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Billet de blog 25 mars 2023

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La démocratie française fait long feu

N’ayons pas peur de découvrir le piège dans lequel nous sommes tombés et osons dire que le roi est nu : ce n’est pas seulement que notre système n’est pas assez démocratique, mais que notre système est le contraire de la démocratie.

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La République française a été fondée sur la base d’une insurrection qui contestait la légitimité d’une certaine légalité. L’Histoire de la France devrait permettre de nuancer les positions de ceux qui diabolisent la composante insurrectionnelle (assumée ou non) des manifestations qui tous les jours depuis l’usage de l’article 49.3 de la Constitution contestent la légitimité du régime de la Vème République.

Un contrat social cherche avant tout la paix, la résolution pacifique des conflits. La démocratie (caractérisée par la reconnaissance d’une seule source de légitimité, celle de la souveraineté de l’ensemble du peuple, composé par des individus égaux qui s’expriment en votations en quête de majorités) est contradictoire avec le fait qu’une réforme refusée par environ 70 % des citoyens (d’après la science démoscopique, faute d’un référendum) soit promulguée.

Le pouvoir en place essaie de nous confronter à un paradoxe apparent : la réforme aurait parcouru un « cheminement démocratique », elle serait légitimée par la « démocratie parlementaire », le peuple parlerait par la voix des élus (on les imagine possédés par l’esprit de leurs représentés et exorcisés à l’heure de leur déposition). Ces élus auraient le droit d’imposer leur volonté à celle des électeurs qui les auraient choisis, soit parce qu’on considère ces derniers effectivement dépourvus d’une autorité supérieure une fois leur droit au vote exercé, soit parce qu’ils ne sont tout simplement pas consultés (alors qu’ils pourraient l’être), ce qui constitue la malhonnêteté intellectuelle la plus massive et impactante à laquelle je suis capable de penser.

Bien entendu, un tel paradoxe n’existe pas et l’écart entre les deux avis majoritaires (parlementaire et populaire) s’explique par l’imperfection délibérée de notre système de représentation. Délibéré parce que tout est fait pour revêtir d’une façade démocratique un bâtiment profondément autoritaire. Imparfait parce que notre « démocratie » est réduite à l’élection de dictateurs tous les 5 ans.

Le terme « dictateur », sans nuance, peut scandaliser certains et mener à des comparaisons fallacieuses. Nuançons-le donc. En effet, ces représentants se sont présentés devant leurs électeurs avec une offre programmatique ambiguë et surtout non contractuelle : absolument rien ne les engage à tenir leurs promesses (plus ou moins imprécises) une fois élus. Le peuple est tout simplement dépossédé de sa souveraineté entre deux élections, avec la « compensation » hautement gracieuse d’au moins avoir droit à ces quelques élections. Le tout avec des systèmes électoraux imparfaits (non proportionnels, à arbitrairement deux tours, sans notion d’intensité du choix, et cætera). La somme de ces imperfections explique l’écart et nie le paradoxe. Non, notre système n’est pas démocratique.

Même s’il s’appuie sur une constitution, parce qu’une constitution n’est pas forcément démocratique. Et là on arrive à un autre point essentiel : si les élus ont le défaut de priver le peuple d’un pouvoir effectif entre deux élections, la Constitution de la Vème République, source de la supposée légitimité qui alimente l’ensemble du système, a un défaut encore plus grave : elle est censée être validée par le peuple de façon pérenne, en parfait mépris du renouvellement générationnel. Ainsi, on ne renonce pas seulement à notre pouvoir citoyen en nous confiant à nos choix d’il y a 5 ans, mais en nous confiant aussi aux choix de nos ancêtres, ce qui pose des questions évidentes sur la notion de responsabilité individuelle, sur laquelle repose la notion de contrat social.

