Le 8 août 2021, le F.C Barcelone, association catalane à but non-lucratif créée en 1889 et dont le statut et le fonctionnement sont strictement encadrés par la Ley del deporte de 1990, annonce publiquement ne pas pouvoir, malgré la volonté des deux parties et l'accord trouvé, renouveler le contrat de son joueur-phare, Lionel Messi, suite à une décision du comité technique de la Liga en charge de contrôler l'application des règles du fair play financier.
Le 10 août 2021, Lionel Messi confirme ces éléments lors d'une conférence de presse.
Le 12 août 2021, son recrutement par le Paris Saint-Germain, pour un contrat de deux ans renouvelable estimé à plus de 40 millions d'euros nets, soit une dépense attendue de plus de 100 millions d'euros par an pour le Paris Saint Germain, est officialisé.
Le "fair play financier" consiste en une série de règles adoptées sous l'égide de l'UEFA et de la commission européenne, sous l'impulsion de l'alors commissaire Joaquim Almunia.
D'une part, des règles sont établies à l'échelle continentale par l'UEFA, conditionnant l'inscription des clubs de football professionnel aux compétitions européennes à leur respect. Celles-ci ne nous intéressent pas.
De façon dérivée, puisque directement issues des règlement adoptés par l'UEFA, des règles de fair play financier adoptées par les ligues professionnelles nationales. Ce sont celles-ci qui nous intéressent.
En effet, la LFP française et la LFP espagnole ont adopté sensiblement les mêmes règles, directement inspirées par l'UEFA et la Commission européenne, et les mêmes mécanismes de contrôle, avec un comité chargé de contrôler les finances des clubs et d'appliquer des sanctions (en l'occurence, en France, la Direction nationale de contrôle de gestion, qui exerce des prérogatives de puissance publique par délégation de la FFF, via la LFP).
Parmi ces règles, il est établi l'exigence que la masse salariale et les amortissements des droits de mutation ne dépassent pas de 70% les recettes annuelles des clubs concernés.
Seulement, la LFP française a décidé, suite à l'adoption de ces règles par les assemblée générales et fédérales des 12 et 14 décembre 2019, de les rendre certes applicables, mais de décaler la date d'entrée en vigueur des sanctions au 15 mai 2022, délai décalé d'encore un an au 15 mai 2023 par l'Assemblée générale du 10 décembre 2020.
Cette exemption s'ajoute à la décision, par l'UEFA, de "relâcher" son contrôle pendant la période COVID sur les règles mentionnées.
Les conséquences sont immédiates. Les clubs disposant de fonds illimités, appelés clubs-Etats, qui servent de vitrine aux puissances souveraines et de leviers d'influence vis-à-vis des "élites" occidentales, s'engouffrent dans la brèche. En particulier, le Qatar qui, à la veille de l'organisation de la Coupe du monde 2022, et alors que son existence a été récemment menacée par un blocus organisé par son voisin saoudien, cherche par tous les moyens des façons de se protéger et de légitimer l'organisation d'un événement qui a déjà coûté la vie à plus de six mille ouvriers.
Le Qatar a, à ce stade et en moins de dix ans, déjà investi plus d'un milliard d'euros via différentes structures - son fond souverain, son ministère du tourisme, sa compagnie aérienne - et prêté plusieurs centaines de millions d'euros supplémentaires, dont 200 millions la seule saison précédente, au PSG.
Le Qatar est l'un des principaux vecteurs d'influence de l'islamisme politique, via son appui aux mouvements fréristes dans le monde entier.
Le Qatar est évidemment, au-delà d'une théocratie, une dictature qui torture et emprisonne ses opposants.
Les revenus du Qatar, et leurs investissements au sein du PSG, sont directement tirés des dépenses énergétiques des ménages européens et français. C'est donc nous qui payons ces sommes faramineuses, et leur train de vie.
Le Qatar a obtenu l'appui de la France, de Nicolas Sarkozy et de Michel Platini, organisation de la Coupe du monde en échange, entre autres, de son entrée au capital du PSG, mais aussi de Lagardère et de nombreuses autres entreprises stratégiques françaises, entrée au capital négociée parfois directement par Nicolas Sarkozy, pendant sa présidence et depuis - en échange, notamment, de sa nomination aux comités d'administration des dites-banques.
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Le problème juridique est le suivant: le Paris Saint-Germain dispose de ratios financiers bien moins éloquents que ceux du F.C Barcelone. Ainsi, dans la présentation de ses comptes à la DNCG pour la saison 2019-2020, le PSG présente un ratio salaires/recettes de 99%, contre 53% pour le FC Barcelone.
