Dès sa création, notre collectif et son réseau de sympathisants a été la cible de groupes fascistes : menaces de la Ligue de Défense Juive lors de notre création et lors de l’hommage à Ilan Halimi et toutes les victimes de racisme que nous avons co-organisé en 2021. Ciblages individuels de camarades.
Dans d’autres espaces organisationnels, des militants et militantes de JJR prennent une part active depuis des années dans la lutte antifasciste, face à l’extrême droite sous toutes ses formes et en font également les frais régulièrement.
La critique que nous souhaitons formuler n’est donc pas une critique externe, sans connaissance des difficultés concrètes et contradictions de la lutte antifasciste de terrain, mais une critique interne, fondée non seulement sur notre expérience de l’antifascisme mais également sur notre engagement contre l’antisémitisme et tous les racismes.
Peu avant le 1er tour des élections législatives, 8 militants de la Jeune Garde Paris ont été placés en garde à vue puis mis en examen et contrôle judiciaire pour « violences volontaires en raison de la race, de l’ethnie, de la nation ou de la religion » le 27 mai dans le métro parisien.
Ils sont accusés d’avoir agressé un jeune juif de 15 ans et d’avoir diffusé la vidéo de son agression. Cette affaire a d’abord été mis sous embargo médiatique puis révélée dans l’entre deux tours dans le canard enchainé, et a fait l’objet d’une large instrumentalisation par l’extrême droite, que nous récusons. L’extrême-droite n’est certainement pas en mesure de donner des leçons sur la question, et ne sera jamais une alliée de la lutte contre l’antisémitisme.
Néanmoins, au-delà des versions divergentes, cette affaire est révélatrice d’un problème politique de fond, celle de la manière dont l’antisémitisme doit être traité par le mouvement antiraciste. C’est ce fond que nous avons le devoir d’aborder, parce qu’il détermine aussi la place des Juifs et des Juives dans la lutte antifasciste.
Dans ses communications La Jeune garde reconnait une « altercation verbale » mais nie le caractère antisémite des faits, désignant le jeune ayant porté plainte comme « spotter » membre de l’un des groupes fascistes qui a attaqué peu avant le meeting de l’Université de Dauphine organisée par LFI.
De notre côté, nous n’avons aucun moyen d’avoir la certitude de l’appartenance du jeune en question à un groupe, celle-ci n’ayant pas été établie.
Quoi qu’il en soit, demander à un jeune adolescent juif de crier « vive la Palestine » avec un coup de pression collectif, même sans violence physique, n’est pas une pratique tolérable d’un point de vue antiraciste. Dans un contexte d’explosion depuis plusieurs mois des agressions antisémites, une telle pratique est politiquement irresponsable et moralement insoutenable.
Un antifascisme matériel incluant la lutte contre l’antisémitisme aujourd’hui autrement que par des rémanences à une lutte passée, ne peut ignorer qu’une partie des violences antisémites subies par la minorité juive ces dernières décennies à tous les degrés : des injures et du harcèlement, au viol et au meurtre, l’ont été entre-autres en assignant la minorité nationale juive à un soutien automatique à Israël et en les tenant collectivement coupables des agissements de cet État. Depuis l’attentat visant la synagogue Copernic en 1980, en passant par le meurtre d’enfants juifs à Toulouse en 2012 pour « venger les enfants palestiniens », la prise d’otages de l’Hyper cacher de la porte de Vincennes en 2015, jusqu’au viol de l’enfant de Courbevoie cette année. Ces crimes antisémites qui sont autant de traumatismes pour les Juifves en France ont un point commun : leurs auteurs ont voulu justifier leurs actes au nom d’un soutien dévoyé à la Palestine. La petite fille de 12 ans à Courbevoie qui a caché qu’elle était juive après avoir subi du harcèlement à l’école, a été assignée par ses bourreaux à sa judéité comme un marqueur nécessairement en faveur d’Israël et contre la Palestine. Rendre comptable des agissements de l’État d’Israël une personne parce que juive, est antisémite.
L’autodéfense face à une agression fasciste sera toujours légitime. Le mode d’action choisi alors ne relève pas pour nous de cette autodéfense, mais d’une pratique à bannir. Même dans l’hypothèse où il s’agisse de dissuader un adolescent qu’on soupçonne -sans certitude- d’appartenir à un groupe fasciste issu d’une minorité subissant le racisme de suivre des militants pour préparer l’agression d’un groupe organisé (spottage), le choix des modes d’actions ne peut pas faire abstraction du contexte raciste à l’œuvre, et ne doit pas y participer. Un antifascisme tel que celui revendiqué par la Jeune Garde ne peut ignorer cet état de fait.
La réaction du porte Parole de la Jeune Garde, Raphael Arnault, devenu depuis député, n’a pas non plus été à la hauteur. Celui-ci à tourné en dérision les questions légitimes posées par cette affaire en les mettant aux mêmes niveaux que les attaques de caniveau sur son « fichage S » liées à son action antifasciste.
Tourner en dérision ces questions, dans un contexte où depuis des mois les Juifs et les Juives vivent au quotidien des violences antisémites, c’est ne pas être à la hauteur ni de la situation ni du rôle de porte-voix de l’antifascisme qu’il entend se donner. Cette situation aurait dû -et devrait toujours- bien au contraire amener à une autocritique collective sur les carence idéologiques et organisationnelles qui ont conduit à un tel désastre, pain béni pour la propagande fasciste.
De tels agissements desservent le juste combat à mener pour la cause palestinienne, ils participent à la confusion ambiante entre lutte politique et antisémitisme.
Nous avons observé que Raphael Arnault propose de parler chez Guillaume Pley de la lutte contre l’antisémitisme, Pour ce faire et avant toute chose, nous l’invitons lui, ainsi que les membres actuels de la Jeune Garde à se former sur le sujet ainsi qu’à formuler des excuses publiques suite à cet événement déplorable. Il en va de la cohérence d’une idéologie et d’une pratique antifasciste que nous pensions partager avec ce groupe et qui aujourd’hui est, de fait, remise en question.
Nous invitons les groupes antiracistes et antifascistes conséquents à se rapprocher de notre collectif afin d’envisager une réelle prise en compte de la lutte contre l’antisémitisme et l’inclusion des juives et juifs dans ces espaces.