Face à toutes ces contradictions du système, certains, se croyant abrités par lui, aiment crier au slogan fasciste « there is no alternative » ou confondent la notion de leader (capable de défendre ses convictions contre l’avis majoritaire) avec celle de tyran (capable d’imposer ses convictions contre l’avis majoritaire). Au mieux, ils pèchent par défaitisme. Soyons créatifs et ne renonçons à résoudre aucun problème.

L’horizon qui doit guider le nécessaire processus constituant vers une nouvelle république française est, à mon avis, celui du pouvoir permanent du peuple, rendu possible par des outils efficaces permettant à la souveraineté populaire de s’exprimer en toute circonstance et sur n’importe quel sujet.

Certains argueront que le peuple pourrait valider des atrocités. C’est vrai. Exactement comme Macron ou les élites amenées à « traduire » la voix du peuple ou à parler à leur place pourraient le faire (et le font). Les empêchements légaux que ces élites pourraient rencontrer sont les mêmes que ceux que le peuple pourrait s’imposer, parce qu’ils ont, de fait, été imposés par le peuple si on croit au récit selon lequel nos institutions émanent de lui. C’est une question de méthode et il faut choisir qui aura le droit de se tromper. Le choix démocratique consiste à préférer que le peuple décide, assume les conséquences de ses décisions comme un adulte le ferait, apprenne et se cultive grâce à ses erreurs. La démocratie directe est avant tout une démarche d’intelligence collective face au messianisme de l’homme providentiel, qui a montré tragiquement ses limites.

Et il n’y a pas plusieurs types de démocratie. Une démocratie réelle ne peut être que directe. Mais cela ne veut pas dire que le peuple doit être amené à voter pro-activement en permanence, car cela générerait des problèmes de faible participation et donc un manque de représentativité. Le système que je propose est simple (mais aussi à discuter et à parfaire) : un système de représentants dans lequel chaque électeur choisirait le sien sur une liste de quelques centaines de personnes tirées au sort, en pouvant modifier son choix de façon télématique à tout moment (et notamment avant chaque vote parlementaire), et où la voix de chaque représentant serait pondérée par le nombre d’électeurs l’ayant choisi. Cette représentation révocable et dynamique permettrait une démocratie directe sans exiger la participation permanente des citoyens, car ils auraient toujours un représentant par défaut (le dernier choisi). Il s’agirait ainsi d’une forme de référendum. Donc démocratique, donc légitime.

Est-ce qu’arriver à cette solution est intellectuellement hors de la portée du pouvoir en place ? Non. Alors pourquoi l’éludent-ils ? Parlons clairement : les élites économiques qui profitent de ce statu quo ne sont pas dupes de son caractère anti-démocratique. Ils pratiquent, à l’aide des médias de consigne et des majordomes politiques à leur service, une manipulation théorique systématique pour légitimer (« légitimité » est le mot clé dans toute révolution politique) cet état des choses favorable à leurs intérêts. En ce sens, la réforme des retraites pourrait avoir servi pour réfléchir avec profondeur au rôle du travail au sein du contrat social, au partage des tâches pénibles dans une société, aux compensations pour ceux qui les réalisent, aux ressorts innés, sociologiques ou motivationnels et performatifs qui mènent aux inégalités de conditions. Mais ce débat n’est pas celui qui intéresse ceux qui, au bout du compte, ont le plus de chances de prendre les décisions.

Ces élites économiques savent qu’elles sont une minorité et qu’un système réellement démocratique ne leur permettrait pas de vivre dans les conditions abusives dont elles bénéficient. Leur seule issue est de s’approprier des mots de prestige, culturellement hégémoniques. Comme Orwell l’avait si radicalement et brillamment décrit, la prétention humaine de pouvoir absolu mène à une prétention de contrôle de la pensée (des autres). Contrôle qui passe nécessairement par la maîtrise des mots et donc par le détournement de leur vrai sens. N’ayons pas peur de découvrir le piège dans lequel nous sommes tombés et osons dire que le roi est nu : ce n’est pas seulement que notre système n’est pas assez démocratique, mais que notre système est le contraire de la démocratie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.