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Billet de blog 29 mai 2025

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Némésis ou l’art de la provoc’

Le collectif Némésis s’est rendu le 27 mai au meeting unitaire contre les OQTF porté par le collectif des Jeunes du Parc de Belleville. Affichant des slogans xénophobes, des heurts ont éclaté avec des sympathisants. Les vidéos de l’altercation ont donné lieu à un déchaînement de violence sur les réseaux sociaux, sans réel soutien des responsables politiques de gauche aux militants impactés.

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Le 27 mai au soir se tenait, à la Bourse du Travail à Paris, un meeting unitaire contre les Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF). Cet évènement intervient dans la continuité des revendications portées par le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville. Après son expulsion de la Gaîté Lyrique le 18 mars dernier, lors de laquelle 450 personnes avait été forcées manu militari de quitter les lieux, l’organisation persévère pour faire reconnaître le droit à la protection de l’Etat français. Les membres du collectif, mineurs, doivent légalement être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et se voir proposer un hébergement d’urgence.

L’expulsion du bâtiment, particulièrement violente, avait abouti sur 46 interpellations. Surtout, à la suite de ces interpellations, 25 personnes ont fait l’objet d’OQTF, alors même que celles-ci ne s’appliquent pas aux mineurs (Libération, 20 mars 2025). Pour cette raison, le collectif s’indigne de « mesures totalement arbitraires et illégales ».

On comprend alors les mots d’ordre de l’assemblée du 27 mai : « Pour l’égalité des droits, contre le racisme d’Etat et la répression politique des militant.es et collectifs en lutte ». De nombreuses organisations se sont jointes à la mobilisation des Jeunes du Parc de Belleville, notamment l’Assemblée Générale Anti-CRA, la Marche des Solidarités, la CGT Educ’action, SUD (liste non-exhaustive), mais également Urgence Palestine et la Jeune Garde, deux organisations respectivement engagées pour le droit des palestiniens et pour l’antifascisme, menacées de dissolution par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Alors que l’évènement se mettait en place, plusieurs femmes membres du collectif Némésis font irruption devant la Bourse du Travail. Accompagnées par deux journalistes de Valeurs Actuelles, quotidien d’extrême-droite, elles déploient devant les sympathisants rassemblées devant le lieu du meeting « une banderole et trois pancartes en hommage des femmes victimes des OQTF ». Némésis se définit en effet comme un « collectif féministe pour la défense des droits de femmes en Europe » mais vise en réalité à réaliser la synthèse des aspirations féministes et des valeurs conservatrices, voire identitaires, portées par les groupuscules d’extrême-droite.

Mené par Alice Cordier, le collectif s’affiche régulièrement aux manifestations de l’extrême droite radicale ou organise des actions de coup d’éclat. Anaïs M., porte-parole du collectif et qui s’en présente comme la DRH sur Linkedin, revendique ainsi sa participation à l’hommage à Jeanne d’Arc organisé annuellement par l’Action française. Le collectif s’était aussi fait remarquer plus tôt cette année. Il s’était infiltré dans la manifestation pour le droit des femmes le 8 mars pour y provoquer les parties prenantes avec une banderole et des pancartes, demandant la déportation des « violeurs étrangers » auxquels les pancartes attribuent la majorité des violences sexuelles dans les transports en commun d’Île-de-France. Leur présence avait attiré des l’ire des mouvements féministes progressistes, d’autant que le service d’ordre de Némésis comprenait des individus de l’ultra-droite, notamment un certain Louis Nabucet, nervis passé par la Division Martel, groupuscule néo-nazi dissout par le gouvernement en 2023.

De là, il est facile de deviner que les trouble-fêtes ont été mal reçues au meeting contre les OQTF. Alors que les sympathisants des Jeunes du Parc de Belleville scandaient « Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartiers pour les fachos ! », plusieurs personnes sont allées au contact avec les manifestantes de Némésis pour les faire fuir. Les deux journalistes de Valeurs Actuelles, couvrant l’évènement, sont aussi pris à partie, plus violemment. Sur les vidéos diffusées par le collectif et Valeurs Actuelles, on aperçoit plusieurs personnes tenter de saisir l’appareil photo du journaliste et tenter de l’attraper. On peut également observer deux personnes porter des coups au journaliste.

L’une de ces deux personnes serait actuellement en garde-à-vue selon Valeurs Actuelles. Le NPA l’Anticapitaliste a également publié un communiqué, indiquant que deux personnes, dont un militant du NPA et syndicaliste au SNES-FSU se trouvent en garde-à-vue. Ces deux personnes sont présumées innocentes.

