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Billet de blog 11 mars 2024

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Pour un féminisme internationaliste, antiraciste et contre l'antisémitisme

Après un 8 mars triste et confus, réaffirmons un féminisme internationaliste, antiraciste et contre l'antisémitisme

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Après le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous souhaitons rappeler que les femmes juives ont eu un rôle immense dans les luttes féministes, syndicales et socialistes. L'idée de cette journée a ainsi été proposée initialement par Theresa Serber Malkiel [1], juive russe ayant immigré aux Etats-Unis, qui s'est battue pour le droit de vote des femmes, pour le droit des travailleur·ses notamment immigré·es. Le fait que son nom soit si peu connu, témoigne d'une historiographie qui efface sans cesse les personnes racisées et minorisées de genre de l'histoire des luttes qui ont bénéficié à toustes. Nous portons la mémoire de ces combats et plus que jamais nous nous indignons quand ils sont déconsidérés, méprisés ou oubliés.

C'est fort·es de cette histoire que nous souhaitons dénoncer aujourd'hui le fait qu'en 2024 les personnes juives minorisées de genre soient tétanisées face à un mouvement d'émancipation féministe en France qui peine à les entendre et les considérer. On se souvient du 25 novembre dernier, pour la marche contre les violences sexuelles : beaucoup d'entre nous n'avaient pas réussi à faire entendre leurs voix et leur légitime colère concernant les violences sexuelles qui avaient ciblé des femmes israéliennes le 7 octobre. 

Nous nous interrogeons, si ce soutien féministe qu’on attend à l’égard de toutes les femmes victimes ne vient pas, est-ce parce qu'elles sont juives ou supposées telles ? 

En effet, indépendamment du caractère antisémite des violences du 7 octobre, c’est bien en l’occurrence sur la réception en France que l’on dénonce, au mieux, la minimisation, au pire, la négation des violences sexuelles. Où est le soutien inconditionnel à toutes les victimes, quel que soit même le caractère raciste ou non des violences ?

Les paroles de Judith Butler la semaine dernière demandant à voir les preuves des viols des femmes israéliennes nous hantent. A-t-on déjà vu des féministes traiter avec autant de circonspection des victimes de violences sexuelles ? A-t-on déjà entendu de la part de militant·es féministes un tel silence, de telles minimisations et justifications, de tels soupçons ?

Aussitôt le rapport de l'ONU publié sur les crimes sexuels commis par le Hamas à au moins trois endroits de l'attaque, et le témoignage des otages libéré⋅es sur des actes de torture et de violences sexuelles, on a pu lire de la part de militant⋅es qu'il s'agissait en fait de mensonges, qu'il n'y aurait pas de preuves, et que l'ONU serait manipulée par "les sionistes". Dans ce rapport figure également le récit des entretiens en Cisjordanie avec des détenu·es palestinien·nes, hommes et femmes, faisant état de violences sexuelles sous la forme de fouilles corporelles et de menaces de viol de la part de forces de l'ordre israéliennes. 

Vous faut-il également voir des preuves ou décidez-vous de croire une seule catégorie de victimes ? Nier ces violences, toutes les violences, est indigne de quiconque se revendique de la gauche et d'un féminisme.

Il ne devrait y avoir "aucun débat sur l’existence des violences du 7 octobre ayant spécifiquement visé les femmes lors des massacres", comme nous l'écrivions dans un texte le 24 novembre. Il ne devrait pas non plus y avoir de "débat" sur une nécessaire solidarité avec les femmes palestiniennes dont les conditions de vie ou de survie empirent de jour en jour. Nous sommes horrifié⋅es de voir des soldats israéliens se photographier en exhibant sur les réseaux sociaux les sous-vêtements de femmes palestiniennes comme des trophées. Nous ne devrions romantiser ni soutenir aucun mouvement ni aucun Etat ni aucun groupe politique qui aspire à contrôler le corps des femmes, à les priver de leurs libertés, à punir les individus ayant des identités de genre et de sexualité considérées comme hors de la norme.

La lutte révolutionnaire, la lutte anticoloniale et la lutte antiraciste ne peuvent avoir de sens que si elles soutiennent le droit fondamental des personnes minorisées de genre à disposer de leurs corps, à avoir accès a la contraception, à l'IVG, à avoir le droit à une sexualité consentie et épanouie, à avoir le droit de travailler en dehors du foyer ou non, d'avoir des enfants ou non, de participer aux luttes sociales et politiques, de voter, d'être les acteur·ices de leur vie et non les seconds rôles des récits masculins hégémoniques, alors soyons clair·es : cela n'inclut ni le Hamas, ni le gouvernement Netanyahu et sa coalition de néofascistes, ni le gouvernement français actuel et sa volonté nataliste de lutte contre l'immigration, et certainement pas les Etats-Unis et l'explosion de leurs lois liberticides envers les femmes et les personnes trans, particulièrement les attaques contre l’IVG.

