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Billet de blog 21 décembre 2024

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Houris de Kamel Daoud, prix Vautour 2024

Extraits choisis de Houris de Kamel Daoud

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le crime de Kamel Daoud est visible, lisible par des centaines de milliers de lecteurs. 
Dans chaque librairie française, sous le sapin de Noël.  
Ouvrir le livre, lire, ne pas vomir. 
Je le rappelle je suis une lectrice, une simple lectrice. 
Je lis des mots. 
Je rappelle que le mot canule est répété 63 fois dans Houris sans compter les métaphores toutes plus abjectes les unes que les autres qui désignent le « sourire monstrueux » de l’héroïne.  
J’ai choisi en vertu du droit de citation du code de la propriété intellectuelle, 15 extraits tirés de Houris de Kamel Daoud mais on pourrait épingler la quasi-totalité du livre.
Trigger warning, avant de plonger dans cette lecture d’extraits que je trouve personnellement insoutenables ( mais bon à ce stade de l’omerta, je pense qu’il faut montrer clairement ce que vont recevoir des centaines de milliers de lecteurs à Noel). 
 Deux concepts utiles et basiques en théorie de l'écriture que l' Académie Goncourt ne semble pas connaître: 
La Réification : La réification est l’appréhension d’un phénomène humain en tant que chose, c’est-à-dire en des termes non-humains . —selon Peter Berger. Dans le cas de Fajr- Aube- Saada Arbane, la réification est totale.  L’héroïne elle réduite à sa canule, objet de la fascination morbide de KD. 
Le Male Gaze : Quand la caméra filme une femme comme un objet sexuel, on parle de "male gaze," quand le narrateur érotise la blessure d’une femme et tout son corps on peut parler de male gaze . Et aussi de gros MALAISE ! 
Avant de lire, ayez bien en tête  les mots de Saada Arbane, championne d’équitation, fille de Zahia Mentouri, connue à Oran pour être « la fille qui ne parle pas ». Seule femme en Algérie rescapée d’un égorgement, portant une canule respiratoire pour vivre. 
 Saada Arbane dit « Quand j’ai commencé à lire le livre, je n’ai pas dormi trois jours ». « Cela fait 25 ans que je cache mon histoire, que je cache mon visage, que je refuse qu’on me montre du doigt. C’est horrible… ». 
« C’est ma vie, c’est mon passé. Y a que moi qui peut juger comment ça doit sortir. Ce n’est pas à lui de faire ça. C’était pas à lui de me jeter comme ça. En plus, il salit ma réputation ». Houris « est une violation de mon intimité ».


Mettez vous deux secondes dans la peau de cette femme que la France ignore, que les médias ignorent sous prétexte qu’elle est instrumentalisée par le gouvernement algérien. Mettez vous deux secondes à la place d’une femme égorgée, survivant grâce à une canule.  Et lisez si vous l’osez la prose de notre Prix Goncourt 2024. Lisez,  et si vous ne voyez pas le problème, désolée de vous annoncer,  que vous faites partie du problème.

P 30 « Entrouverte, retenue à la vie par un trou au flanc de ma peau, je respire par une canule et je lutte contre la houle à la surface du monde des vivants. Si le miroir n’était pas brisé, tu aurais pu voir le trou de ma gorge que mon monstrueux « sourire » tente de dérober. Mon larynx grand ouvert, mon œsophage nu, cette fausse bouche aux lèvres cicatrisées et pincées. C’est sombre, rouge, palpitant comme une éventration. On ne doit jamais y mettre le doigt et toujours désinfecter après y avoir touché. Le « sourire », lui, va d’une oreille à l’autre, c’est la trace du couteau, son entaille dans ma chair. Une plaie de dix-sept centimètres, recousue. On ne doit pas regarder dedans, on ne doit pas l’exposer trop longtemps à l’air libre. Ce que je ressens quand je m’examine dans le miroir, sans la canule qui cache ce trou et sans le foulard, comment te le décrire ? Même mes yeux lunaires y perdent leur éclat. « On ne peut pas effacer ton histoire, elle est écrite sur toi », me répétait ma mère"

Peut-on effacer l'histoire de Saada ? Comme lectrice je me pose la question ? 

P33 "Tu vois, petite étrangère imprévue, si tu viens au monde dans ce pays, tu
prends un risque. Il y aura des années où tu mangeras à ta faim,
d’autres où l’on te mangera, et d’autres encore où l’on t’égorgera. Tu
paieras le rêve alambiqué d’un vieux prophète, et quelqu’un te
violera. D’ailleurs, les moutons du ciel rachètent uniquement les
garçons, pas les filles. Quand le fils d’Ibrahim est une fille, l’histoire
finit toujours dans le sang. Tends l’oreille et écoute les moutons.
Entends-tu ? Ils bêlent.

