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Billet de blog 30 septembre 2025

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Qui est autochtone en Israël / Palestine ?

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Les uns prétendent que les Juif·ves seraient les seuls autochtones étant donné leur présence historique sur place depuis l’Antiquité, tandis que le peuple palestinien serait une création tardive, née de la volonté politique de Yasser Arafat, et que les Palestinien·nes seraient descendant·es en grande partie de mouvements migratoires ayant eu lieu dans le cadre de l’Empire Ottoman au XIXe et au XXe siècle. Le gouvernement israélien accorde une grande importance à l’archéologie pour démontrer cette antériorité de la présence juive, et certains slogans (comme « La Judée aux Judéens », utilisé par le Mouvement des Étudiants Juifs Français) tentent de mettre en avant cette dimension, notamment en mettant l’accent sur la toponymie antique de la région (c’est dans la même logique que les partisans de la colonisation parlent de « Judée Samarie » pour désigner les territoires occupés en Cisjordanie). De manière générale, le roman national israélien est en grande partie construit sur l’idée d’une continuité naturelle entre l’État israélien actuel et la présence juive précédant la diaspora. Rappelons à toute fin utile qu’en 2000 ans beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Ajoutons que la plupart des études historiques, génétiques, archéologiques, etc. laissent à penser que les Palestinien·nes actuel·les sont également en grande partie descendant·es de populations vivant sur place à l’Antiquité (y compris des Hébreux).

En réponse, certains partisans de la cause palestinienne, considérant Israël uniquement comme un projet colonial européen, en tirent la conclusion que les populations juives n’auraient aucun lien historique avec le Moyen-Orient ni aucune continuité avec les population hébraïques de l’Antiquité. Pour eux, Israël serait une colonie de peuplement européenne, une greffe occidentale au cœur du monde arabe. Même la nourriture israélienne serait le fruit d’une appropriation culturelle par des Européens de la nourriture palestinienne. Dans cette optique, le livre de Shlomo Sand « Comment le peuple juif fut inventé ? » leur confère des arguments de poids. Selon celui-ci, les Juif·ves d’Europe seraient majoritairement descendants de Khazars convertis au judaïsme et n’auraient donc aucun lien ancestral avec la région. Bien que ce livre, qui s’inscrit dans la nouvelle école historiographique israélienne, ait le mérite de remettre en question le roman national israélien (qui, comme tous les romans nationaux, doit être remis en question), cette théorie est aussi régulièrement réfutée qu’elle est réactivée à des fins politiques. Shlomo Sand a par ailleurs, reçu de nombreuses critiques de la part de spécialistes et ses théories sont très contestées dans plusieurs champs académiques (histoire, archéologie, génétique, etc.). Elles ont pourtant une importante diffusion médiatique. Ce livre trouve notamment un succès certain auprès de la gauche française et sert de base à de nombreux discours selon lesquels le lien des Juif·ves avec Israël serait une mystification.

Pourtant, ce débat valide une vision réactionnaire de la notion de peuple dans laquelle celui-ci serait avant tout une ethnie et non une communauté de destin lié par de communes expériences. 

Quand bien même nous trouvons la notion de « peuple » en soi critiquable pour énormément de raisons, cette vision restreinte (et partagée par une certaine frange du sionisme) où les liens entre les membres d’un même peuple seraient une communauté de sang est issue du nationalisme allemand völkisch et a servi tous les discours racialistes. Le succès éditorial de Sand et la facilité avec laquelle une partie du camp progressiste français essaie de prouver que les Juif·ves n’auraient aucun lien « ancestral » avec Israël nous laissent songeurs.

Contre ces discours, d’un côté comme de l’autre, avançons quelques points.

En tant que telle, la question de l’autochtonie juive en Palestine / Israël, est un fétiche. Pour les pro-palestinien·nes occidentaux, elle vise à replacer l’histoire israélienne dans la continuité du colonialisme européen dont la mémoire n’a jamais été digérée. Ils oublient cependant que le peuple juif a une histoire spécifique qui n’est pas celle du partage colonial du monde et qu’alors que les Juif·ves étaient en situation de dominé·es aussi bien en Europe que dans le monde arabo-musulman, le projet sioniste avait pour objectif de sortir de cette situation. D’un autre côté, les courants pro-israéliens défendent l’autochtonie juive avec l’idée de contrer les discours antisionistes et surtout pour pousser les Juif·ves des pays occidentaux à faire leur alyah en renforçant le lien imaginaire déjà existant des Juif·ves du monde entier avec Israël.

Ces discours, outre qu’ils soient pseudo-historiques préparent de part et d’autre le pire, la construction (côté palestinien) ou le renforcement (côté israélien) d’un État sur une base ethno-raciale. Du côté palestinien, comme moyen de lutte contre l’oppression coloniale et les multiples violences de masse qu’ils subissent de l’armée israélienne et des colons, mais dont l’expression idéologique est monopolisée par la faction la plus réactionnaire de ses classes dominantes porteuse d’un projet idéologique purement génocidaire. Du côté israélien, la justification de toutes les violences dont dispose un État moderne, développé et militarisé contre une population dont l’existence même est jugée indésirable et illégitime, avec également ici un potentiel génocidaire.

La question de savoir qui était là en premier peut être historiquement intéressante. Cependant, elle entérine une vision nationaliste de l’Histoire ou les peuples ne sont pas des constructions historiques sur un temps long, mais un invariant an-historique, immuable, typique de l’idéalisme petit-bourgeois des idéologies réactionnaires. De plus, elle ne peut servir de base à une revendication territoriale, ni pour dénier toute légitimité à la présence palestinienne, ni pour prétendre « renvoyer » les Juif·ves en Europe (en oubliant en passant que la majorité des Juif·ves israéliens sont issues de communautés séfarades et mizrahim, donc non-européennes).

Le vrai sujet n’est pas de savoir qui vivait sur place il y a 2000 ou 200 ans et les discours du type « l’Europe n’a qu’à reprendre les Juifs » et leur symétrique de « l’Égypte et la Jordanie n’ont qu’à accueillir les Palestiniens » (ce que l’extrême-droite sioniste euphémise en parlant de « transfert ») ne sont rien de plus que des fantasmes d’épuration ethnique qui doivent être dénoncés comme tels. Ce qui importe, c’est de comprendre la situation actuelle des groupes vivant sur place. Les Palestinien·nes de Cisjordanie et de Gaza subissent une situation d’oppression coloniale : violences meurtrières de l’armée et des colons, restrictions de la liberté de circulation, confinement dans des enclaves territoriales de plus en plus réduites, déplacements forcés, accaparements des terres et des ressources, etc. D’un autre côté, les Israélien·nes ne sont pas minoritaires comme les Boers d’Afrique du Sud et n’ont pas la possibilité de partir dans une métropole comme les Français·es d’Algérie. Parmi cette population, 20% sont des Palestiniens avec la citoyenneté israélienne ou « Arabes israélien·nes ». Si nous voulons soutenir une sortie de la situation meurtrière en Israël / Palestine qui soit autre que l’élimination physique de l’une des deux populations, nous devons être conscient·es de ces éléments. Il y a deux faits nationaux majoritaires sur ce territoire qui tous les deux peuvent revendiquer une légitimité historique et personne ne va partir. Il n’y a donc pas d’autre choix que la coexistence. 

Texte écrit le 3 octobre 2024

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