La constitution d’un front antifasciste est en soit une bonne nouvelle, bloquer le RN et le ramener à n’être que le troisième groupe à l’Assemblée nationale est une victoire relative, mais une victoire quand même. Dans ce contexte, la gauche a vu en son sein une idée revenir en force : former une gauche de rupture. L’idée serait de proposer une option de gauche radicale en opposition à la social-démocratie qui serait incarnée par le PS et les Écologistes. C’était l’idée du Front de gauche et c’est LFI qui prétend incarner cette rupture là. Une déclaration d’intention qui se concrétise dans un discours qui vise à aller chercher les abstentionnistes de gauche qui ne se reconnaissent pas ou plus dans des discours tièdes qui actent le renoncement à tout changement profond de la société.
Cette stratégie a également été bien comprise par une certaine tendance du courant décolonial, nébuleuse qui regroupe les anciens du PIR (Parti des Indigènes de la République) et des personnalités politiques à forte audience sur les réseaux sociaux (Houria Bouteldja, Wissam Xelka, Dany et Raz). Et cette pseudo-gauche de rupture devient très vite dans leurs discours l’alliance des « indigènes » et des « petits blancs ». Pour eux, le salut se trouverait donc dans la destruction d’un État racial, préalable qui ne semble pouvoir être discuté.
« Si la gauche de rupture doit poursuivre le détricotement du contrat racial, elle doit aussi conquérir les futurs « petits blancs » qui iront grossir les rangs du RN. »
Houria Bouteldja, le 23 juillet 2024
Toujours chez Bouteldja, on retrouve un discours qu’elle voudrait performatif pour le NFP. Après des années à se revendiquer être non de gauche mais « du Sud », sa stratégie consiste désormais à faire du lobbying au sein de la gauche plus ou moins radicale. Et la porte d’entrée est toute trouvée, la direction de LFI étant très attentive à cette sphère influente qui impressionne par ses discours pointus. En plus de se saisir d’une parole racisée décoloniale portée par les réseaux sociaux.
« Dans ce contexte, l’émergence du Nouveau Front Populaire, coalition électorale structurée autour de la France Insoumise, est à la fois un coin enfoncé dans le projet de Macron et une excellente nouvelle pour notre camp.
Elle vient acter un état du rapport de forces à gauche qui semble désormais acquis, même après un scrutin ayant donné l’avantage aux organisations plus modérées : Mélenchon est le pivot du camp de la gauche de rupture, dont le salut reposera en dernier ressort sur la victoire de son homme fort. Mais au-delà de la figure de Mélenchon, ce sont des options politiques précises qui sont ainsi posées comme étant au cœur de la proposition politique de la gauche : dénonciation de l’islamophobie et des violences policières, défense des droits du peuple palestinien (et plus récemment du peuple kanak) au nom de l’anticolonialisme, refus de l’alignement sur les positions atlantistes et volonté revendiquée d’en découdre avec les milieux d’affaires. Autant d’orientations totalement étrangères au logiciel socio-démocrate à la sauce PS-EELV. »
Houria Bouteldja, le 17 juin 2024
C’est dans ce contexte que, le 24 août 2024, une rencontre a eu lieu aux AMFIS (l’université d’été de LFI) où Zawa prod (collectif d’influenceurs de la mouvance décoloniale) organisait un show accueillant plusieurs cadres de LFI, ainsi qu’Usul.
Depuis le 7 octobre 2023, cette frange du courant décolonial est revenue sur le devant de la scène, dopée par l’adhésion de la gauche à la cause palestinienne.
LFI, dont certaines positions tiraient depuis longtemps vers le campisme (notamment au sujet des régimes criminels russe et syrien), s’est alors précipitée à sa rencontre, avec une absence de distance critique envers des discours parfois ambigus, parfois carrément antisémites, quand ce n’est pas une adhésion totale aux déclarations faisant des Juifs des citoyens à part. Rappelons que le PIR a longtemps loué le Hamas (en faisant de Cheikh Yassin une icône), puis accusé l’État français de philosémitisme.
Du côté de LFI, la posture pseudo-radicale sur un tel sujet permet de gagner le soutien d’une partie des sphères militantes d’extrême-gauche pour lesquelles la cause palestinienne est devenue une question quasi-identitaire et qui, sinon, rechignerait à soutenir un projet tout au plus mitterrandien.
De son côté, les anciens du PIR ironisent sur « des accusations vieilles de dix ans », « on est rentré dans leur tête ». Ils ont imposé à LFI l’idée que leur conception de la critique décoloniale était la seule option politique antiraciste existante et ont maintenant l’oreille du mouvement. Les critiques absurdes accusant LFI d’extrémisme ne font que les conforter.
Alors où se place t-on place là-dedans ?
LFI n’est pas d’extrême gauche et, loin de proposer une rupture, se révèle être une figure de style, une posture. Mais admettons. En tant que militant·es de gauche, nous souhaitons que la gauche opère un virage vers une transformation plus ambitieuse de la société : plus de justice sociale, plus d’égalité.
Nous nous retrouvons donc avec une option de « gauche de rupture » : l’influence de cette frange du mouvement décolonial, profondément conservatrice et diffuseuse d’antisémitisme, laisse songeur. De l’autre côté, il existe une gauche qui relativise ou justifie l’islamophobie, au nom de la raison et de la laïcité. Si le Printemps Républicain n’a plus rien à voir avec la gauche, les dégâts occasionnés sont réels et profonds, et son discours trouve toujours des échos au sein de la plupart des formations politiques.
Pour les premiers, toutes celles et ceux qui les attaquent sont des sionistes de gauche, disqualifiés d’office. Pour les seconds, nous n’existons pas.
Ne nous retrouvant dans aucun de ces discours, nous sommes donc sur une ligne de crête. Il nous incombe donc, pour exister politiquement, de créer un contre-discours.