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Billet de blog 5 mars 2024

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Le suprémaciste, les élus, et la déchéance de nationalité …

Nous interpellons ici Jean Victor Castor, Davy Rimane, Sandra Trochimara, ainsi que les partis dont ils sont membres (MDES, NFG), et les organisations hexagonales qui en sont proches (LREM, PCF) : L’opposition au colonialisme français ou l’opportunisme politique justifient-ils de s’allier avec les pires réactionnaires ? Avec des personnalités ouvertement racistes et suprémacistes ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors de sa dernière tournée en Guyane, Kemi Seba s’est affiché avec d’importantes personnalités locales. Parmi elles, les deux députés Davy Rimane et Jean Victor Castor, qui siègent dans le groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine aux côtés du PCF (dont ils ne sont pas membres, le premier étant sans étiquette, le second étant membre du MDES, parti historique de la gauche indépendantiste) ; ainsi que Sandra Trochimara, la maire de Cayenne (membre des NFG, organisation guyanaise proche de LREM), qui lui a remis la médaille de la ville.

Bien qu’il soit probable que cette démarche de la part des élus soit principalement opportuniste, Kemi Seba bénéficiant d’une importante popularité dans les territoires toujours colonisés par la France (ainsi que dans toute l’Afrique francophone), elle reste néanmoins extrêmement problématique. Rappelons qui est le personnage.

Kemi Seba commence à s’investir en politique auprès du groupe afro-américain Nation of Islam et de la sphère dieudo-soralienne. En 2004, après un passage au Parti Kémite, il fonde la Tribu Ka. Il y prône la séparation radicale entre les « leucodermes » (c’est-à-dire les blanc·hes) et les « mélanodermes » (c’est-à-dire les noir·es), ces dernier·es ayant plus ou moins tout inventé et tout construit avant d’être réduit·es en esclavage par les Européen·nes, manipulés par le « sionisme » (qu’il définit dans la plus pure tradition des Protocoles des Sages de Sion comme « un système global d’oppression mené par des personnes de confession juive »). Le discours de Kemi Seba est donc ouvertement raciste.

En 2006, son groupe est dissout suite à une descente musclée organisée par ses partisans dans le quartier juif de Paris et à un courrier aux organisations juives dans laquelle il menace de s’en prendre à des rabbins si du mal est fait à Youssouf Fofana (le meurtrier d’Ilan Halimi). Lors de son procès, Kemi Seba se fend aux journalistes de quelques déclarations qui illustrent l’idéologie du personnage : « Nous [Kemi Seba et le Bloc Identitaire] avons les mêmes objectifs : séparer les Noirs et les Blancs […] Ce qui m’intéresse, c’est de monter en haut de la pyramide, et ce sont les Juifs qui sont en haut ». Cela n’empêche pas l’orateur de continuer son aventure politique : il fonde un autre groupe (Génération Kemi Seba), qui fait le buzz après avoir qualifié Christiane Taubira de « macaque » et écrit que le FMI était « tenu par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur terre« .

En 2008, quand Dieudonné fait applaudir sur scène le négationniste Robert Faurisson avant de lui décerner le prix de « l’infréquentabilité et de l’insolence » par un régisseur habillé en pyjama rayé avec une étoile jaune à la poitrine, Kemi Seba est présent dans la salle. Sont également de la partie Jean-Marie Le Pen, Frédéric Chatillon et Alain de Benoist. Puis il crée le Mouvement des Damnés de l’Impérialisme, auquel participent notamment le nazi Boris Le Lay et les skinheads de la Droite Socialiste (devenue le Parti Solidaire Français). On peut lire dans ses textes de fondation : « Contrairement aux bobards de la mafia sioniste, le melting pot Talmudico-US n’est pas la seule option sur la table. […] L’union des nationalistes blancs, des panafricains, des musulmans dignes est fondamentale si nous voulons avoir une chance de survivre au plan atlanto-sioniste de domination globale. […] Il s’agit d’inventer une alternative au métissage industriel censé détruire les pôles de résistance que sont les peuples et leurs traditions face au rouleau compresseur mondialo-sioniste. »

Depuis, Kemi Seba a un peu lissé son discours. Si on l’entend moins dans l’hexagone, il a énormément gagné en popularité dans les territoires ayant été ou étant toujours colonisés par la France. Il y a créé une nouvelle organisation (Urgences Panafricanistes), qui mène campagne contre le colonialisme français, la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest), le Franc CFA et s’oppose notamment aux dirigeants proches de la Françafrique (Patrice Talon, le président béninois, semble être en ce moment son adversaire principal). Cela lui vaut parfois d’être arrêté lors de ses tournées internationales (comme au Sénégal en 2020 ou au Bénin en 2023, où il est défendu par Juan Branco, avocat bourgeois aux tendances conspirationnistes), mais à chacun de ses passages il est invité par les médias et peut diffuser son discours politique.