Le 7 mars, dans plusieurs villes de France étaient organisées des marches féministes radicales dans lesquelles nos militant·es ont vu et entendu des slogans antisémites. Comment peut-on encore les laisser passer ? Peut-on se représenter ce que vivent les militant·es juifves qui ont toujours participé à ces luttes ? 

Le 8 mars, à Bordeaux, les femmes du collectif Nous vivrons dénonçant les violences sexuelles ayant eu lieu le 7 octobre dernier en Israël ont été empêchées de manifester. L'inter-orga a considéré que la simple dénonciation de ces violences sexuelles ne pouvait être qu'une provocation "sioniste" provenant de "l'extrême droite" et de la Ligue de défense juive (LDJ), organisation d'extrême-droite. Résultat, le service d'ordre a physiquement empêché les femmes de Nous vivrons de rejoindre le cortège. À Paris, le même collectif a passé la manifestation entière sous les slogans "fascistes, sionistes, terroristes" ou encore "sioniste, casse-toi, la Palestine n'est pas à toi". Le collectif, composé de plus d'une centaine de femmes, était accompagné d'un service d'ordre d'hommes, certains masqués de noir avec des gants coqués. Nous dénonçons la présence de ce service d'ordre exclusivement masculin. Il convient également de dire qu'il ne s'agissait pas des fascistes de la LDJ comme bon nombre de personnes et de responsables politiques de gauche se sont pourtant empressé·es d'affirmer, mais du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), qui joue un rôle de service d'ordre et de protection communautaire devant les synagogues et écoles juives. Le collectif Nous vivrons n'est pas de gauche et notre conception du féminisme est très éloignée de la leur. Mais ce n'est pas cependant un groupe d'extrême-droite (c'est sur ce mensonge qu'a reposé son exclusion à Bordeaux). Il a pour objet de dénoncer les violences sexuelles subies par les femmes israéliennes, faits absolument niés, minimisés et relativisés dans une partie du mouvement social et féministe, et que nous n'avons cessé de déplorer depuis notre appel adressé au monde féministe de gauche. Aussi, malgré les grandes divergences qui nous opposent à ce collectif et notre condamnation de leur usage d'un service d'ordre exclusivement masculin, nous condamnons également et avec la plus grande fermeté le traitement qui lui a été réservé.

En aucun cas des femmes, qu'elles soient Israéliennes ou d'autres nationalités, ne peuvent être jugées comme fascistes ou terroristes du simple fait de leur lieu de résidence, de leur nationalité, de leur religion, de leur dénonciation des violences sexuelles comme arme de guerre. L'assimilation de la dénonciation des violences à l'encontre des femmes israéliennes à un soutien au massacre en cours à Gaza, est mensongère. Il est primordial de s'engager contre les deux.

Ces incidents sont symptomatiques de l'abandon des femmes israéliennes victimes de violences sexuelles par une partie conséquente de la gauche. L'attaque subie par le collectif, notamment par des membres d'Urgence Palestine, est une honte. De nombreuses femmes juives de ce cortège se sont fait attaquer sans comprendre pourquoi. Les mots d'ordre de Nous vivrons avant la manifestation étaient ceux-ci : "Nous devons accueillir cette place officielle qui nous est faite par un respect scrupuleux de l’organisation qui nous est imposée. (...) Zéro provocation. Zéro réponse aux provocations. Zéro propos hostiles aux organisatrices qui nous ont laissé une place. Pas de 'Israel Vivra/ vaincra ni de slogans en dehors de l'objet de notre venue à savoir : les femmes israéliennes victimes et les otages"

Après l'attaque de leur cortège dans deux villes au minimum, les réactions d'une partie du mouvement social, d'Antoine Léaument de La France Insoumise, à Raphael Arnault de la Jeune Garde Antifasciste, ont continué d'entraîner de la confusion et ont choqué nombre de Juifves de France. Il y a bien des critiques légitimes a faire des silences, des positionnements et actions du collectif Nous vivrons sur beaucoup de sujets, notamment leur amalgame entre critique du sionisme et antisémitisme, mais la confusion entre l'extrême droite et le collectif Nous vivrons est dangereuse. En plus d'être factuellement fausse, elle alimente une haine déjà présente dans le mouvement social envers les Israélien⋅nes et les Juifves. Il y a des critiques légitimes qui peuvent être faites aux sionismes, notamment leurs conséquences concrètes sur les Palestinien·nes, mais le mot "sioniste" n'est pas synonyme de "fasciste". 

