Jeudi 24 novembre, lors du débat du second tour des primaires de la droite et du centre, François Fillon a été interpellé par la journaliste Alexandra Bensaïd au sujet de l’avortement avec une question très précise : « On a bien compris que vous vous êtes engagés à ne pas changer la loi. Mais ce soir vous engagez-vous à maintenir les fonds publics, les subventions publiques qui sont dévolues par exemple au planning familial ou aux services d’information sur l’IVG ? »
Face à cette question, François Fillon s’est d’abord drapé dans une posture victimaire expliquant qu’il avait été dépeint en « conservateur moyenâgeux », mettant les journalistes au défi de démontrer qu’il n’avait pas voté tous les textes favorables à l’IVG depuis 30 ans avant de conclure, suite à un rapide échange avec Alain Juppé : « Ce n’est pas un droit fondamental. C’est un droit essentiel, sur lequel il est hors de question de revenir et qui doit être garanti. Ca n’amène pas à utiliser des mots, en termes juridiques qui ne sont pas exacts. »
Le point a été prestement réglé et François Fillon est en apparence sorti vainqueur de cet échange. Penchons-nous toutefois quelques instants sur la réponse de François Fillon à la question d’Alexandra Bensaïd :
1/ « Est-ce que je n’ai pas voté depuis 30 ans tous les textes qui ont permis l’accès des femmes à l’IVG ? » affirme François Fillon
Formulée ainsi, la question demeure sans réponse : il n’y a pas eu de texte législatif au cours des 30 dernières années donnant accès aux femmes à l’IVG puisque ce droit avait été voté en 1974 pour une durée de 5 ans puis reconduit sans limitation de durée en 1979. Il est donc plus pertinent de s’intéresser aux textes législatifs qui ont porté sur l’extension du droit à l’avortement depuis que François Fillon est devenu député en juin 1981. Deux textes majeurs viennent immédiatement à l’esprit :
- En 1982, Yvette Roudy fait voter un texte emblématique relatif à la couverture des frais relatifs à l’interruption volontaire de grossesse non thérapeutique. François Fillon, jeune député à l’Assemblée Nationale, vote « contre ».
- En 2000, le gouvernement de Lionel Jospin fait voter une loi étendant le délai légal pour avorter de 10 à 12 semaines (hors avortements thérapeutiques). François Fillon vote « contre » alors que 13 députés de l’opposition de droite comme Roselyne Bachelot ou Philippe Seguin votent en faveur de cette modification législative.
Lors de l’examen du texte sur l’égalité réelle hommes-femmes en 2014 qui comportait entre autres la suppression de la notion de « situation de détresse » pour permettre à la femme d’avorter (mettant ainsi le texte de loi en conformité avec une décision du Conseil d’Etat datant de 1980), François Fillon s’est abstenu.
François Fillon a certes voté en 2014 une résolution parlementaire (résolution n°433) relative à « la reconnaissance du droit à l’IVG comme droit fondamental en France et en Europe ». Le problème est qu’il a depuis publiquement renié ce vote : premièrement, dans son discours de campagne à Aubergenville le 21 juin 2016 puis à la télévision en affirmant que ce n’était pas un droit fondamental.
Affirmer que François Fillon a voté les textes étendant le droit à l’avortement au cours des 30 dernières années est totalement faux. La réalité est qu’il s’est plutôt opposé aux textes emblématiques sur ce thème et, à tout le moins, qu’il a fait preuve d’un panurgisme de bon aloi en évitant d’affirmer des convictions distinctes de celles de la majorité de son groupe parlementaire.
2/ Quant à la question fort pertinemment soulevée par Alexandra Bensaïd, force est de constater qu’elle a été savamment enfouie sous le tapis. L’intervention de Gilles Bouleau prétendant venir à la rescousse de sa collègue en défendant la « légitimité de sa question » s’est avérée particulièrement contre-productive. La question énoncée par Alexandra Bensaïd était très claire, cette dernière n’avait pas besoin d’un preux chevalier pour la défendre ! Et François Fillon a ainsi pu s’éviter de répondre précisément à la question posée. Car personne ne s’imagine qu’un François Fillon président tenterait d’abroger la loi Veil de 1974. Ce serait un suicide politique ; en revanche, c’est sur le maintien de tous les dispositifs qui permettent d’assurer le libre accès de toutes les françaises à l’IVG (à commencer par les plus modestes) qu’il convient de l’interroger. Or, la réponse de François Fillon demeure percluse d’ambigüités puisqu’il affirme « Je ne changerai rien dans ce domaine, c’est la loi Veil, toute la loi Veil. » Mais si la loi Veil est un texte de référence, quelle est sa position sur tous les autres textes de loi relatifs au droit de l’avortement qui ont été votés depuis 42 ans ?
Dans la campagne présidentielle qui s’amorce, il est donc crucial que les journalistes et adversaires politiques poussent François Fillon à prendre devant l’opinion publique plusieurs engagements explicites :
- Ne pas revenir sur la loi Roudy de 1982 relatif à la prise en charge de l’IVG par la Sécurité Sociale.
- Ne pas revenir sur la prise en charge par l’assurance maladie du « forfait IVG » (consultations, examens de biologie médicale, échographies pré et post IVG) mis en place en 2016 par Marisol Touraine.
- Ne pas revenir sur la loi de 2001 sur le délai légal pour procéder à une interruption volontaire de grossesse.
- Sanctuariser le financement des associations départementales de planning familial dont l’état est le principal contributeur ainsi que les budgets de communication afférents ; sujets cruciaux pour un candidat qui annonce des coupes franches dans le budget de l’état et une remise à plat des principes fondateurs de la Sécurité Sociale.
Et puisque l’Assemblée Nationale va examiner dans les prochains jours l’extension du délit d’entrave qui vise à condamner des sites Internet accusés « d’induire délibérément en erreur, intimider et/ou exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader de recourir à l’IVG », nous avons là une formidable opportunité d’observer la position du député de Paris, candidat de la droite à l’élection présidentielle de 2017.
Il n’est plus question de procès d’intention ou de caricature. Il n’est plus temps de se réfugier dans la posture de la victime du système médiatique. Il est question du vote d’un texte législatif significatif qui a valeur de test politique sur les sujets de société pour le possible futur président de la République Française.
Monsieur le Député de la 2ème circonscription de Paris, nous observerons donc attentivement votre vote (ainsi que celui de votre état-major, ossature probable d’un éventuel futur gouvernement nommé par le Président François Fillon). La balle est dans votre camp !