Le déroulement des événements aux alentours de la synagogue de la rue de la Roquette le 13 juillet dernier, la stratégie retenue par les forces de l’ordre pour gérer les affrontements ainsi que l’orchestration politico-médiatique de ces événements par plusieurs grands médias puis par le Premier Ministre et le Gouvernement suscitent de nombreuses interrogations.
Les incidents à proximité de la synagogue Don Isaac Abravanel ont donné lieu dans les heures et les jours qui ont suivi à un story-telling implacable, inlassablement répété en boucle par le Premier Ministre, Manuel Valls : celle de l’attaque d’une synagogue par des militants antisémites en marge de la manifestation pro-palestinienne. Cette version des faits correspond d’ailleurs à celle reprise par le grand rabbin de France, Haïm Korsia, et à celle diffusée par TF1 dans son journal télévisé du 14 juillet 2014.
Dans le cadre de l’interview qu’il a donnée à I-Télé, le rabbin de la synagogue Don Isaac Abravanel, Serge Benhaïm, nuance sensiblement ce récit en indiquant qu’il n’y a pas eu d’attaque directe de la synagogue mais des affrontements de part et d’autre de la synagogue à environ 150m de celle-ci.
Mais de nombreux témoignages sont venus apporter un éclairage nettement différent sur ces échauffourées : ils font état, au cours des jours précédents, de nombreux appels de la Ligue de Défense Juive (LDJ), organisation d’extrême droite juive, à venir en découdre avec les manifestants pro-palestiniens aux abords de la synagogue Don Isaac Abravanel ; ils attestent également de provocations émanant de membres de la LDJ dont l’objectif aurait été d’attirer les manifestants vers la synagogue Don Isaac Abravanel afin de scénariser une attaque de la synagogue, aisément exploitable sur le plan médiatique.
Dans ce contexte, la diffusion sur le Net d’une vidéo amateur qui filme une partie des événements depuis un local situé rue de la Roquette entre la synagogue et l’intersection avec la rue Popincourt a contribué à échauffer les esprits et à accréditer la thèse d’une manipulation savamment orchestrée par la LDJ avec la complicité des forces de l’ordre.
- Cette vidéo atteste de l’existence de comportements violents et très largement assimilables à des provocations de la part de jeunes individus criant des slogans pro-israéliens (« Israël vivra, Israël vaincra ») et violemment anti-palestiniens (« Palestine, on t’enc…. »).
- Cette vidéo soulève en outre de nombreuses questions quant à l’attitude des forces de l’ordre : en effet, dans un premier temps, celles-ci n’interviennent pas pendant plusieurs minutes pour mettre un terme aux actes de violence commis par les militants pro-israéliens puis, lorsque quelques militants pro-palestiniens se lancent à l’assaut de leurs homologues pro-israéliens, ces derniers se réfugient, avec la complicité des forces de l’ordre, derrière le rideau de CRS pour laisser ceux-ci charger les manifestants pro-palestiniens. Pourquoi une telle stratégie ? Pourquoi un tel traitement asymétrique? Pourquoi cette apparente coordination entre les forces de l’ordre républicaines et les militants des mouvements d’extrême droite juive ?
Cette vidéo contribue à soulever des interrogations légitimes sur la version univoque des faits qui a été relayée par le gouvernement et les médias dominants. Elle ne saurait toutefois à elle seule étayer ou réfuter une thèse, à l’exclusion de toute autre. Ce type d’incident peut en effet aisément se prêter à une imbrication d’actes violents à des endroits différents, de la part des mêmes individus ou d’individus distincts, tous entrainés dans une spirale de violence. Dans le cas de la vidéo de la rue de la Roquette, la scène est filmée depuis le coté impair de la rue, probablement au niveau du 77 ou du 79 (soit en face du 104 ou 106 rue de la Roquette). Son angle de vue couvre la rue de la Roquette entre les numéros 96 et 110 ; elle ne permet donc pas de voir ce qui se passe devant la synagogue (sise au 84-86 rue de la Roquette) et encore moins au-delà vers la Bastille. D’une durée d’environ 6 minutes, elle n’offre qu’une vision parcellaire et non horodatée des événements ; en outre, son auteur et le « concours de circonstances » qui l’a conduit à se trouver à cet endroit, à ce moment-là ne sont pas officiellement connus. Son témoignage présenterait à coup sûr un vif intérêt !