Nous vivrons n'est pas le "pendant sioniste" de Némésis, groupe "féminin identitaire" que nous appelons à dégager de nos espaces de lutte sans ambiguïté. Le fait que de nombreuses femmes juives, y compris très éloignées de leur positions, se soient reconnues dans la dénonciation par Nous vivrons de l'insuffisance des réactions sur les violences sexuelles du 7 octobre ou des mécanismes de déni a l'œuvre, devrait a minima amener à une remise en cause. Nous le disons très clairement : votre confusion fait le lit de l'antisémitisme et provoque des agressions réelles. Prenez vos responsabilités, nous n'en pouvons plus.

Nous saluons l'acceptation de sa présence par l'inter-orga de la marche parisienne et appelons à nous réunir sur ce sujet avec les organisations composant le mouvement social afin de lever les ambiguïtés entre une lutte juste contre le fascisme et l'opposition au soutien aux femmes israéliennes et juives victimes de violences sexuelles.

Nous sommes des militant·es antiracistes et avons nos places en tant que personnes juives dans les cortèges antiracistes féministes. Nous avons le droit de nous sentir en sécurité dans nos organisations politiques et dans les manifestations qui nous concernent. Nous refusons l'injonction qui nous est faite de montrer patte blanche sur Israël-Palestine pour pouvoir y participer. Nous refusons que des gauchistes blanc·hes s’octroient le droit de traiter des femmes, des personnes queer et trans juives de "collabo" ou diabolisent Israël comme le "seul Etat colonial" au lieu de lutter aussi activement contre la FrançAfrique ou contre la politique française à Mayotte qu'ils ne le font contre Israël.

Nous dénonçons ainsi la ligne adoptée par une partie des mouvements féministes et queer qui, pour détourner l'attention de leur propre colonialisme (celui de la France), font du colonialisme israélien l'enjeu central des luttes pour l'émancipation, en n'hésitant pas à faire la chasse aux "sionistes" réel·les ou imaginaires, et ce jusque dans nos milieux militants. Surtout lorsque l’on sait que les antisémites utilisent ce terme pour désigner simplement les Juif·ves depuis sa popularisation par Soral et Dieudonné.

Nous refusons que des personnes racisé·es nous traitent de "blanc·hes" quand beaucoup de nos parents et grand-parents viennent des mêmes pays que les leurs. La blanchisation des Juifves dans certains discours "antiracistes" participe d’une même volonté de diaboliser les Juifves et de refuser de prendre en compte la réalité prégnante et indéniable de l’antisémitisme dans la société française et dans le monde en général. 

Nous le disions à la veille de la manifestation féministe du 25 novembre, et le répétons aujourd'hui, au lendemain du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes : ces violences nous traumatisent et nous excluent en tant que personnes minorisées de genre, et Juifves.

Pourtant, les positions en faveur de la paix, contre la colonisation et contre le fascisme sont claires au sein de JJR et ancrées dans le temps. 

Ce que nous revendiquons, c'est une position féministe internationaliste qui, sans nier les différences de rapports de force entre États, dénonce sans chantage ni conditionnement toutes les violences sexistes, sexuelles et de genre, qu'elles soient vécues par des Palestinien·nes, des Iranien·nes, des Israélien·nes, des Ukrainien⋅nes, et de toutes les nationalités. Les premières victimes des guerres sont les femmes et les enfants. Nous luttons pour une solidarité entre toutes les personnes minorisées de genre, nous luttons pour un monde où tous les viols et oppressions sexistes seraient condamnées sans réserve, pas d'un monde où leur gravité doit être "contextualisée", immédiatement remise en cause, niée, ou servir des agendas politiques. Nous croyons aux mouvements pour la paix et la justice, souvent portés par des femmes qui refusent de voir leurs vies, leurs maisons et leurs familles détruites pour nourrir les aspirations nationalistes ou ethnocentristes dont les racines sont aussi patriarcales et capitalistes. 

[1] Clara Zetkin, militante socialiste, allemande, souvent créditée comme initiatrice de la journée internationale des droits des femmes, avait en fait répondu à l'appel de Theresa Serber Malkiel du 4 décembre 1909 dans le journal socialiste New York Call. La 1e journée nationale des droits des femmes a eu lieu le 28 février 1910, Theresa S.Malkiel a pensé et développé l'organisation de cette journée : rassemblements, table-rondes, groupes de paroles, ateliers etc. Plus tard en aout, lors du deuxième Congrès international socialiste des femmes à Copenhague, Clara Z. va proposer une journée internationale des droits des femmes en s'appropriant tout le travail conceptualisé par Theresa S.M sans jamais la créditer. Malheureusement comme beaucoup de féministes juives et racisées.

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