
Agrandissement : Illustration 1

Cent jours. Cent jours d’une politique défendue avec aplomb comme une victoire éclatante. Cent jours de validation d’un profil qui ne devrait plus nous surprendre... Et pourtant. À entendre Donald Trump célébrer l’exemplarité de son action, la frontière entre cynisme et aveuglement idéologique semble s’effacer.
Selon lui, c'est la fin d’un règne régi par les intérêts particuliers, fin proclamée du wokisme. Trump annonce l’avènement d’un âge d’or américain. Pourtant, cette rhétorique triomphaliste se heurte à une réalité plus nuancée. Dès les cent premiers jours, 55 % des Américains expriment leur désapprobation, un record historique pour un président depuis 80 ans. Derrière les slogans patriotiques, c’est une Amérique fracturée qui émerge — une Amérique qui prétend défendre « les siens » tout en les divisant.
Les États-Unis affichent certes une croissance insolente et un chômage bas. Cependant, la défaite des démocrates lors des élections de novembre 2024 s’explique largement par le mécontentement des Américains face au coût de la vie – un enjeu que Trump, malgré son enthousiasme spectaculaire, ne parvient pas à résoudre.
Depuis les années 1990, le PIB par habitant aux États-Unis a progressé de plus de 60 %, contre seulement 38 % dans la zone euro et 34 % en France. Mais cet écart masque de profondes failles : le PIB ne reflète ni la qualité de vie, ni les inégalités sociales, ni l’état des services publics. Un chiffre, aussi impressionnant soit-il, ne nourrit pas une famille. L’Américain moyen souffre d’un système qu’il ne comprend pas. Les salaires sont élevés sur le papier, mais les coûts de santé, d’éducation ou de logement sont devenus vertigineux.
Malgré la croissance, l’inflation ronge le quotidien, et les inégalités explosent. Depuis 2016 (hors Covid), le pays connaît un chômage historiquement bas, mais cela n’a pas suffi à réduire l’écart entre les classes. À cela s’ajoutent un déficit public chronique (6,1 % du PIB en moyenne depuis 1995) et un déficit commercial massif, aggravé par les politiques protectionnistes, de Trump à Biden.
En matière environnementale, le bilan est tout aussi désespérant. Les États-Unis sont historiquement le plus grand émetteur mondial de gaz à effet de serre. Le retour de Trump au pouvoir, avec ses décrets symboliques et destructeurs, n’annonce rien de bon : il relance l’exploitation des énergies fossiles, saborde les efforts climatiques et relance même des projets d’exploitation des fonds marins, pourtant encadrés par le droit international.
Sur le plan intérieur, Trump mène une politique brutale : baisses d’impôts ciblant les plus riches, suppression de milliers de postes dans les services publics, durcissement de l’immigration, vision rétrograde de la science, attaques contre la Fed. La cohérence stratégique est absente. À l’extérieur, les tensions s’accumulent : Ukraine, Russie, Gaza, Burkina Faso, sans parler de la crise au sein même des agences de renseignement américaines. Et pendant ce temps, à Rome, le monde se rassemble pour les obsèques du pape François, faisant de la ville éternelle, une fois encore, le centre symbolique de la planète. Ironie du destin : un nombre inimaginable de dirigeants, souvent aux antipodes des valeurs papales.
Trump et Musk, un duo en chute
Ce tandem improbable, symbole de la dérive technocratique et populiste, est désormais confronté à ses limites. Elon Musk, rattrapé par les pertes de Tesla, quitte la direction de DOGE. Trump, de son côté, accumule les échecs, et les élections de mi-mandat approchent dangereusement.
Les conséquences sont déjà palpables :
- Les coupes budgétaires risquent de provoquer un effondrement de la demande et une baisse des recettes fiscales.
- L’obsession anti-immigration prive l’économie d’une main-d'œuvre indispensable, avec des effets attendus sur la croissance et l’inflation.
- Le changement climatique s’intensifie, sans stratégie d’adaptation crédible.
- Les hausses de droits de douane pourraient forcer la Fed à relever ses taux, ralentissant l’économie.