Le mot mouton est répété 15 fois, Ibrahim 14 fois, Prophète 35 fois, verbe égorger et ses déclinaisons  151 fois. 

P36 « Regarde ma canule : c’est ce gros bouchon en plastique, comme la moitié d’un robinet qui colle à mon cou, il cache la fosse dans ma gorge. On dirait le bout d’un tube de dentifrice, une flûte avec un seul trou. C’est par cet endroit que je respire, c’est le trou à la surface de ma peau. »

p43"Les jeunes d’Oran, torturés par le désir de partir vers l’Europe, la traitent comme une femme qui ne veut pas écarter les cuisses."

( Le mot cuisse est répété 20 fois dans Houris, l'auteur désigne toujours des cuisses féminines sexualisées , "cuisses écartées des femmes", "cuisses mouillées", "cuisses d'une fillette égorgée" )

P 45 /46 « La matinée avance. Je dois te montrer une chose : comment changer une canule. Si tu l’effleures doucement avec les doigts, alors, tu vas la sentir ; mais de là où tu te trouves, j’ignore si mon appareil de « plongée » peut être distingué. Peut-être que tu n’entrevois qu’une percée très haut dans ton univers. C’est un peu ta lucarne, non ? Là, c’est l’ouverture de la trachéotomie, elle a cicatrisé depuis vingt ans. Le « sourire » n’a pas de dents, juste des points de suture, une quinzaine ; c’est une longue grimace, une balafre ahurissante. C’est par cette cavité que j’inhale l’air nécessaire pour nous deux, que j’appelle à l’aide dans mon cauchemar. Je crie, mais les mots émergent, ridicules, car une partie de mon souffle sort par ma bouche et l’autre siffle à travers mon entaille. Étrange bouche sans lèvres et où la seule langue supposée est la tienne à venir si tu devais vivre. Non, je mens. C’est un trou qu’on m’a percé pour respirer lorsqu’on me sauva la vie le 1 er janvier 2000. Après, il y a eu d’autres tentatives pour fermer cette crevasse de chair, la rafistoler, l’élargir, y planter des cordes et une voix, la rééduquer, mais elle est restée muette, ou presque. Et petit à petit, ce « sourire » a modifié mon visage en une sorte de hublot et mon corps en scaphandre pour mes plongées dans l’air et le soleil. Je respire par cette canule et j’avale par la bouche, juste au-dessus. La canule, c’est ce morceau de ma vie glacé, blanc et bien emboîté. Elle est fabriquée de plastique et non de chair. Je la porte depuis l’âge de cinq ans, depuis la première semaine après ma naissance miraculeuse, mon retour dans le monde des vivants, et elle fait partie de moi. Dès que le « sourire » cicatrisa, la première année, mon œsophage desséché se réhydrata lentement. On m’introduisit alors un tube par lequel je pus remonter à la surface de la vie et inspirer comme une noyée sauvée. »

P46 Chaque fois que je dois retirer la canule pour la nettoyer ou la remplacer, je dois d’abord me désinfecter les mains, puis bloquer ma respiration pendant l’opération. Ainsi, on ne tousse pas et on n’étouffe pas. La précédente canule comportait un gros ballonnet, après les interventions ratées. Il fallait le dégonfler pour les séances d’hygiène. Tu sens ? Tout doucement, là. Ensuite ? C’est le pansement et les gants qu’il faut jeter. À quel rythme est-ce qu’on la change ? Une fois par semaine. Je m’exécute à l’heure de la prière du vendredi, lorsque l’imam voisin hurle au nom de Dieu.

Ces deux passages frappent le lecteur par leur technicité médicale mais aussi par la cruauté de la narratrice envers elle même. Pourquoi ce sadisme ? cette auto brutalité de la narratrice envers elle-même ? 