L’échauffourée, captée par plusieurs caméras du collectif Némésis, est publiée dans l’heure qui suit par le Collectif Némésis. S’ensuit un démarrage en ordre de bataille de la droite et de l’extrême-droite sur les réseaux sociaux, reprenant les propos du collectif. Louis Sarkozy, fils de Président de la République, dénonce ainsi la « violence de ces créatures » en parlant des militants impliqués dans la fuite du collectif Némésis.

Si Némésis attribue ces violences à la Jeune Garde et à Urgence Palestine, les deux organisations menacés de dissolution présents au meeting contre les OQTF, les témoignages de la soirée suggèrent une autre vérité. Selon des personnes présentes à l’intérieur du bâtiment à ce moment-là, les membres de la Jeune Garde et d’Urgence Palestine étaient en réalité déjà dans le bâtiment, préparant leur intervention lors du meeting.

De plus, on peut rester sceptiques sur le narratif de Némésis. Les militantes identitaires ont eu très peu de temps pour se déployer aux abordes de la Bourse du Travail. Cela pose la question de leur identification des militants auxquels elles attribuent l’agression : comment pouvaient-elles être certaines qu’il s’agissait bel et bien de membres de la Jeune Garde ou d’Urgence Palestine ? Un autre élément qui irait dans le sens d’une invention totale de l’appartenance à ces groupes des personnes accusées est un appel à témoignages, lancé dans la soirée par Némésis. Celui-ci reprend des captures d’écran rendant identifiables les militants accusés d’avoir participé à l’accrochage, demandant des informations afin de retrouver ces personnes. De là, comment affirmer qu’ils/elles faisaient partie des groupes concernés sans savoir rien d’eux/elles ?

Suite à la publication de ses vidéos, un torrent d’insultes racistes et de menaces se déverse sur les réseaux sociaux. On peut trouver des appels à la violence, tel qu’une personne incitant à retrouver à retrouver les militants de gauches, à « divulguer leur nom et leur adresse partout on va les retrouver » en mentionnant Les Natifs (un groupuscule identitaire parisien) et le GUD (groupuscule néo-nazi dissous), ou encore une personne appelant à « cogner […] cette bande de gauche et blédards ». Certains souhaiteraient aussi recourir au meurtre, en témoigne ce commentaire sous la publication de la vidéo par Valeurs Actuelles : « Il faut plus de Méric » (du nom d’un antifasciste tué par les membres d’un groupuscule d’ultra-droite).

Malgré cela, les responsables politiques de gauche et les médias se font discrets sur l’incident. Marie-Coquille Chambel, présente à la mobilisation, se désole ainsi du silence consternant sur la provocation de Némésis et du manque de soutien apporté aux personnes placées en garde-à-vue : « La gauche, comment on fait pour vous mobiliser après que deux camarades aient été embarqués par dénonciation de Némésis suite à leur action contre le meeting unitaire contre les OQTF ? ». Fort est de constater que deux jours après les faits, seuls des journaux marqués à droite voire à l’extrême-droite s’emparent de l’information. Le 28 mai, Boulevard Voltaire titre ainsi : « Némésis, VA : l’agression qui pourrait signer la fin des groupuscules de gauche ».

Et si c’était à cela qu’il fallait véritablement s’intéresser ? Outre un acte de communication et d’intimidation, et si Némésis cherchait à appuyer l’agenda médiatique en faveur de la dissolution de la Jeune Garde et d’Urgence Palestine ? Le collectif bénéficie en effet de relais médiatiques et politiques de plus en plus importants. Nous l’avons vu, les personnalités de droite radicale et d’extrême-droite se rangent largement derrière le collectif dont l’action a été félicitée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Némésis s’appuie désormais sur cet aura pour diffuser ses idées à l’international et peser sur le débat public. Le collectif s’est ainsi vu invité à la Conférence d’Action Politique Conservatrice (CPAC) en Hongrie, qui se déroule ce soir. Inspirée de la conférence du même nom, née en Amérique sous l’impulsion des conservateurs, cette rencontre est l’occasion pour les extrême-droites de tous les pays européens de se croiser, d’échanger, d’élaborer ensemble un projet politique commun. Le but affiché du collectif à cette conférence : « représenter les femmes victimes de l’immigration en Europe de l’Ouest ». La nécessité de rappeler les vérités sur ce collectif ainsi que de défendre un féminisme inclusif ne semble que plus importante alors que le collectif gagne en influence.

En 2024, 140 000 OQTF ont été délivrés par la France. Pour la vaste majorité, ces mesures administratives ne sont pas liées à quelconque condamnation ou arrestation. Leur taux d’application est extrêmement faible. Leur délivrance est souvent la dernière étape d’une demande d’asile refusée par l’administration française.

Les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) touchent tous les milieux, toutes les classes sociales. Elles ne sont pas le fait d’une minorité.

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