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Billet de blog 24 novembre 2025

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Marina Silva : le combat d’une vie pour l’Amazonie

Figure majeure de l’écologie brésilienne, Marina Silva incarne la lutte pour la justice sociale et la protection de l’Amazonie. De son enfance pauvre à l’Acre à la scène politique internationale, son parcours, marqué par le courage et la résilience, révèle la force d’une femme déterminée à transformer la vie des peuples amazoniens.

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Discours de la ministre Marina Silva lors de la séance plénière de clôture de la COP30
Intervention du 22 novembre 2025 à Belém (PA)

Merci, Monsieur le Président.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, nous concluons le parcours de cette COP30.

Je remercie et félicite l’Ambassadeur André, Ana Toni et toute l’équipe de la Présidence pour l’important et dévoué travail de leadership accompli dans ce processus complexe ; ainsi que Simon et l’équipe du Secrétariat pour l’organisation et les grands efforts fournis. Je souhaite féliciter l’Australie, la Turquie et l’Éthiopie pour la décision de cette plénière selon laquelle ces pays amis présideront les COP31 et 32. Aux côtés de mon collègue, l’Ambassadeur Maurício Lyrio, et au nom du gouvernement et du peuple brésilien, nous leur adressons nos vœux de réussite dans cette noble initiative.

Si nous pouvions remonter dans le temps et parler à nous-mêmes lors de Rio-92, que nous diraient ces versions de nous en observant les résultats d’aujourd’hui ?

Elles nous diraient certainement, avant tout, que nous rêvions de résultats bien plus ambitieux. Que nous espérions que le virage environnemental serait plus rapide, que la science suffirait à orienter les décisions, que l’urgence primerait sur tout autre intérêt. Et, en regardant les résultats obtenus et l’ampleur du grave problème auquel nous devons faire face, nous répéterions probablement les mots du président Lula : « Je suis convaincu que, malgré nos difficultés et nos contradictions, nous avons besoin de feuilles de route". 

Bien qu’il n’ait pas encore été possible de parvenir à un consensus permettant d’intégrer cet appel fondamental dans les décisions de cette COP30, je suis certaine que le soutien reçu de nombreuses Parties et de la société renforce l’engagement à élaborer deux feuilles de route. L’une sur l’arrêt et l’inversion de la déforestation. L’autre sur une transition loin des combustibles fossiles, de manière juste, ordonnée et équitable. Toutes deux seront guidées par la science et seront inclusives.

Mesdames et Messieurs, nous avons organisé cette COP au cœur de l’Amazonie. Nous avons fait un pas important dans la reconnaissance du rôle des peuples autochtones, des communautés traditionnelles et afro-descendantes. La transition juste a pris forme et voix grâce à la présence de ces groupes. Nous avons lancé le TFFF, un mécanisme innovant qui valorise ceux qui préservent et maintiennent les forêts tropicales. Le texte du Mutirão Global a ouvert une porte importante pour l’avancement de l’adaptation, avec l’engagement des pays développés de tripler les financements d’ici 2035. Cet effort inclut également des instruments visant à combler l’écart d’ambition des CDN, comme l’Accélérateur mondial de mise en œuvre ; il a renforcé l’alignement des CDN sur les politiques de développement et d’investissement, et a reconnu la nécessité de reformuler le financement international de l’atténuation.

Cent vingt-deux Parties ont présenté leurs Contributions déterminées au niveau national, avec des engagements de réduction d’émissions d’ici 2035. Il manque encore d’autres Parties, mais ces résultats constituent des avancées essentielles pour le multilatéralisme climatique. Beaucoup plus d’efforts seront nécessaires pour honorer la mission 1,5 ºC que nous avons assumée lors de la COP28 à Dubaï.

Dans les instruments mondiaux pour l’adaptation, nous avons également progressé. Même s’il subsiste des défis, nous disposons pour la première fois d’un ensemble d’indicateurs mondiaux d’adaptation, qui devront certainement être améliorés et élargis.

