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Billet de blog 5 juin 2025

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Tablette graphique, bombe à tag et croix celtiques : les graphistes de l’extrême droite

Vous êtes vous déjà demandé qui était derrière le logo du groupuscule d’ultra-droite local ? Organisé en réseau, les graphistes d’ultra-droite, d’obédience néo-nazie, néo-fasciste, nationaliste, s’affairent en petit comité à fournir aux militants les plus radicaux leurs visuels pour la tenue d’évènement ou, tout simplement, pour créer leur identité visuelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Montage de différentes productions d'artistes d'ultra-droite. © Jules LE DU

Une après-midi couverte, quelque part dans les Pyrénées. Armé de bombes à tag, un skinhead graffe sous un pont, à proximité d’une voie rapide. Puis, au passage d’une voiture derrière lui, tend le bras pour effectuer un salut nazi. En dessous d’une croix celtique, il vient d’inscrire « White Boyz Summer » (littéralement, « été de jeunes hommes blancs ») sur le mur beige, slogan venu tout droit du suprémacisme blanc américain.

La vidéo faisant la promotion du graffe est diffusée par un internaute, lui-même graffeur actif et également graphiste, se faisant appeler « La Cagoule », pseudonyme suivi des chiffres « 1937 » ou « 85 » selon les plateformes. Son pseudonyme est une référence à l’organisation éponyme La Cagoule, groupe terroriste d’extrême-droite des années 1930 responsable d’attentats et d’assassinats d’opposants politiques, tels que Max Dormoy. Il tient une chaîne Telegram forte de plus de 1 500 abonnés.

Cette chaîne est un lieu de diffusion de la « doctrine » mais également de promotion de ses visuels ou graffes. Le graphiste se revendique de l’utopie archéo-futuriste, théorisée par l’un des penseurs de la Nouvelle Droite, Guillaume Faye. Elle mêle des revendications identitaires flirtant avec le nazisme et un conservatisme social très dur combiné à un eugénisme doublé d’un recours exacerbé aux nouvelles technologies, notamment en ce qui concerne l’homme augmenté.

Ses visuels hauts en couleur présentent ainsi des références à la pop-culture, tel que le personnage robotique Bender Tordeur Rodriguez de Futurama, aux côtés de fusées, de croix celtiques ou gammées, de figures romantiques (comme le drapeau du Capitaine Flint de L’Île au Trésor) ou d’espèce d’officier SS version cyborg.

« La Cagoule » sévit au moins depuis 2016. Au fil des années, sa page Facebook (plus de 4 000 abonnés), son compte X (anciennement Twitter) et son canal Telegram deviennent non plus seulement des espaces de partage de son art « fasciste » (il se réclame également du fascisme), mais également des lieux d’interactions avec des militants d’ultra-droite de tous horizons. La petite communauté qui se créée autour du personnage, par la vente de t-shirts par exemple, est même affublée d’un sobriquet : ce sont les « Cagoulards ».

Il s’avère que les Cagoulards sont très en lien avec l’un des plus influents groupuscule d’ultra-droite : l’Active Club. Présent à l’échelle nationale mais décliné en petits groupes locaux, l’organisation essaime tout le territoire. L’un des militants du groupe, qui se fait appeler « Lucien Lacour » (du mot d’un Camelot du Roi, membre de l’Action française connu pour avoir giflé Aristide Briand), adepte, donc, du royalisme, apparaît par exemple pour faire la promotion du featuring sauce fasciste « Active Club France X La Cagoule ». Un autre militant, présenté par une source externe comme membre de l’ « Active Club Perpignan » et reconnaissable à son chapeau large de teinte camouflage, apparaît plusieurs fois sur le canal de La Cagoule, notamment dans le cadre de randonnées pyrénéennes militantes et à côté de tags suprémacistes.

Ces interactions tendent à dessiner un réseau à l’échelle locale : le graphiste adepte du fascisme ne se contente pas de produire des visuels dans son coin, mais est en réalité inséré dans une imbrication de liens entre militants d’ultra-droite. Ce mode de fonctionnement et de diffusion de l’art est typique des graphistes d’ultra-droite.

