Les législatives viennent de se terminer. A l’issue de celles-ci, l’extrême-droite, bien qu’elle ait échoué à obtenir la majorité à l’Assemblée Nationale, progresse d’une cinquantaine de sièges. Nombre d’entre nous se sont investi·es dans des collectifs, syndicats, associations, pour éviter le pire, à savoir une majorité acquise au Rassemblement National. La campagne éclair a été éprouvante et l’antisémitisme en a été un thème majeur. Ce point était largement prévisible, le sujet restant en effet l’un des principaux points faibles de la gauche, malgré nos alertes depuis des années. Les politicien·nes et les médias de droite et d’extrême-droite ne se sont donc pas privés de l’utiliser.
Il y a en effet un problème d’antisémitisme à gauche et plus particulièrement à La France Insoumise. Ce constat semble évident quand nous en parlons dans nos communautés ou nos familles. Un sondage récent avançait ainsi que 92% des Juifs et des Juives de France estimaient que LFI faisait monter l’antisémitisme. A gauche, cela semble pourtant beaucoup moins clair. Bien des choses ont été dites et écrites sur le sujet, de nombreuses tribunes ont été publiées et il vient une certaine lassitude quand on lit encore un·e sympathisant·e LFI demander qu’on lui explique le problème, quand bien même cela a été fait des dizaines de fois.
Préjugeons cependant de sa bonne foi et essayons quand même. Voici un recueil de citations. Pour des raisons de lisibilité, nous nous sommes concentrés sur Jean-Luc Mélenchon et n’avons pas abordé la situation d’autres personnalités de son parti. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur quelqu’un comme David Guiraud ou Rima Hassan, mais ce n’est pas l’objet de ce texte. Même avec cette limitation, cette sélection est sans doute loin d’être exhaustive.
– Au congrès du Parti de Gauche, le 23 mars 2013 : « Comment le même homme demain à la même table si on lui dit ‘mais M. Moscovici vous n’avez pas fait ci, vous n’avez pas fait ça, vous avez accepté telles dépenses sociales et tout…’ Comment il va pouvoir dire ‘non’ vu qu’il a déjà dit ‘oui’ pour les chypriotes ? Il peut plus. Donc il se met dans leurs mains. Donc c’est un comportement irresponsable, ce qu’il a eu. Ou plus exactement c’est un comportement de quelqu’un qui ne pense plus en français, qui pense dans la langue de la finance internationale. Voilà.«
– Aux universités d’été du Parti de Gauche, le 24 août 2014 : « La République, c’est le contraire des communautés agressives qui font la leçon au reste du Pays. […] Ces valeurs sont que nous sommes toujours du côté du faible et de l’humilié parce que nos valeurs, c’est liberté, égalité et fraternité. Pas la paix aux uns, la guerre aux autres. Nous ne croyons pas à un peuple supérieur aux autres.«
– Sur son blog, le 16 août 2015 : « Un grand changement se voit dans l’opinion sur le thème. Je le note en constatant l’absolue impuissance des habituels manieurs pervers du rayon paralysant : l’accusation d’antisémitisme assénée à tort et à travers, à tous propos et hors de propos, sur tout le monde et n’importe qui, n’impressionne plus personne. C’est un résultat lamentable de l’abus qui a été fait de cette accusation. Car l’antisémitisme est une réalité comme le racisme en général dont il est une expression particulière. Mais à force de l’utiliser pour interdire tout débat sur la politique des gouvernements d’Israël, ou pour régler des comptes politiques, l’argument a changé de sens aux yeux du plus grand nombre en perdant son objet réel. L’accusation d’antisémitisme est surtout devenue l’argument de confort pour habiller le soutien inconditionnel à un gouvernement étranger dont la majorité des Français, toutes confessions et opinions politiques confondues, réprouve le comportement.«
– Sur son blog, le 5 mai 2017 : « Aucune bassesse ne fut de trop, aucune infamie ne fut négligée. Tout y passa, de la pseudo panique boursière jusqu’au plus viles insinuations dans lesquelles excella, cela va de soi, le plus doué pour cet exercice, le misérable François Hollande me traitant de dictateur. Sans oublier le bon vieux rayon paralysant certes bien démonétisé par l’abus d’usage : l’accusation d’antisémitisme et le pilonnage des sectes communautaristes de tous poils.«
