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Billet de blog 10 novembre 2025

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COP30 : repenser le pouvoir pour sauver le vivant

La COP30 en Amazonie marque un tournant historique. Dix ans après l’Accord de Paris, les promesses n’ont pas été tenues : le seuil de +1,5 °C sera franchi avant 2030. Face à l’effondrement écologique et aux inégalités croissantes, un nouvel humanisme juridique et un modèle économique fondé sur la justice climatique et la responsabilité mondiale s’imposent.

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En 2025, l’attention du monde se tourne vers l’Amazonie, ma terre natale. La COP30 qui s’y tiendra n’est pas une conférence de plus : elle incarne une fracture historique. Dix ans après l’Accord de Paris, une réalité s’impose : les engagements climatiques n’ont pas été tenus. Le seuil de +1,5 °C sera franchi avant 2030. Avec lui, des crises multiples s’annoncent : effondrement d’écosystèmes, pénuries alimentaires, migrations climatiques massives. L’économie mondiale pourrait perdre jusqu’à 20 % de son PIB d’ici 2050. Mais c’est aussi notre cohérence politique qui vacille.

L’économie mondiale persiste dans un modèle d’hypercroissance fondé sur la surexploitation des ressources et un court-termisme technologique flagrant. On investit des milliards dans l’intelligence artificielle négligent l’eau, les sols et la biodiversité. Cette contradiction traduit un déni : nous poursuivons une expansion infinie dans un monde fini.

Ce choix creuse les inégalités. Les pays et peuples ayant le moins contribué au réchauffement — petits États insulaires, régions à faible revenu, peuples autochtones — en subissent pourtant les effets les plus violents. L’Europe elle-même, longtemps championne de la diplomatie climat, est aujourd’hui le continent qui se réchauffe le plus rapidement au monde. Canicules, incendies, inondations bouleversent les vies et l’économie : plus personne n’est protégé.

La justice climatique c’est une exigence historique. Les pays du Sud global demandent réparation. Ils ne réclament une reconnaissance : la crise climatique prolonge un héritage colonial et extractiviste qui a concentré richesses et pouvoir au Nord, et laissé les coûts au Sud. Assumer cette responsabilité ne signifie pas « s’appauvrir pour l’autre », mais accepter une décroissance sélective : consommer moins pour partager mieux. La coopération internationale doit devenir enfin une obligation structurelle, fondée sur l’équité honorant les différents accords internationaux.

Pour que justice soit faite, les règles du jeu devront être réévaluer à sa juste valeur, accordant aux accords internationaux des valeurs autres que symboliques. La gouvernance mondiale du climat et de la biodiversité, minée par le veto des intérêts nationaux, ne fonctionne pas. Certains dirigeants échappent à toute responsabilité, protégés par la souveraineté de leur État. Cette impunité face aux dommages causés au vivant n’est plus acceptable.

Le droit de demain devra reconnaître la destruction grave et irréversible de l’environnement comme crime international, sur le même plan que les crimes contre l’humanité. La création d’un crime d’écocide à la Cour pénale internationale serait un tournant historique. Elle poserait une limite claire au pouvoir politique et économique.

Au-delà, une juridiction mondiale du climat et des droits du vivant doit voir le jour, ouverte non seulement aux États, mais aussi aux citoyens, ONG et peuples autochtones. Les réfugiés climatiques, aujourd’hui invisibles dans le droit international, doivent bénéficier d’un statut et d’une protection effective. Car perdre son territoire n’est pas un dommage matériel : c’est une atteinte directe au droit à la vie, à la santé, au logement et à la dignité. Climat et immigration ne sont pas des sujets indissociables, nous sommes ici dans une dimension nationale et internationale du droit.

Repenser le pouvoir à l’échelle mondiale, c’est passer d’une logique de domination à une logique de responsabilité. Comme le rappelait Hannah Arendt, le pouvoir ne réside pas dans l’autorité d’un chef, mais dans la capacité d’agir ensemble. Cette idée doit devenir le cœur d’un nouvel humanisme juridique : un droit international du vivant, où la souveraineté n’est plus un privilège, mais une fonction éthique.

La COP30 ne doit pas être un sommet de plus. Elle peut devenir le moment où l’humanité reconnaît que son avenir dépend moins de son génie technologique que de sa capacité à inventer un pouvoir juste, fondé sur la protection du monde commun. Ce dont nous manquons n’est ni de science ni d’argent, mais d’audace. L’audace de dire que la vie doit primer sur la croissance. Et que la responsabilité ne s’arrête pas aux frontières.

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