Chers amis, chères amies, en revenant à cette rencontre imaginaire avec nous-mêmes, je crois que nous pouvons montrer aujourd’hui que, malgré les retards, les contradictions et les disputes, il existe une continuité entre l’ambition de Rio-92 et les efforts présents. Que nous demeurons capables de coopérer, d’apprendre et de reconnaître qu’il n’existe pas de raccourcis, et que le courage nécessaire pour affronter la crise climatique est le fruit de la persistance et de l’effort collectif. Cependant, même si ces anciennes versions de nous-mêmes nous disaient que nous n’étions pas allés aussi loin que nous l’imaginions et qu’il le faudrait, elles reconnaîtraient quelque chose de fondamental : nous sommes toujours là. Et nous continuons d’avancer dans l’engagement d’accomplir la trajectoire nécessaire pour surmonter nos différences et contradictions dans l’urgence de la lutte contre le changement climatique.

Merci beaucoup d’avoir visité notre maison, le cœur de la planète. Peut-être ne vous avons-nous pas accueillis comme vous le méritiez, mais nous l’avons fait comme nous pensons que c’est notre geste d’amour envers l’humanité et l’équilibre de la planète.

Service spécial de communication sociale du ministère de l’Environnement

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Marina Silva - COP30

En fin de cette COP30, je parle de Marina Silva – ministre de l’Écologie du Brésil, femme amazonienne dont le parcours est au-delà d’un modèle d’audace, de courage, de féminité, de politique – la véritable politique.

Marina Silva, ou mieux : Maria Osmarina da Silva, née le 8 février 1958 à Rio Branco, dans l’Acre, au nord du Brésil, est à 67 ans une figure emblématique de la politique brésilienne.

Historienne, enseignante, psychopédagogue, militante des droits sociaux et environnementaux, ancienne analphabète, elle incarne un pont entre la lutte pour la justice sociale et la défense de l’Amazonie depuis des décennies, démontrant une trajectoire d’une résilience remarquable. De l’enfance dans une communauté de récolteurs de caoutchouc à la haute sphère de la politique internationale, Marina Silva a construit un parcours profondément ancré dans ses origines, affrontant une société machiste, patriarcale, ségrégationniste, où une personne issue de milieux modestes est condamnée à servir une certaine sphère sociale sans aucune possibilité d’évolution.

Marina a grandi dans le Seringal Bagaço, une communauté pauvre au cœur de l’Amazonie, dans l’État de l’Acre. Elle était l’une des onze enfants d’une famille de récolteurs de caoutchouc. Sa jeunesse fut marquée par des difficultés extrêmes : son enfance était faite de travail manuel – récolter du caoutchouc, pêcher, chasser – pour aider sa famille à subsister. À l’âge de 15 ans, Marina perd sa mère, ce qui bouleverse sa vie familiale.

Elle souffre ensuite de maladies graves, comme l’hépatite – courante dans la région à l’époque –, et se retrouve envoyée à Rio Branco pour se faire soigner : c’est là qu’elle apprend à lire et à écrire, alors qu’elle était analphabète jusqu’à 16 ans. La religion joue un rôle important dans son éducation : elle est influencée par la théologie de la libération, un mouvement social et religieux qui lie foi et justice sociale.

Victime d’une ségrégation sociale, très jeune elle s’approche de Chico Mendes, célèbre militant seringueiro et défenseur de la forêt amazonienne. Leur amitié et leur engagement commun seront décisifs : elle contribue à fonder, en 1984, un syndicat dans l’Acre, affilié à la Centrale unique des travailleurs (CUT). C’est dans ce contexte qu’elle découvre la politique. Elle rejoint d’abord un parti révolutionnaire, puis le Parti des travailleurs (PT), où elle devient conseillère municipale à Rio Branco, avant de devenir ensuite sénatrice. En 2003, sous la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva, elle est nommée ministre de l’Environnement, poste qu’elle occupe jusqu’en 2008 avec brio.

