« J’ai besoin qu’on m’aime. » C’est dans la bouche d’un loup que les paroles de Claude-François se réactualisent, dans la dernière vidéo au succès mondial, le conte de Noël publicitaire d’Intermarché.
L’animal, la mise en scène, le storytelling ont séduit les internautes, certains ont même dit avoir pleuré, et la publicité est, du point de vue de l’animation, une réussite. Malgré le travail du studio – remarquable –, certains discours qu’a suscités la publicité ou qui l’ont accompagnée méritent qu’on s’y attarde, et le fond de la vidéo d’être interrogé.
Le grand gentil loup
Une des réussites de la publicité d’Intermarché a été de toucher le spectateur, particulièrement à l’égard du loup. Ce dernier nous est apparu comme un animal gentil, doux, attendrissant, qui ne cherche qu’à s’intégrer à la communauté des animaux de la forêt. Pour compagnognner avec eux, il est prêt à écouter les conseils du hérisson et à changer son alimentation en apprenant à cuisiner et à adapter ses recettes. La réelle icône de cette pub, c’est lui. D’ailleurs, tout le monde, enfants comme adultes, est prêt à s’arracher la future peluche à son effigie, à le faire entrer dans sa maison, dans sa chambre.
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Pourtant, cet animal n’a pas toujours eu la vedette. Décrié dans notre imaginaire, il nous a été présenté, dans les contes de notre enfance, dans les histoires du coucher, dans les fables, comme un être dangereux, un prédateur caché dans les sous-bois, prêt à se jeter sur sa proie. Pensons au Petit Chaperon rouge et à sa morale, qui appelle à la méfiance envers le « grand méchant loup ». Ce dernier n’est pas seulement le prédateur des humains, il l’est aussi des brebis, des moutons, des troupeaux, causant indirectement du tort à leurs exploitants, aux bergers. Dans la culture populaire, le loup est dépeint comme une menace pour tout le monde.
Le studio d’animation a réussi à représenter ce basculement de la férocité à la gentillesse. Les sourcils du loup vivant, ainsi que ceux de la peluche, se sont peu à peu défroncés pour lui donner un air affable, aimable, avenant et coopératif. À la fin, le loup est bienvenu à la table et invité à partager le repas avec les autres animaux. Il est accepté. En tolérant la présence du loup à table, en faisant communauté avec lui, les animaux mettent en pratique les valeurs d’inclusion, de vivre-ensemble, de solidarité. À l’instar des animaux qui ont dépassé leur peur du loup, le spectateur se laisse attendrir par cet animal qu’on lui a toujours présenté comme dangereux, changeant ainsi la représentation qu’il en avait. Nous sommes ce petit garçon de la pub qui a au début peur du loup et aurait refusé la peluche, et qui finit par l’adorer.
Deux minutes trente de vidéo ont prouvé qu’il était possible de défaire nos représentations négatives et ont ajouté une pierre à l’édifice de la contre-culture que nous voyons fleurir dans d’autres domaines – la littérature jeunesse, par exemple. Imaginons juste ce que l’on pourrait faire de similaire pour d’autres animaux malaimés, comme les araignées, les rats, les pigeons… Tant que nous continuerons d’alimenter la haine et la crainte envers certains animaux, nous condamnerons une poignée d’êtres sensibles à faire les frais de notre rejet collectif. Il ne tient qu’à nous d’éduquer sur ces sujets – comme le fait l’oncle de la pub avec son neveu – et de continuer à alimenter cette contre-culture ainsi que les conditions pour la recevoir, lui permettant dès lors de s’épanouir dans nos imaginaires et de modifier notre regard.
Le pouvoir du récit est incontestable. Néanmoins, y a-t-il vraiment besoin de changer le régime alimentaire du loup pour faire de lui un gentil ? Certes, la pub contribue à la réhabilitation bienveillante du loup dans notre imaginaire, mais elle le fait en reniant totalement sa nature carnivore, induisant que celle-ci est une raison pour considérer le loup comme un « grand méchant ». Qu’il mange ou non de la viande importe peu ; finalement, l’enjeu serait moins de rendre le loup « gentil » que de voir en lui, malgré sa nature carnivore, un être vivant digne de vivre et d’être aimé.
On a d’ailleurs vu tourner ces derniers temps, sur Internet, une fin alternative, réalisée sous IA, se déclarant comme la « vraie fin » de la pub d’Intermarché. On y voit le loup attablé, le ventre tendu, après avoir ingurgité ses amis. Cette image de lui renverse la fin bienheureuse de la pub et replace le loup dans sa position de prédateur – celle qu’on lui connaît.
Un loup végétarien, vraiment ?
C’est ce que la plupart des médias se sont précipités à affirmer, c’est ce qu’on a entendu dans la bouche de beaucoup d’internautes. D’autres, faisant un pas de plus dans la désinformation, ont carrément qualifié le loup de « vegan » (Le Parisien). Le fait est que, dans la pub, le loup n’est pas végétarien et il est encore moins vegan. On le voit en effet, à travers plusieurs scènes, pêcher du poisson et le cuisiner ensuite. Ces images auraient-elles échappé aux médias et aux spectateurs ? Ou peut-être les ont-ils bien vues mais ont tenu malgré cela à qualifier le loup de « végétarien » ou de « vegan » ? Cette confusion est révélatrice de l’ignorance de notre société de ce qu’impliquent ces régimes alimentaires et du manque de considération à l’égard des animaux que sont les poissons. La souligner n’est pas qu’une simple formalité de vocabulaire ni la marque d’un puritanisme forcené.
Rappelons que le végétarisme se définit par la non-consommation de chair animale – viande ET poisson, donc. Le véganisme, lui, consiste à ne consommer ni chair animale ni produit, alimentaire et autre, issu de l’exploitation animale. Si cet abus de langage – qualifier le loup de « végétarien » ou de « vegan » – a pu passer presque inaperçu, c’est parce que notre société manque d’éducation sur les termes utilisés pour désigner de tels refus de consommation (pesco-végétarisme, végétarisme, végétalisme, véganisme) et, pire, parce qu’elle ne considère pas les poissons comme des êtres sentients, capables d’émotions et de ressentir la douleur au même titre que les animaux de la forêt. Parce qu’on ne les voit pas, parce qu’ils vivent dans un environnement différent du nôtre, parce que notre culture ne les considère pas comme dignes d’intérêt, les poissons peuvent être exclus de notre définition du végétarisme. Cette exclusion est non seulement le résultat du spécisme à l'œuvre dans notre société, mais elle participe aussi à l’alimenter : plus on dit du loup qu’il est végétarien, plus on invisibilise les poissons.
Pour beaucoup de personnes, manger des légumes, végétaliser son alimentation, reviennent à être végétarien voire vegan. Perpétrer ce raccourci de pensée, c’est minimiser la valeur de la vie des poissons et des autres animaux exploités pour leurs ressources (œufs, lait, beurre…). On peut manger beaucoup de légumes et participer dans le même temps activement à l’exploitation d’animaux et à leur tuerie.