Il arrive cependant parfois que le vernis craque et que ses vieilles positions antisémites ressortent, comme lorsqu’il réagit sur X au massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 : « Le colonialisme est un crime contre l’Humanité. Ceux qui résistent au colonialisme ne sont pas des terroristes mais des résistants. Solidarité éternelle avec le Hezbollah (ici à Beyrouth avec le Ministre des relations internationales du Hezbollah, Sayed Ammar Al-Moussawi) qui au nom de l’anticolonialisme, soutient notre organisation Urgences Panafricanistes depuis des années . Et soutien au Hamas, qui ne fait que lutter contre le colonialisme. »

Son discours bénéficie également d’un important soutien médiatique et financier de la part de la Russie (il a été financé à hauteur de 400 000€ par le groupe Wagner, invité à Saint Petersbourg lors du sommet Russie-Afrique, fait des conférences universitaires à Moscou, etc.). En échange de cela, il relaie une propagande défendant le Kremlin auprès de son public et soutient les nouveaux régimes militaires du Sahel (Mali, Burkina-Faso, Niger) et l’Alliance des États du Sahel qu’ils tentent de mettre en place en concurrence à la CEDEAO. Le programme est donc de remplacer le colonialisme français par le colonialisme russe.

Il bénéficie également du soutien du régime criminel iranien : le 10 décembre 2023 on le voit ainsi faire une conférence de presse depuis le Ministère des Affaires Étrangères iranien, à Téhéran, où, sous l’œil bienveillant d’un portrait de l’ayatollah Khomeini, il dénonce « la domination du monde occidental et du lobby sioniste« . Ce soutien est revendiqué par l’orateur, ainsi dans une vidéo du 2 avril 2023 il déclare « On a demandé, que ce soit aux Iraniens, aux Cubains, ou aux Russes, on leur a dit, parce qu’en 2017 c’était Alexandre Douguine [idéologue d’extrême droite russe, notamment fondateur du Parti National Bolchevik], et en 2018 on a commencé à rencontrer Prigojine [dirigeant du groupe de mercenaire Wagner, mort en 2023 après une tentative de coup d’État en Russie], on leur a dit : on a besoin de ça pour des actions de mobilisation, on a besoin de ça pour des déplacements, etc.« 

Kemi Seba est donc un politicien raciste financé et soutenu par des régimes criminels. 

Pour autant, nous nous opposons aux annonces gouvernementales visant à le déchoir de la nationalité française. 

Une telle démarche est profondément raciste, notamment parce qu’étant donné qu’il est interdit de créer des apatrides, elle ne peut toucher que les personnes bénéficiant de la double nationalité. Ainsi, Kemi Seba n’est visé que parce qu’il est franco-béninois. Des Français·es tout autant racistes qui évoluent dans l’orbite plus ou moins proche du Rassemblement National ou de Reconquête ne sont pas concernés. Exemple le plus extrême, Boris Le Lay, poursuivi par la justice et réfugié au Japon d’où il anime le site nazi « Démocratie Participative », n’est absolument pas visé par un tel type de procédure. En pratique, la déchéance de nationalité vise donc des personnes issues de l’immigration. Il est de ce fait nécessaire de nous y opposer. 

Le raciste Kemi Seba doit être combattu, jugé et condamné, mais il ne peut l’être sous l’angle de la double nationalité héritée de ses parents ou de ses origines.

De plus, cette procédure de déchéance de nationalité est lancée au titre de l’article 23-7 du Code Civil. En conséquence, ce qui lui est reproché n’est pas son discours raciste et suprémaciste, mais de se « comporter en fait comme le national d’un pays étranger« . Accusation qui est détaillée dans le courrier qui a été envoyé à Kemi Seba : « Vous diffusez des messages particulièrement virulents voire outranciers contre la France, ses représentants et ses forces militaires, incitant à la rébellion contre les autorités locales jugées proches des autorités françaises. […] Vous diffusez des messages hostiles à la France, critiquant la présence française en Afrique que vous qualifiez de néocolonialisme. […] Votre comportement et vos propos révèlent une posture constante et actuelle résolument anti-française. » Concrètement, le gouvernement français lui reproche de menacer les intérêts français en Afrique.

La présence française en Afrique est illégitime et coloniale. Elle s’appuie sur des régimes clients, sur une présence militaire directe et sur des institutions héritées de la colonisation, comme la CEDEAO et le Franc CFA. Au nom des intérêts de la France, les gouvernements successifs depuis les décolonisations ont mené en Afrique des opérations militaires, soutenu des dictatures et des coups d’État, financé des génocidaires, et contribué aux pires horreurs. Cette présence doit cesser et nous condamnons toute tentative de criminaliser l’opposition à celle-ci.

Pour autant, nous interpellons ici Jean Victor Castor, Davy Rimane, Sandra Trochimara, ainsi que les partis dont ils sont membres (MDES, NFG), et les organisations hexagonales qui en sont proches (LREM, PCF) : L’opposition au colonialisme français ou l’opportunisme politique justifient-ils de s’allier avec les pires réactionnaires ? Avec des personnalités ouvertement racistes et suprémacistes ? Nous réaffirmons au contraire la nécessité d’articuler la lutte anti-coloniale avec une analyse politique claire et exclusive de toute idéologie raciste ou logique conspirationniste qui débouche systématiquement sur l’antisémitisme.

Illustration 1
Kemi Seba recevant la médaille de la ville de Cayenne des mains de la maire, Sandra Trochimara
Illustration 2
Kemi Seba aux côtés des deux députés Jean-Victor Castor et Davy Rimane

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