon dont François insiste sur la lutte contre le changement climatique en balayant d’un revers de main la solution passant par la création de « marchés de carbone », favorables à la « spéculation » et à la finance, lui garantit quantité d’ennemis.
Son opposition à la thématique de la croissance verte, sa défense de la valeur intrinsèque du vivant en fait un texte dont la radicalité écologiste évoque la Charte de la Terre de l’ONU (laquelle est citée favorablement au passage, alors qu’elle était suspectée de panthéisme par certains hiérarques catholiques).
La tentation sera forte dans tous les milieux, et dans les milieux catholiques d’abord, d’organiser l’oubli de ce texte sous des monceaux de commentaire lénifiants.
Le simplisme de son analyse du « paradigme technocratique » ainsi qu’une certaine légèreté dans la réflexion théologique devant les changements en cours (des transformations irréversibles de la biosphère – qui excèdent de loin la notion de crise et ne permettent pas d’envisager un retour à un état initial – à l’auto-manipulation génétique de l’être humain) constituent cependant des brèches dans lesquelles le scepticisme de bon aloi pourra sans difficulté s’engouffrer.
Merci à David pour l’autorisation de reproduction de ce texte.