Le ministre de l’économie monte au créneau contre les arrêts maladie dits de complaisance. Des salariés seraient en arrêt maladie alors qu’ils ne sont pas malades. Les médecins (généralistes) vont être davantage contrôlés et sanctionnés, les salariés aussi, les employeurs incités à envoyer des médecins contrôleurs de sociétés privées pour s’assurer de la réalité de la maladie.
Les allocataires du RSA vont devoir travailler gratuitement pour des entreprises. Ce serait pour les inciter à reprendre le travail, et pour que cet argent de la collectivité ne soit pas donné sans contrepartie. Devant le tollé, il ne serait prévu que ça ne concerne que les volontaires. N’empêche, quoi de mieux qu’une main d’œuvre gratuite.
Pour ceux qui seront encore en état, ils devront partir à la retraite à 64 ans, soit 4 ans après leurs parents. Là encore plus de travail, plus de temps au travail.
Les conditions de travail et les relations avec les employeurs, grandes comme petites entreprises, sont à ce point dégradées, que pour un certain nombre de salariés en situation de souffrance au travail, la seule échappatoire en ne perdant pas tout droit était l’abandon de poste. C’était considéré comme une faute grave, et le salarié, s’il perdait toute indemnité de départ, avait encore droit au chômage. Maintenant l’abandon de poste est considéré comme une démission. Crever sur place ou crever de faim. On a encore le choix.
Les modalités d’inscription, d’indemnisation et de contrôle des chômeurs se sont durcies, et les modalités de radiation allégées. Pôle emploi renommé France Travail (tiens comme par hasard) devient plus que jamais une police des chômeurs, des fainéants, et de moins en moins, s’il l’a jamais été, une aide au retour à l’emploi.
Le président Macron et son gouvernement n’ont qu’une antienne : la valeur travail, le plein emploi. Pourquoi ? Pour l’épanouissement des travailleurs ? Le redressement de l’économie ? La satisfaction des employeurs et des investisseurs étrangers ? Les mesures pour mettre de force au travail s’additionnent.
Parallèlement, même si cela reste marginal, de plus en plus de jeunes issus de formations élitaires s’interrogent sur le sens de leur futur travail, dans un monde fini, et en train de finir du fait de l’anthropo-capitalocène.
Parallèlement les métiers vraiment utiles à la société, ceux dont on voit qu’ils nous manquent quand ils sont en grève, les éboueurs, les enseignants, les soignants, les pompiers, les transporteurs, etc., sont de plus en plus mal payés, reconnus. Ils l’étaient déjà, mais ça n’a fait que s’aggraver depuis le virage ultra-libéral des années 80. La noblesse de leur métier justifie la modestie de leur rémunération. Sic.
Parallèlement les métiers inutiles et parasites, les bullshit jobs identifiés par David Graeber, directeurs, administratifs, consultants, etc., ceux dont les dénominations de leur travail sont en anglais, n’ont jamais autant fleuri, n’ont jamais été autant payés. David Graeber explique comment cette caste constitue pour les dirigeants capitalistes à la fois la cour des larbins et dociles qu’il s’achètent ainsi, et les garde-chiourme du travail.
Ainsi on peut inférer sans risque que le déterminant principal de l’utilité d’un métier est la faiblesse de sa rémunération, et l’inverse aussi : le critère de son inutilité est l’importance de sa rémunération.
Enfin la souffrance au travail et son cortège de pathologies, psychiques comme physiques, n’a jamais été aussi élevé. Les écrits de Chistophe Dejours et d’autres psychologues du travail l’ont largement documenté. Il n’y a plus de place à l’initiative, à la réflexion, à l’intelligence. Pour les dirigeants capitalistes le travailleur n’est qu’un robot, et son remplacement par ce type de machines est d’ailleurs en cours. La caricature sont les postes de travail dans les entrepôts de grande distribution, type Amazon, où l’homme est au service de la machine, ou bien dans les centres d’appels, plus grands pourvoyeurs de souffrance au travail, là où le turn-over est le plus important et constitue d’ailleurs un système de management.
Plus personne ne s’interroge sur la signification du burn-out. J’avais découvert cette notion il y a trente ans, là où elle a été décrite pour la première fois : dans les métiers médico-sociaux, où des professionnels porteurs d’engagements éthiques se trouvent exposés à des situations inextricables. Maintenant le burn-out touche l’ensemble des secteurs, et très souvent les travailleurs les meilleurs ou les plus impliqués. Ceux qui résistent sont ceux qui ont mis en place suffisamment de barrières pour arriver à continuer à s’en foutre. Ce sont ceux là qui intéressent les patrons.
Après 20 ans d’exercice de la médecine générale en libéral, j’ai craqué, et ai voulu me reconvertir vers la médecine du travail. Comme libéral je n’avais pas l’arrêt de travail facile et ça se savait. Cela dit, mon constat de l’époque était que j’étais beaucoup plus souvent confronté à des refus d’arrêt maladie de la part de patients qui en avaient besoin qu’à des demandes dites de complaisance. Ca a dû m’arriver deux fois. Un flic. Une dame seule qui ne se remettait pas de la mort de son animal de compagnie.
Et puis j’ai découvert la santé au travail. La moitié des consultations étaient liées à la souffrance au travail, quelle que soit la taille de l’entreprise. J’ai eu les témoignages de salariés qui ont dépendu leur responsable dans la réserve de la grande surface. J’ai eu un salarié que j’ai hospitalisé en urgence car il allait mettre fin à ses jours. Après son hospitalisation il est revenu pour me remercier car ce jour là il avait pris une hache dans sa voiture, et s’apprêtait à aller tuer son patron en sortant de la consultation. Lorsque j’ai rencontré le dit patron pour l’inaptitude au poste de son salarié, il n’a cessé de gloser sur la fainéantise du personnel qui ne pensait qu’à sa santé et jamais à la santé de l’entreprise. Je ne cessais intérieurement de me répéter : « je t’ai sauvé la vie connard, et tu ne le sauras jamais ». Je pourrais multiplier les exemples.
J’ai découvert une véritable épidémie, et je pèse mes mots, de souffrance au travail, et personne n’en avait rien à foutre. Le service de santé au travail, financé par les employeurs, en premier. Comme si la médecine avait refusé de prendre en charge l’épidémie de covid en continuant à se concentrer sur le renouvellement des traitements contre la tension. Alors je suis parti. J’ai démissionné. Pour ne plus être complice. Je peux dire que suite à cette expérience de quelques années en santé au travail, mon regard sur les arrêts maladie a changé, et si j’avais repris une activité libérale, je les aurais considéré pour ce qu’ils sont maintenant : un des derniers moyens pour les travailleurs de résistance et de survie face à ce qu’est devenu le travail dans le régime extrême capitaliste.
Le travail n’est plus une valeur, plus rien à voir avec une vocation, un épanouissement, un projet de vie professionnel, un enrichissement humain, un accomplissement. Sous le régime actuel il n’est qu’un outil de répression et de contrôle de la population, il ne vise qu’au profit matériel des dirigeants et des actionnaires. Ni œuvre, ni action décrites par Hannah Arendt, il retrouve sous le néolibéralisme sa définition étymologique de l’instrument de torture tripallium. Dans un monde en train de finir, les gouvernements font, avec le travail, preuve de la même absence de pensée, celle qui nourrit le mal, de la même idéologie mortifère qu’en matière d’environnement.
Le travail devient, plus que jamais, un outil d’asservissement, de terreur, de répression, et l’accumulation des mesures gouvernementales décrites plus haut en témoigne. Là encore la résistance s’impose. Le travail ne rend plus libre.