Le Gouvernement a choisi d’accréditer une thèse, à l’exclusion de toute autre et sans aucune nuance, balayant d’un revers de main l’hypothèse -pourtant plausible- de provocations de la part de la LDJ. Il suffit à cet égard d’écouter l’interview de Manuel Valls sur RTL le 24 juillet dernier : ce dernier ne prend même pas la peine de répondre à la question du journaliste sur cette éventualité ! La plupart des réactions au sein de l’UMP ont abondé dans le même sens (le cas échéant, en poussant à la surenchère islamophobe). Comme nous l’avons déjà indiqué, les grands médias nationaux ont activement ou passivement repris et diffusé cette version des faits.
Or, cette théorie de l’attaque de la synagogue de la rue de la Roquette a constitué le socle à partir duquel le discours gouvernemental s’est déployé au cours des trois semaines suivantes, avec comme fil conducteur, la dérive d’une « jeunesse souvent sans repère, sans conscience de l’histoire et qui cache sa haine du Juif derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’état d’Israël[1]. »
Ainsi, ce sont des pans entiers de la population française, et notamment de sa jeunesse issue des quartiers populaires, qui, de retour d’une manifestation pacifique où ils ont voulu exprimer leur solidarité avec les Gazaouis, se sont vus accolés sur leur front par les plus hautes autorités de l’Etat l’infâme qualificatif « d’antisémite ». D’abord déstabilisés par ces accusations, ils ont pu au cours des jours et des semaines suivants visualiser des vidéos, recouper des témoignages et nombre d’entre-eux sont arrivés à la conclusion (peut-être hâtive) d’une vaste manipulation politico-médiatique. A leurs yeux, désormais, seuls des sites ou des blogs de « contre-information » ou de « ré-information » sont dignes de foi. Pour eux, ce refus de la part du gouvernement et des grands médias d’envisager d’autres thèses et de se pencher sur le déroulement des incidents de la rue de la Roquette est assimilable à un vaste mensonge d’état, celui d’un état français fantoche dont le CRIF et le gouvernement Netanyahu tireraient les ficelles. Cet autisme politico-médiatique a pour effet collatéral majeur de renforcer l’aura des figures de la Dieudosphère, de la galaxie soralienne ou des sites liés aux mouvements islamistes radicaux.
Dans le contexte intercommunautaire déjà tendu et le climat de défiance généralisé que traverse notre pays, ce rejet aux extrêmes de pans entiers de la jeunesse (celle-là même dont le Président Hollande entendait faire la priorité de son mandat) est éminemment nocif pour l’avenir de la République. Il devient urgent de rompre cette spirale destructrice en ré-instillant les fondements d’un retour de la confiance dans la parole publique. La démocratie parlementaire dispose d’outils à cette fin : ce sont les commissions d’enquête parlementaire. Il est possible d’en mettre une en place dès la rentrée parlementaire de Septembre 2014, dès lors que 60% des membres de l’Assemblée ne s’y opposent pas.
Le Parti de Gauche a publié un communiqué en ce sens dès le 17 juillet dernier ; il a été rejoint par Alexis Bachelay (et d’autres députés socialistes) qui affirmait qu’il était nécessaire de « disposer d’éléments sur ce qui s’est vraiment passé et pour pointer la responsabilité des uns et des autres». La décision de mettre en place une telle commission d’enquête parlementaire ne doit pas relever d’une logique partisane ou politicienne ; elle correspond à une ardente nécessité éthique et républicaine pour mettre un terme au délitement de la confiance dont se nourrissent les mouvements extrémistes. De surcroît, en restaurant l’image d’une République impartiale et en favorisant, dans la transparence, l’audition contradictoire de figures institutionnelles d’une part, issues du monde associatif d’autre part, une telle commission d’enquête contribuerait à endiguer les résurgences antisémites et complotistes que l’autisme martial du premier ministre a brillamment réussi à affermir.
Pour soutenir cette démarche, vous pouvez signer la pétition figurant à l'adresse suivante:
https://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/mesdames-et-messieurs-les-d%C3%A9put%C3%A9s-et-s%C3%A9nateurs-mettez-en-place-une-commission-parlementaire-pour-enqu%C3%AAter-sur-la-v%C3%A9rit%C3%A9-des-incidents-qualifi%C3%A9s-d-antis%C3%A9mites-du-13-juillet-2014-rue-de-la-roquette?recruiter=139274190&utm_campaign=mailto_link&utm_medium=email&utm_source=share_petition
[1] Extrait du discours de Manuel Valls lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le 21 juillet 2014