Sur les réseaux sociaux, les groupuscules d’ultra-droite et leurs membres relaient régulièrement les initiatives des uns et des autres : ces interactions, ces échanges contribuent à visibiliser leurs actions et à maintenir les liens entre militants, appartenant à des organisations poreuses souvent dissoutes ou menacées de dissolution, procédure qui tendrait autrement à disperser les efforts et les militants eux-mêmes.

Il en va de même pour la communauté des graphistes d’ultra-droite, ce qui explique leur structuration à une échelle nationale. L’un des plus influents d’entre eux se fait appeler « Ast » et se définit comme « propagandiste nationaliste » et « NR » (pour Nationaliste Révolutionnaire). Il relaie régulièrement les « œuvres » de La Cagoule. Le 31 janvier, il republie par exemple un graffe du pyrénéen, représentant un rat noir armé d’un tesson de bouteille encadré par l’inscription « Tape un rouge, Sauve un vigneron ».

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Graffiti réalisé par La Cagoule en 2018, "Tape un rouge, Sauve un vigneron".

Ast partage des opinions ouvertement racistes (il est par exemple adepte du combat « blanc » pour l’Ukraine et appelle à faire « des enfants blancs ») et antisémites. Il tire son influence des groupuscules avec lesquels il collabore.

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Présentation du nouveau logo des Hussards par l'artiste d'ultra-droite "Ast", 3 février 2025.

Il a ainsi créé le logo et les stickers utilisés par les Hussards, un groupuscule néo-nazi derrière l’attaque du militant de Young Struggle Paris le 16 février. Il a créé des visuels pour le GUD (Groupe Union Défense, depuis dissout), la Guignol Squad (groupuscule lyonnais ultra-violent, derrière l’attaque d’une conférence sur la Palestine le 11 novembre 2023), les Vouivres (un groupe se revendiquant d’Ordre Nouveau, à l’origine du Front National de Jean-Marie Le Pen) ou encore Vosegus Epinal, un nouveau groupe de « jeunesse nationaliste » basé dans les Vosges.

Ce graphiste n’en est donc pas à son premier fait d’armes. Il s’était d’ailleurs fait déjà remarquer par la sphère de l’ultra-droite en 2023. Il avait alors initié une identité visuelle pour les photos de profil des internautes, qu’il retouchait personnellement avec deux couleurs : le noir et le orange. Cela permettait aux internautes radicaux de se reconnaître entre eux du premier coup d’œil.

Ast est par ailleurs très proche d’un autre graphiste, qui se fait appeler « Lotrec ». Ce-dernier a une activité prolifique et est à l’origine des logos de plusieurs groupuscule ultra-droitiers de premier plan. Pour rester dans l’actualité, il est par exemple le créateur de l’identité visuelle du Bloc Montpelliérain, qui a attaqué la semaine dernière un bar lié au Parti Communiste, faisant des dizaines de blessés. Proche de l’Active Club, le graphiste collabore aussi avec les sections les plus radicales de l’Action française ou l’Oriflamme, groupuscule rennais issu des rangs royalistes. On sent d’ailleurs derrière ces liens la conviction de Lotrec, qui créé pour l’occasion de la fête national un visuel « F[u]ck 14 Juillet, Marianne salope ! ». Que de bon goût.

Le graphiste a également doté de logo et visuels Patria Albiges (groupe originaire d’Albi, s’étant fait remarqué pour ses campagnes xénophobes), pour Défends Marseille (lié à Stéphane Ravier, sénateur pour le Rassemblement National puis Reconquête !, et dont cinq membres ont été condamnés pour avoir déployé une banderole « Qu’ils retournent en Afrique » à l’attention de l’ONG SOS Méditerranée), pour Lyon Populaire (menacé de dissolution par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau) et pour son antenne Columna de Villefranche-sur-Saône, pour Luminis Paris (qui brille par ses maraudes racistes), Remes Patriam (soupçonné d’une attaque sur une Assemblée Générale Antifasciste le 22 janvier à Reims), Lugdunum Suum (dont les militants lyonnais sont soupçonnés d’agression sur des antifascistes), Unité Sud (de Perpignan), Aquila Popularis (groupe niçois adepte des fight clubs sauvages) ou encore les Rutènes, à Rodez.