P47 « Tu sais comment on embrasse quand on porte une canule et qu’on a un trou dans la gorge pour aspirer ? Comme les autres. On peut même embrasser des heures et des heures sans reprendre son souffle alors que le partenaire étouffe. Il est dangereux d’embrasser une sirène. J’ai dû tout apprendre, ma Houri : pas à embrasser, mais à respirer par la canule ; à synchroniser la respiration et mes premiers mots après mon sauvetage, à apprivoiser mon souffle pour qu’il ne me tue pas, à nager avec. On ne mange pas tout ce qu’on veut. »

P 48 « Viens, je te montre cette crevasse rouge et humide dans l’autre miroir, celui du salon, je ne l’ai pas cassé. Je retiens la canule blanche avec un anneau en plastique afin qu’elle ne tombe pas de mon cou, ce qui donne l’impression que je viens tout juste d’être opérée et qu’on m’a à peine recollée à mon torse. Cet appareil que je porte était la seule solution ; sinon la mort. Donc les docteurs l’ont installé ; le blanc finit toujours rouge de sang et les mots restent dans ma gorge. La première fois qu’on me l’a posé, j’ai crié, asphyxiée par la panique, et ils ont souri, satisfaits. Le cri prouvait la vie ; en revanche, ma respiration était piégée.

p 50 "Voici la liste des choses que je n’aime pas, ma mère la connaît par cœur : je déteste les grandes
valises sous les lits, les déplacements de meubles chez nous à cause du ménage, les traits de ma mère quand elle me supplie de
manger, ses jointures noueuses de remords, son regard perdu qui refuse d’atteindre le monstre en moi et de l’éclairer pour ce qu’il est. Je déteste les enfants aussi. Ils ont des yeux qui croient tout savoir sur nos tréfonds, ils ricanent avec une animalité ancienne et sincère, ils sont imbéciles et surtout, ils m’examinent comme si j’étais sortie d’un film d’horreur. Ils ne se soucient pas de trouver les mots pour camoufler la frayeur ahurie que leur inspire mon « sourire ».

p54 "? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Dieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », car nous sommes la grande salissure. Que veux-tu ? Toutes les femmes sont comme moi, même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge, ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie.
C’est ça être femme ici. Le veux-tu vraiment ?"

p61 "Dans son cabinet, le docteur installa, entre lui et ses patientes, un rideau noir. Sa femme fut chargée des palpations, des examens
invasifs, des vérifications entre les jambes écartées. Et lui, des prescriptions et des conseils. Oui, je te jure ! Sa femme palpait et
elle lui décrivait les organes, les textures, les baves intimes ou les cris des patientes. De l’autre côté du rideau, il lançait ses diagnostics
tel un Dieu occulte. " 

p62 " Une femme qui vit de décrire le sexe d’autres femmes à son mari, voilà une histoire étrange. Elle récita un verset
plus fiévreux et m’écarta les cuisses pour me glisser l’instrument froid dans le sexe. J’étais allongée, les fesses au bord de la table et
les pieds relevés par les étriers. Tu devais reculer au plus profond de ton trou pour te préserver de ses yeux plissés."

p66" Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant. Car dans ce pays, on nous aime muettes et nues pour le plaisir des
hommes en rut." 

p77 "Les hommes souvent s’étonnent de mes tatouages, ils me posent des questions et j’invente des mensonges :
les épis, c’est le ventre et la générosité. Les épis, c’est la récolte. Les épis ? C’est juste des épis. Quand les amoureux atteignent ce
champ de blé, déjà ils gémissent et il ne leur reste plus de tête pour écouter mes explications. Ce qu’ils veulent c’est toucher, les yeux
clos, le cheval figé. Il est tout petit, dessiné au-dessus de mes poils pubiens. Le cheval, ma fille, c’est le deuxième souvenir de ma vie
avec ma sœur. "

p243 "Quand il se retourne vers moi, il découvre ma cicatrice, cette fois entièrement offerte, nue, exposée comme le sexe velu de la mort. Il accuse le coup, très brièvement, mais ne paraît pas s’épouvanter de ma balafre et se force à encaisser la faille dans sa langue et sous mon cou. Puis je crois qu’il se pétrifie, extasié quelque part, les lèvres tremblantes, transi comme une peau froide au soleil. C’est la première fois que mon « sourire » fait cet effet sur un homme. "

Ce que fait Kamel Daoud ici porte un nom en littérature, "le body horror", sous genre de l'horreur qui  expose intentionnellement des violations  psychologiquement perturbantes du corps humain. 

p297" Il est interdit d’enseigner, d’évoquer, de dessiner, de filmer et de parler de la guerre des années 1990. Rien de rien."

Mensonge de Kamel Daoud relayé par Gallimard et par toute la presse française, lire l'article de Faris Lounis à ce sujet. 

Voir aussi le roman Bientôt les vivants, d'Amina Damerdji  sur la décennie noire publié chez Gallimard en 2024  !!!! ça ne s'invente pas

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