– Sur son blog, le 17 juillet 2017 : « Après cela, déclarer que la France est responsable de la rafle du Vel’ d’Hiv’ est là encore un franchissement de seuil d’une intensité maximale. […] La France n’est rien d’autre que sa République. À cette époque, la République avait été abolie par la révolution nationale du maréchal Pétain. Dans cette vision de l’Histoire, la France, à cette époque, était à Londres avec le général De Gaulle et partout des Français combattaient l’occupant nazi. Sur le territoire national, il n’y avait rien d’autre qu’une nation dirigée par un régime de fait dans un pays dont la moitié était occupée par les armées nazies et l’autre moitié dirigée par des gens qui avaient imposé de force une idéologie jumelle. Jamais, à aucun moment, les Français n’ont fait le choix du meurtre et du crime antisémite ! […] Non, non, Vichy ce n’est pas la France !«
– Sur son blog, le 4 décembre 2017 : « Cela peut paraître incroyable, mais j’ai cru Léa Salamé de bonne foi quand elle m’a invité. Je l’ai cru quand elle m’a dit « on n’est pas en période électorale, je vous laisserai parler ». J’ai cru à un super débat sur les deux doctrines économiques en présence et ainsi de suite. Je ne me suis pas préoccupé de ses liens familiaux et communautaires politiques.«
– Sur Europe 1, le 17 décembre 2017 : « Je suis hostile à tous les communautarismes. Celui du Crif est particulièrement agressif. […] C’est une association communautaire qui en plus manie un rayon paralysant. Dès que vous dites quelque chose qui ne leur plaît pas, pouf ! vous voilà repeint en antisémite. Et on vous dit : ‘vous n’êtes pas invité au dîner’. Mais je m’en fous moi. J’ai pas envie d’y aller.«
– Sur son blog, le 29 septembre 2018 : « En général quand une campagne électorale voit un homme de gauche être traité d’antisémite c’est qu’il n’est pas loin du pouvoir. »
– Sur son blog, le 13 décembre 2019 : « Corbyn a passé son temps à se faire insulter et tirer dans le dos par une poignée de députés blairistes. Au lieu de riposter, il a composé. Il a du subir sans secours la grossière accusation d’antisémitisme à travers le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud (parti d’extrême droite de Netanyahou en Israël). Au lieu de riposter, il a passé son temps à s’excuser et à donner des gages. Dans les deux cas il a affiché une faiblesse qui a inquiété les secteurs populaires. […] Tel est le prix pour les « synthèses » sous toutes les latitudes. Ceux qui voudraient nous y ramener en France perdent leur temps. En tous cas je n’y céderai jamais pour ma part. Retraite à point, Europe allemande et néolibérale, capitalisme vert, génuflexion devant les ukases arrogante des communautaristes du CRIF : c’est non. Et non c’est non.«
– Sur BFM TV, le 15 juillet 2020 : « Écoutez, je ne sais pas si Jésus était sur la croix. Je sais qui l’y a mis, parait-il, ce sont ses propres compatriotes. Donc vous voyez qu’en matière de méchanceté mutuelle, l’imagination est là depuis quelques temps.«
– Sur France Inter le 6 juin 2021 : « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Cela a été Merah en 2012. Cela a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs-Elysées, avant, on avait eu Papy Voise dont plus personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus, permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà, c’est bateau, tout ça. »
– Sur BFM TV, le 28 octobre 2021 : « Monsieur Zemmour ne doit pas être antisémite parce qu’il reproduit de nombreux scénarios culturels : “On ne change rien à la tradition, on ne bouge pas, la créolisation mon dieu quelle horreur”. Tout ça, ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. »
– Sur Twitter le 8 octobre 2023 : « Madame Borne profite de la guerre au Moyen-Orient pour mener sa guerre contre LFI. J’ai exprimé la position constante de notre pays depuis De Gaulle. Le ralliement de la Première ministre à un point de vue étranger est avéré si l’on se donne la peine de me lire. »