- Les écarts de richesse se creusent : les plus riches profitent, les plus modestes s’appauvrissent.
- L’instabilité financière s’amplifie : attaques contre la Fed, volatilité du dollar, effondrement de Wall Street.
- Les pays les plus vulnérables suffoquent face à l’inaccessibilité des aides américaines, pourtant vitales. En Éthiopie, on estime que 650 000 femmes et enfants sont désormais en situation de danger critique.
D’après le CEPII, la politique commerciale de Trump entraînerait une baisse du commerce mondial de 3,3 %, soit 70 % de l'effondrement observé pendant la crise Covid. L’Europe et la Chine sont prises dans une reconfiguration brutale des alliances économiques.
L’Europe – et la France en particulier – pourrait être durement affectée : les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de la pharmacie, des boissons et de la chimie sont particulièrement vulnérables. L’importation massive de gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis – quatre fois plus polluant que celui importé de Norvège – en est une illustration préoccupante.
Face à ces risques, l’Europe doit réagir : repenser son industrie en long terme, bâtir un marché intérieur plus résilient, miser sur la sobriété énergétique et renforcer sa souveraineté stratégique. Construire une politique commune ambitieuse, fondée sur la consolidation des marchés intérieurs, l’adoption de la sobriété comme norme stratégique et levier d’investissement, et la transformation de l’industrie automobile pour l’aligner sur les objectifs climatiques de 2030. Le passage vers une économie sobre, innovante et résiliente n’est plus une option, mais une nécessité. Ces défis sont immenses, mais malgré leur ampleur, c’est bien l’Amérique qui, pour l’heure, semble en subir les conséquences les plus lourdes.
Drill, Baby, Drill… Un suicide écologique
L’augmentation programmée de la production d’énergies fossiles aux États-Unis constitue une menace environnementale majeure. Le méthane — un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO₂ — s’échappe massivement lors du transport du gaz naturel liquéfié (GNL). Résultat : le GNL américain s’avère jusqu’à quatre fois plus polluant que celui importé de Norvège. Et comme si cela ne suffisait pas, Donald Trump engage désormais une nouvelle confrontation sur les mers, en lançant des projets d’exploitation minière des fonds marins, pourtant protégés par le droit international au titre du patrimoine commun de l’humanité.
Les femmes, premières victimes
Chaque crise économique frappe d’abord les femmes et les enfants. Les politiques de Trump, hostiles à la santé, à la recherche et à l’aide internationale, fragilisent directement les plus vulnérables. Dans les secteurs du soin et de l’éducation, majoritairement féminins, les coupes budgétaires ont des effets dévastateurs. Aux États-Unis comme ailleurs, les droits reproductifs reculent, les violences augmentent, et la précarité s’installe. En sabotant la solidarité mondiale, la politique Trumpiene menace la stabilité sanitaire globale. Ajoutons à cela, des risques sanitaires majeurs. La pandémie de COVID-19 nous l’a cruellement rappelé : un virus ne connaît ni frontière, ni couleur de peau, ni statut social. Hélas, les politiques qui négligent la coopération internationale et la santé publique nous exposent collectivement à de nouvelles catastrophes sanitaires. Ignorer cette réalité revient à jouer avec le feu, au détriment des plus vulnérables, mais aussi de l’équilibre mondial.
Penser 2050, pas 2025
Il est plus que jamais temps de s’unir autour d’un projet commun : un projet industriel et économique ambitieux, fondé sur le principe de sobriété, dans un contexte marqué par des conflits géopolitiques périlleux et une raréfaction croissante des ressources. Appeler au patriotisme industriel, c’est bien ; le concrétiser, c’est encore mieux. Cela implique de le bâtir sur une vision claire, un projet structuré, et des avantages tangibles pour les industriels.
Le système mondial a besoin de changement, oui, mais pas d’une destruction aveugle. Trump questionne la mondialisation, affronte les puissances, incarne un retour en arrière dangereux, un virus économique aux effets systémiques. L’Europe peut – et doit – incarner une alternative fondée sur la vision à long terme, la coopération, la sobriété et l’innovation.
Le monde n’a pas besoin de plus de bruit. Il a besoin de solutions.