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Billet de blog 29 avril 2019

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai, depuis l’enfance, gardé un t-shirt d’Act Up qui avait été alors acheté par mes parents, et qui m’avait longtemps servi de pyjama, avant que je découvre à l’adolescence, à travers Guibert et plusieurs autres, une époque que j’avais connu en restes, et me pétrisse d’admiration, un peu seul, pour l’une des organisations politiques les plus précieuses de notre époque, que je considérerais bientôt comme étant la seule à s’être montrée porteuse d’une radicalité politique méritant admiration depuis de nombreuses années.

Complètement effacée de la scène mythologique politique, elle fait aujourd’hui un retour massif par la grâce de l’un de ses anciens membres, et une œuvre de cinéma qu’il faut, paraît-il, aller voir.

Il y a un petit pincement, comme toujours en des situations similaires, à se savoir bientôt « rattrapé » par sa génération dans la connaissance et l’admiration d’un phénomène, d’un geste contre-sacrificiel, d’une grandeur qui avaient jusqu’alors été largement ignorés et silenciés dans leur transmission.

Il y avait un beau confort, et un certain sens, à ce silence qui répondait, dans une symétrie parfaite, à la radicalité de l’engagement, à une forme de pureté et d’isolement longtemps préservés.

Un silence qui ne disait plus mort, et qui confortait ceux qui en avaient été, puis ceux qui les admiraient, dans leur conviction d’avoir su et été, contre vents et marée. Alors que le principe actif de l’organisation, la maladie qui l’avait fait naître, avait été « avalée » et récupérée par le commun, la rage de l’irreconnaissance pouvait, semble-t-il, et en tous cas pour les rares de ma génération, laisser place à l’admiration silencieuse qui était la seule digne possibilité pour des filleuls qui ne pouvaient en rien s’en réclamer.

J’entends et vois parmi beaucoup de ceux qui participèrent à cette geste, évitèrent la mort à laquelle ils s’exposaient, et pour beaucoup survécurent – et j’insiste sur le terme de survie – à grands peines à, et en même temps grâce à leur engagement, une peine à se voir ainsi « reconnus » et récupérés à contre-temps, après avoir été méprisés et abandonnés, rendus à leur minorité. Après avoir tant donné, et s’être vu tant arraché, tout au long de leur vie.

A voir bientôt fleurir, dans les rues de Paris, les triangles roses qui jusque là avaient été oubliés et conspués. Qui leurs avaient tant coûté.

Quelle gloire pourtant, pour eux, d’avoir ainsi, pour beaucoup dans la misère et la souffrance, pour quelques uns dans l’aisance et la réussite, vécu et survécu à leur engagement.

D’avoir quelque part, au fond de leur tiroir, un t-shirt originel qu’ils avaient peut-être, pour en faire un pyjama, donné à leur enfant ou gardé.

Et de voir les quelques croyants qui silencieux les admiraient, soudain se voir rejoints par des cohortes maintenant, enfin, rendues à l’évidence.

Celle qui les rendait obligeantes à leur égard, et confirmait leur droit infini à la fierté.

Celle qui leur permettait enfin de dire: nous avons, ou nous aurions dû gagner.

Le politique est, dans son extériorité, un perpétuel renversement qui menace d’emportement quiconque s’y soumettrait. C’est seulement par la radicalité d’un engagement résistant à toutes les passades, soutenu par une idée qui parfois peut emporter toute une vie, que l’on fini par la transcender, et au-delà même de marquer l’histoire, de donner un sens au combat engagé. Il ne doit y avoir nul regret à l’actuelle vague de récupération. Seulement peut-être une leçon, pour ceux qui, à travers ce sujet, rentrent ponctuellement en rapport au politique: ne jamais oublier de penser à ceux qui, dans leur radicalité, aujourd’hui troublent et inquiètent comme un jour Act Up le fit, pour cette fois, plutôt que de céder à l’appréhension naturelle qui saisit toujours face au combat d’apparence minoritaire, ne pas avoir peur, et enfin, dans leur solitude et leur difficulté, les accompagner.

Ici et ailleurs, l’indifférence tue, encore aujourd’hui.

Bien plus encore que la brutalité.

Hommage et merci.

Publié le 25 août 2017

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