– Sur Twitter, le 22 octobre 2023 : « Voici la France. Pendant ce temps Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! »
– En meeting, le 18 avril 2024 : « Moi je n’ai rien fait disait Eichmann, je n’ai fait qu’obéir à la loi telle qu’elle était dans mon pays. Alors ils disent qu’ils obéissent à la loi et ils mettent en œuvre des mesures immorales qui ne sont justifiées par rien ni personne. Celui qui a cédé, président de l’université dont on me dit que par ailleurs c’est un brave homme, ce que je veux bien croire, mais à l’instant où il avait à décider, il n’était plus un brave homme singulier, il était le président d’une université, c’est-à-dire d’un lieu de la liberté de l’esprit où il faut quoiqu’il en coûte tenir bon pour la liberté. Parce que c’est son rôle. Alors il s’est aplati, il s’est couché. »
– Sur son blog, le 2 juin 2024 : « Faites un test de sensibilité comparée : essayez de comparer le martyr de Gaza et celui du ghetto de Varsovie, fut-ce de loin, et vous verrez vite la différence de capacité d’indignation. […] Car contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France. Il est en tous cas totalement absent des rassemblements populaires.«
Certains de ces extraits paraîtront plus problématiques que d’autres, mais tous dessinent déjà une tendance, qu’on pourrait résumer aux quelques points suivants :
– Une défrancisation (cf. Pierre Moscovici et Yaël Braun-Pivet) ou un renvoi à sa communauté (cf. Léa Salamé et Eric Zemmour) quand la personne qui s’oppose à Jean-Luc Mélenchon est juive.
– La considération de l’antisémitisme non pas comme un problème grave (il est « résiduel ») mais comme une manœuvre politicienne (un « rayon paralysant », un « argument de confort »), en conséquence un refus de toute remise en question (qui reviendrait à « afficher une faiblesse »).
– La reprise de thèmes complotistes (« Cela a été Merah en 2012 ») ou supposant un pouvoir occulte aux Juifs et aux Juives (« les ukazes arrogantes des communautaristes du CRIF »).
– La reprise de préjugés de l’antisémitisme classique européen (« peuple supérieur aux autres », « Jésus sur la croix »).
Remarquons également que la plupart de ces citations ne portent pas sur le conflit israélo-palestinien, ce qui rend sans objet l’argument du « Est-il permis de critiquer Israël ? », déclinaison de gauche du « On ne peut plus rien dire ». De plus, ces tendances ont été répétées à plusieurs reprises, à plusieurs années d’intervalle. Elles ne constituent donc pas des « dérapages », mais une tendance de fond. Certes, l’antisémitisme ne figure pas (et heureusement) au sein du programme de LFI, mais comme pour tous les systèmes d’oppression la haine des Juives et des Juifs n’a pas besoin de cela pour produire des effets concrets. La diffusion de tropes et de préjugés antisémites a pour conséquence d’exclure la majorité des Juifs et des Juives des cadres politiques de mobilisation. La posture arc-boutée du leader de LFI consistant à disqualifier tout accusation d’antisémitisme comme relevant de l’attaque bassement politicienne et de l’instrumentalisation souffle également l’idée de l’inexistence même de l’antisémitisme et partant, enferre de nombreux militant·es de ce mouvement politique dans une logique de dénégation agressive et confuse. Plus grave, les discours antisémites multiplient les risques de passages à l’acte : rappelons le, l’antisémitisme n’est pas qu’un discours. Il tue, viole et blesse. Celles et ceux qui, consciemment ou non, le propagent ont leur part de responsabilités dans cela.
Nous espérons que ces quelques citations convaincront les dernier·es récalcitrant·es qu’il y a réellement un problème d’antisémitisme à gauche et qu’il convient de le régler. Cela non seulement pour faire progresser notre bord politique et pour que les Juifs et les Juives puissent y militer en sécurité, mais également afin de cesser de prêter le flanc aux réactionnaires, qui voient la faille et sont bien heureux de l’instrumentaliser dans un but électoraliste, comme ils l’ont fait sans vergogne durant le mois qui vient de passer.