Dimanche 25 mai après-midi. Des milliers de personnes – 4 000 selon la Préfecture de Police – sont rassemblées place de la République. A l’appel de plusieurs collectifs (l’Union étudiante, l’Union syndicale lycéenne, le Comité Palestine Sorbonne, le Rassemblement pour l’égalité et la démocratie, mais aussi Urgence Palestine, sous le coup d’une procédure de dissolution) les manifestants réclament l’arrêt des hostilités dans la bande de Gaza, des sanctions contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou (suspecté par la Cour Pénale Internationale de crimes de guerre et contre l’humanité) et un embargo sur le commerce d’armes à destination d’Israël.
A l’ombre de Marianne et sous la torche de la Liberté, des manifestants déploient une banderole : « Dissolution ou pas, il y a Urgence en Palestine ». Un QR Code renvoyant à la pétition contre la dissolution d’Urgence Palestine apparaît. Bientôt, des centaines de drapeaux palestiniens émergent de la Place de la République. Le slogan « Tahia, tahia Falestine ! » (« Vive, vive la Palestine ! ») est repris à l’unisson, à en perdre le souffle. Il n’y a pas de doute, le mot d’ordre est bien le suivant : la bataille française pour la cause Palestinienne survivra à la dissolution d’Urgence Palestine.

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Aux drapeaux nationaux se mêlent ceux des partis et organisations politiques présentes : des Ecologistes au Pôle de Renaissance Communiste, de Greenpeace à Lutte Ouvrière en passant évidemment par la France Insoumise et l’Union Juive pour la paix, les groupes politiques reprenant l’approche de sanctions à l’égard d’Israël sont représentés. Parmi eux, un parti brille néanmoins par son absence : le Parti Communiste Français (PCF).
Pourquoi les communistes, présidés par Fabien Roussel, se sont-ils abstenus de se rendre à ce rassemblement ? La place centrale que le collectif Urgence Palestine y tenait pourrait fournir un premier élément d’explication. Menacé de dissolution par le Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui l’accuse d’ « incite[r] à la lutte armée », mais aussi « à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes en raison de leur origine juive » (Le Monde, 9 mai 2025), le collectif a fait l’objet d’un communiqué par le PCF.
Celui-ci présente très sommairement sa position vis-à-vis de la procédure visant Urgence Palestine mais également la Jeune Garde. Il rappelle entre autres que le parti « ne partage pas […] les orientations et les méthodes d’actions des groupes concernés » et que s’il « n’acceptera jamais qu’un gouvernement mette hors-la-loi des structures politiques ou associatives sans apporter de preuves précises que celles-ci constituent des menaces pour notre vie collective », il souligne que c’est bien « aux juridictions compétentes d’apprécier la légitimité de cette action en préservant la liberté d'association ».
Sur la dissolution, les communistes assument donc qu’il s’agit non pas tant d’un désaccord sur le fond que sur la forme : une procédure administrative ne devrait pouvoir supplanter l’ordre judiciaire. La condamnation du collectif en demi-teinte, pour ses « orientation et [ses] méthodes d’actions » ne peut toutefois pas expliquer à elle seule l’absence de représentation du PCF à la mobilisation du 25 mai.
Plusieurs sections du Mouvement Jeunes Communistes de France (MJCF), l’organe jeunesse techniquement indépendant du parti mais dans les faits très en lien ont pris le contrepied du parti. Le 13 mai, les Jeunes Communistes des Alpes Maritimes et des Bouches-du-Rhône publient ainsi un communiqué commun avec la Jeunesse pour la Renaissance Communiste, voyant dans la dissolution un peu en avant vers la « fascisation du pouvoir » et une tentative « d’étouffer celles et ceux qui refusent de détourner le regard, qui s’engagent contre l’injustice et la dignité humaine ». De la même manière, les Jeunes Communistes de la Loire pointent un acharnement « contre celles et ceux qui dénoncent cette complicité [de l’Etat français avec le gouvernement israélien] ».
Une tribune contre la dissolution d’Urgence Palestine, publiée le 12 mai 2025 dans L’Humanité, porte également la signature de deux grandes figures communistes : celle d’Elsa Faucillon, députée, et celle de Fabien Gay, sénateur et directeur du journal. Elle souligne notamment qu’au travers de la dissolution des deux organisations c’est « l’ensemble de notre camp social et politique » qui est attaqué. Les signataires expriment sans détour la nécessité de s’opposer « fermement et collectivement » à la dissolution, et ce, quelques jours seulement après le communiqué du PCF, autrement moins combatif.