Marina enchaîne les prises de parole « dérangeantes ». D’un franc-parler rare, elle se positionne pour les minorités, pour le peuple amazonien dans sa globalité et pour la création d’opportunités égales – très sensible aux enjeux sociaux.

Les chefs d’entreprise la détestent, car elle remet en cause le modèle économique ségrégationniste. La haute bourgeoisie se moque d’elle, transformant cette femme de conviction en caricature. Les plus pauvres la comprennent, mais dans la globalité, les Brésiliens saisissent encore mal les enjeux environnementaux. Elle se bat seule – Lula semble être l’un des rares à voir le potentiel de cette petite femme d’audace.

Durant son mandat de ministre, elle met en œuvre des politiques ambitieuses : l’un de ses plus grands succès est la mise en place du Plan d’action pour prévenir et contrôler la déforestation en Amazonie (PPCDAm). Elle joue aussi un rôle central dans la création du Fonds Amazonie (Amazon Fund), destiné à financer des projets de conservation par des contributions nationales et internationales.

Avec le temps, son engagement ferme et sans concession lui attire des oppositions puissantes, qui tentent par tous les moyens de la faire taire. Des tentatives d’empoisonnement, des menaces directes et indirectes deviennent son quotidien. En 2008, elle démissionne de son poste ministériel, dénonçant les résistances croissantes au sein du gouvernement central et dans la société.

Après sa démission, Marina se tourne vers des ambitions présidentielles : elle se présente en 2010 sous l’étiquette du Parti vert. Elle obtient environ 19,3 % des voix au premier tour, un score impressionnant pour une candidate écologiste dans un pays comme le Brésil, mais insuffisant pour accéder au second tour. Frustrée par les limites du système politique traditionnel, elle décide de créer son propre parti. En 2011, elle amorce la fondation d’un nouveau mouvement, qui deviendra en 2015 la Rede Sustentabilidade (« Réseau Durabilité »). Elle se porte à nouveau candidate à la présidence en 2014, cette fois avec le Parti socialiste brésilien (PSB), aux côtés d’Eduardo Campos, qui décède dans un accident d’avion. Elle devient alors la candidate désignée – une réjouissance pour ses adversaires qui connaissent les limites de son appareil politique.

En janvier 2023, Marina Silva revient au gouvernement de Lula, cette fois comme ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Les Brésiliens sont de très bons communicants et savent choisir des mots qui fonctionnent. Marina est âgée. Ses ambitions sont en cohérence avec son âge qui avance, mais sa dignité et son audace lui permettent d’accepter le poste, convaincue qu’il faut lutter encore. À ce titre, elle joue un rôle central dans la lutte contre la déforestation illégale en Amazonie, en renforçant les institutions environnementales, en améliorant la surveillance et en mobilisant des ressources. Sous sa direction, le Brésil enregistre des baisses marquées de déforestation dans des biomes clés et travaille à la préparation de la COP30.

Marina Silva incarne la justice sociale, la défense des populations traditionnelles et l’urgence écologique. Marina Silva est un symbole vivant : non seulement d’un engagement écologique profond, mais aussi d’une ascension sociale. Elle marque les chemins du possible, la cohérence, le respect des racines, la force des valeurs et des convictions.

Marina est un modèle. Une inspiration, un synonyme de femme puissante. Elle est aussi le reflet de l’échec d’une société qui n’a pas encore compris son message, pourtant limpide. Arrivant très probablement à la fin de sa carrière, cette COP, où sa capacité diplomatique l’oblige à maîtriser ses mots, ressemble sans doute à un film : le film de la réussite et du combat d’une vie, résumé dans un discours applaudi trois minutes consécutives. Quiconque a suivi de près ce dossier connaît la force de son audace. Celle de croire. Encore, et encore.

À la fin de cette COP30, au cœur de la forêt amazonienne, c’est à elle que je souhaite rendre hommage.
Est-il suffisant d’avoir des convictions ? Hélas non.
Mais sans imagination et convictions, nul ne ferait de politique.

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