L’art de ces graphistes se diffuse donc via des partenariats et la mise en réseau, mais également par la vente de produits. Ast est d’ailleurs connu pour sa collaboration le Drapeau Noir, « Boutique Nationaliste ». En allant sur son site, vous pourrez vous faire livrer des patchs « White Natio » (« Nationaliste Blanc »), de superbes porte-clés « Good Night Left Side » (« Bonne Nuit La Gauche », faisant référence au meurtre de militants de gauche), des t-shirts représentant la salut de Khünen (variante du salut nazi) ou un Kalashnikov surmontant l’inscription « Defend Europe » (« Défends l’Europe »). Les stickers créés pour les différents groupes permettent aussi de faire connaître leurs auteurs et d’asseoir une présence visuelle et géographique des groupuscules d’ultra droite.

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Aperçu de la boutique du Drapeau Noir

D’autres « artistes », plus discrets, existent également à l’ultra-droite, mais ne tiennent pas le même rôle de création de visuels pour les groupuscules ou leurs évènements. C’est le cas de « Mizart » (pseudonyme), qui propose des initiations à la peinture religieuses aux groupes les plus traditionnalistes, à l’instar d’Auctorum, groupe versaillais néo-fasciste adepte du coup de poing et (encore) des maraudes racistes.

L’artiste, catholique intégriste et en lien avec SOS Chrétien d’Orient, défend une version traditionnaliste de l’art d’ultra-droite. Collaborant avec le Drapeau Noir, il propose ainsi un t-shirt « Not Today Satan » (« Pas Aujourd’hui Satan ») agrémenté d’une croix celtique et d’un ange tenant un fusil d’assaut, le tout en police d’écriture gothique. Le visuel tranche avec ceux autrement plus modernes des autres graphistes, qui travaillent essentiellement sur des outils numériques.

Une dernière artiste, suivie par plus de 1 600 personnes sur Instagram, a elle aussi collaboré avec Le Drapeau Noir. Sous le pseudonyme d’Inès Marie BamBam, elle met en scène deux militants d’ultra-droite, qu’elle prénomme Frank et Léon, au cours d’aventures grotesques narrées sous forme de bandes dessinées. Empreintes de catholicisme traditionnaliste, les aventures de Frank et Léon transpirent le culte viriliste, celui de la violence et du racisme. Bref, hâte de la sortie du numéro de BD « Aventures de 2 petits blancs » que la graphiste nous promet !

Le portrait de cette scène graphiste d’ultra-droite nous permet de toucher du doigt une question stratégique : celle de l’identité des groupuscules violents. Cet art est un maillon essentiel de la chaîne de production de la haine, en ligne comme au-dehors. Les stickers ne signent-ils pas les agressions ?

Le fonctionnement en réseau des groupuscules et des graphistes qui se cooptent assure aux nervis d’extrême droite de pouvoir toujours afficher fièrement de belles couleurs. Si, véritablement, « Les graphistes s’engagent contre l’extrême droite » (Le Monde, 30 avril 2002), la question de l’émergence d’un art néo-fasciste se pose et, avec elle, celle des outils dont dispose l’antifascisme pour le combattre.

Ces graphistes prennent en effet non pas part à l’effort de l’extrême-droite institutionnelle pour arriver au pouvoir par les urnes, mais aux exactions violentes des groupuscules locaux, que ce soit en les romantisant ou en leur fournissant une esthétique travaillée. Comment est-il redevenu possible, en 2025, que des artistes ouvertement néo-fascistes, néo-nazis, racistes, homophobes, misogynes, puissent avoir la liberté de diffuser et vendre leurs œuvres ? La réponse est certainement à chercher dans l’absence de régulation totale des plateformes sur lesquelles ils exercent et la réplique, politique, face à ce phénomène également.

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