L'écart se creuse en 2020-2021, et apparaît dramatique pour la saison 2021-2022: ainsi le PSG annonce-t-il, dans son budget prévisionnel, outre des pertes cumulées qui atteindront 500 millions d'euros, d'une masse salariale équivalent à 110% de ses recettes. Le PSG va cependant recruter le capitaine du Real Madrid, le capitaine du Milan AC, le capitaine du F.C Barcelone, l'enfant prodige de l'Inter de Milan et deux autres joueurs pour un accroissement de sa masse salariale estimé à entre 30 et 40% de ses recettes.
Alors même que le F.C Barcelone doit se défaire de son principal joueur afin de respecter les ratios entre salaires et revenus, le PSG profite de cette occasion pour recruter le joueur et ainsi aggraver une situation qui était déjà pire que celle du F.C Barcelone.
Le Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne prévoit que la concurrence au sein du marché unique doit être loyale et qu'aucune distorsion normative entre des acteurs concurrentiels de différents pays ne doit intervenir sur un même secteur, au sein du marché unique.
L'on voit pourtant qu'une règle censée favoriser l'équité et l'égalité des armes est utilisée afin d'affaiblir un concurrent direct par le PSG.
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Dès lors, des socios et une penya décident de saisir la commission européenne, tant au titre de l'article 116 du TFUE afin que celle-ci intervienne auprès de l'Etat français et exige que celui-ci cesse toute distorsion de concurrence, qu'au titre des articles 101, 106 et 107, considérant qu'il s'agit d'une aide d'état déguisée.
Après avoir demandé l'abrogation des actes sus-mentionnés, ainsi que la communication des documents, ils saisissent le Comité olympique français (CNOSF) au titre du recours préalable obligatoire en conciliation. Tout en énonçant leurs réserves quant à l'applicabilité de la dimension obligatoire à l'espèce, les requérants rappellent opportunément que toute conciliation par le CNOSF entraîne automatiquement la suspension des actes attaqués, et demandent donc une intervention en urgence de la part du Comité.
En parallèle, des référés suspension et liberté sont déposés auprès des Tribunaux administratifs et du Conseil d'Etat, attaquant les décisions, par la LFP de décaler l'entrée en vigueur des capacités de sanction de la DNCG (décision dont l'abrogation avait été au préalable demandée) ; la décision de la DNCG de ne pas sanctionner le PSG dans le cadre de son contrôle effectué le 25 juin 2021 ; ainsi que demandant la suspension de l'homologation du contrat de Lionel Messi par la LFP.
Ces décisions relèvent pour les deux premières d'actes réglementaires en ce qu'ils sont pris par une autorité à compétence nationale en délégation de prérogatives de puissance publique, et n'ont pas de nature individuelle. Pour les deux suivantes, elles relèvent d'actes administratifs.
Les actes réglementaires de cette nature sont attaquables en premier ressort devant le Conseil d'Etat, les actes administratifs devant le Tribunal Administratif.
Le référé liberté trouve son fondement dans l'atteinte à la liberté d'association et des libertés économiques fondamentales reconnues notamment par le droit de l'Union. Le FC Barcelone est en effet une association, dont les membres - socios - sont "propriétaires". Or le départ de Lionel Messi, dont dépendent un tiers des revenus du FC Barcelone, permis par les décisions attaquées et la distorsion de concurrence qu'elles ont provoqué, met directement en jeu sa capacité à subsister en tant qu'association. Faisant face à une inflation des coûts, et notamment des salaires, qui le force à entrer dans une spirale infinie, le club ne dispose plus des capitaux suffisants pour faire face à la concurrence, notamment, des clubs-Etats, et se voit menacé d'une privatisation qui retirerait aux sociaux leur statut, leur capacité à agir au sein du club, protégée par un statut directement régulé par une loi spéciale en Espagne, qui garantit notamment la nature démocratique des instances de décision ; et à ce dernier, la possibilité de préserver son statut associatif.
Les arguments successifs concernant respectivement l'atteinte grave et manifestement illégale ; le doute sérieux sur la légalité ; l'urgence et ont été eux respectivement déployés tant en ce qui concernait les intérêts patrimoniaux directs du F.C Barcelone, des requérants qui revendiquaient à la fois un intérêt à agir direct et dérivé de celui du club, les effets évidents et grossiers de la distorsion normative en le cas de l'espèce ; les conséquences que celle-ci avaient, immédiatement et sur un plus long terme, sportivement et économiquement ; enfin en invoquant l'irrémédiabilité des dites conséquences en l'absence de décision à court-terme.