Face aux voix qui s’élèvent en interne (ou en externe relatif, concernant le MJCF) pour réclamer plus de radicalité dans le positionnement du PCF sur la question palestinienne, le parti tente-t-il de faire émerger sa propre mobilisation contestataire en parallèle, voire en contre-modèle, des mobilisations hégémoniques coordonnées par Urgence Palestine ?
C’est en tout cas ce qu’on pourrait supposer à l’annonce d’un rassemblement le 26 mai place du Trocadéro pour exiger un cessez-le-feu immédiat et des sanctions fortes contre le gouvernement israélien, soit le lendemain du rassemblement d’Urgence Palestine place de la République. Décréter une soirée de mobilisation en semaine, l’annonçant 5 jours à l’avance, a en effet pu pousser de nombreux militants communistes convaincus de l’utilité du collectif à se ménager la veille. Il est bien difficile de croire qu’il s’agit d’un hasard des dates et que le parti n’avait pas connaissance de la date du 25 mai, proposée peu avant par l’Union Etudiante.
La rassemblement de lundi au Trocadéro fait bien pâle figure comparé à celui organisé par Urgence Palestine. Le PCF revendique la présence de « centaines de manifestants », là où la Préfecture estimait à 4 000 le nombre de personnes rassemblées dimanche place de la République. Les mots d’ordre, pourtant similaires – arrêt du massacre à Gaza, reconnaissance d’un Etat Palestinien et sanctions contre Israël – semblent cette fois avoir échoué à rassembler la société civile derrière l’entité organisatrice, le PCF. Les partis politiques de la gauche sociale-démocrate occupent en revanche une place déterminante au sein de cette manifestation : les Socialistes d’Olivier Faure ainsi que les Ecologistes de Marine Tondelier, accompagnée par Yannick Jadot, se sont joints à l’appel.
Les deux partis sont au cœur de l’actualité : le Parti Socialiste pour son congrès, qui débute ce jour et dont l’enjeu est la continuité même de la ligne d’Olivier Faure à la tête du parti, contestée entre autres par le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol. Les Ecologistes sont quant à eux dans la tourmente depuis qu’une sombre affaire d’envoi mensuel de cash de la part d’Éric Piolle, maire de Grenoble et désormais – contre l’avis de Marine Tondelier – porte-parole des Verts, à Elisa Martin, devenue députée LFI, a réémergée dans le débat public. L’intérêt pour ces deux partis de se démarquer des mobilisations de la France Insoumise sur la question palestinienne alors que les diplomaties européennes commencent à hausser le ton avec Israël n’en est que plus fort : il pourrait s’agir d’un enjeu de lutte identitaire partisane, d’un effort pour montrer patte blanche à des électeurs et électrices rejetant la ligne Insoumise et pour beaucoup, le Nouveau Front Populaire (NFP), en proposant un front uni.
La question du positionnement du PCF au sujet de la cause Palestinienne en France se pose donc : le parti cherche-t-il à se démarquer pour se mettre à distance de la France Insoumise, régulièrement accusée d’antisémitisme, quitte à s’exclure des mouvements populaires pour les droits humains ? Plaider pour un alignement de l’Etat français avec l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) tout en organisant un rassemblement ayant manifestement davantage vocation à être une opération d’affichage politique qu’un réel moment de politisation, ne se joignant pas aux initiatives de la société civile, pourtant hégémoniques, est-il à la hauteur d’un parti historiquement engagé pour les droits des Palestiniens ? L’urgence n’est-elle pas ailleurs ?
Concernant Urgence Palestine, le collectif attend le couperet de la dissolution lors d’un prochain conseil des ministres. Si les manifestants de dimanche dernier sont déterminés à poursuivre la lutte malgré la disparition du collectif, celui-ci n’y compte pas et prépare déjà son recours devant le Conseil d’Etat pour contester la légalité de la procédure.
Sollicitées pour des précisions sur son communiqué concernant Urgence Palestine et sur le sens à donner à l’organisation parallèle de plusieurs rassemblement de soutien à la Palestine, les relations presse du PCF n’ont pas répondu à date.