Les arguments considèrent par ailleurs, de façon plus générale et sans chercher à l'invoquer de façon directe auprès de l'institution, que la dérive permise par le cumul des distorsions normatives et de l'investissement de clubs-états sur le marché du football professionnel est directement à l'origine d'une part de l'inflation salariale exorbitante qui touche le milieu, et de l'autre, afin de compenser ces couts croissants, de l'inflation des prix des droits télévisés, des produits dérivés (dont le prix des maillots, atteignant 150e pour Lionel Messi), des abonnements, coûts que doivent in fine supporter l'ensemble des supporters du football européen.
Le Conseil d'Etat, par le truchement de son Président du contentieux après qu'une demande gracieuse de récusation ait été accueillie concernant le premier rapporteur, renvoie au Tribunal administratif la compétence de l'ensemble, qui tout en reconnaissance l'intérêt à agir des requérants, considère que l'urgence ne peut être invoquée et rejette les requêtes en référé.
Cela se comprend: si bien les socios et penyas, en ce qu'elles sont institutionellement reconnues par le F.C Barcelone comme parties intégrantes du club, ont donc intérêt à agir directement, l'atteinte à leurs intérêts, notamment patrimoniaux, provoqué par le départ de Messi n'est qu'indirecte et, selon le juge, trop marginale à ce titre pour justifier d'une quelconque urgence.
Le CNOSF ayant rejeté la demande en conciliation des requérants du fait d'un défaut d'intérêt à agir, les requérants transmettent une nouvelle demande, invoquant la reconnaissance par le Tribunal administratif de leur intérêt à agir dans le cadre de sa décision de refus uniquement fondée sur l'absence d'urgence.
Les requérants déposent alors à nouveau devant le Conseil d'Etat des requêtes similaires, considérant que le Président du contentieux a erré en rejetant la nature réglementaire d'une partie des actes attaqués. Ils déposent au surplus, tant au CE qu'au TAP dans le cadre de leur recours en excès de pouvoir toujours en cours, une demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union Européenne demandant à ce que soient interprétée l'invocabilité dans le cadre de contentieux nationaux des énoncés substantiels de l'article 116 du TFUE ; ainsi qu'afin que la CJUE se prononce afin de déterminer si les instances judiciaires françaises doivent interpréter les normes européennes sus-citées dans la perspective d'une généralisation des obligations normatives relatives au fair play financier, telles qu'impulsées par la Commission européenne et l'UEFA, sur l'ensemble des territoires européens, ou au contraire sur une abrogation de celles-ci partout où elles sont appliquées en ce qu'elles créeraient une distorsion de concurrence normative au détriment des acteurs qui y sont soumis, et en faveur de ceux qui exercent sur des territoires où elles n'ont pas été (encore) adoptées. Le CE et le TA se renvoient la balle, le premier arguant d'une décision préalable du TA et du fait que la requête viserait in fine un recrutement spécifique - décision insensée privant de facto les requérants de possibilité d'ester en justice, fermant en effet la voie à ce que soit prononcée une quelconque décision concernant la légalité des actes réglementaires, le TA ne pouvant par définition se prononcer à leur sujet - pour décliner sa compétence.
En parallèle, la Liga et le F.C Barcelone approchent les requérants et leurs indiquent souhaiter communication des requêtes. Après les avoir étudiées, ils confirment leur intérêt à intervenir à l'affaire, ce qui changerait bien entendu l'appréciation par le juge administratif de l'urgence, et donc de la possibilité de suspendre les effets administratifs de la transaction entre le PSG et le F.C Barcelone, et leurs dirigeants respectifs soumettent à l'ordre du jour de leurs comité exécutifs respectifs cette question, afin de déterminer si, au-delà de l'aspect juridique, il existe un intérêt institutionnel à s'engager sur cette voie, au fond comme en urgence.
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A partir d'un intérêt à agir fragile, bien qu'existant, les requérants ont donc tenté de creuser un petit trou de souris afin de chercher à faire entendre leur voix sur des questions essentielles concernant le devenir normatif, et quelque part éthique, du football professionnel français. Les réactions, violentes et massives, d'une part de la masse sociale française, ont trouvé une réponse indignée dans d'autres pays, face à une opération qui, en toutes circonstances, méritait d'être interrogée.