Ne pas laisser faire l'intolérable
C'est une véritable honte. Il y a eu des milliers de morts sur les chantiers de construction des infrastructures du mondial, des victimes qui ont succombé à des conditions de travail terribles, avec un non respect complet de leurs personnes. En plus les stades sont climatisés alors que la crise climatique s'amplifie, fait rage. Et on n'est pas en mesure de remédier à celle-ci, de la stopper et d'assurer plus gobalement à nos descendants, aux générations futures un environnement et un climat stable pour pouvoir vivre leur vie dans des conditions sûres, en sachant à quoi s'attendre.
Malgré cela il ne nous est proposé que de savourer cette coupe du monde, de s'en réjouir, de faire la fête de façon insouciante? Mais non! On ne veut pas! Même si la passion pour le football en tant que telle est par ailleurs tout à fait respectable.
Le problème est qu'on est rentré dans une ère honteuse. Nos comportements, nos attitudes sont honteuses. Nous sommes rentrés dans une ère de minables, de gens insouciants, qui profitent de la consommation, qui s'amusent alors que les conséquences de leurs actes sont terribles, alors que ce qu'ils déclenchent est terrible .
La conséquence de la libéralisation/dérégulation des années 60 et 70
Qu'est-ce qui a amené cela? Il y a 55 ans c'était mai 68, qui a été suivi par les années 70 avec leurs révolutions des moeurs, leur refus de l'autorité, des traditions, leur slogan qui était "il est interdit d'interdire". C'était l'avénement du culte de la jouissance, de l'insouciance. Quelles graine cela a-t-il planté dans la société? Qu'est-ce qui a germé de cette attitude là, de cette non volonté de se contraindre, de cette volonté de n'avoir aucun carcan? De cette volonté de faire le moins d'efforts possible aussi: cette volonté de rester enfantin, de ne pas grandir, de ne pas assumer des responsabilités, avec un statut d'adulte, de personne responsable au regard de règles, d'un collectif?
Cela conduit à la société actuelle. Celle de l'hyper consommation. Celle du commerce dérégulé mondialement, l'Union Européenne y participant. Celle de l'ultra libéralisme. Celle entre autres d'internet non contrôlé, lieu de tous les trafics, lieu où on peut invectiver, mentir, faire se développer des rumeurs, voire recruter des personnes perturbées mentalement pour les pousser à commettre des attentats!
J'ai personnellement un père, jeune adulte en mai 68, qui a orienté plus tard sa carrière professionnelle vers l'informatique et internet. Je me souviens des discussions qu'on a pu avoir à la fin des années 90 quand il a commencé à s'y intéresser, des discussions qu'il a pu avoir avec moi ou d'autres. Il disait qu'il fallait que tout soit libre sur internet, qu'il ne fallait pas qu'il y ait de régulation, que tout devait être ouvert. Nous étions nombreux à lui dire que ce n'était pas possible un monde, un espace sans règle, sans loi. Que cela allait forcément avoir des conséquences négatives. Nous lui disions parce que cela nous paraissait évident que s'il n'y avait pas de règles et de lois, c'était la porte ouverte aux actes criminels, à la violence, à l'exploitation des uns par les autres.
Mais il y voyait sans doute son intérêt, la possibilité du développement de son business. Et ça a marché pour lui, comme pour d'autres. Son entreprise s'est bien développée, il en a tiré du profit et il continue même encore à le faire maintenant alors qu'il a très largement dépassé l'âge de la retraite. Il n'y voyait que son intérêt personnel, la liberté pour lui, sans regarder l'intérêt général, sans regarder les conséquences pour la cohésion de la société.
Ce type de comportement a amené une société dérégulée, où la perte de respect pour les autorités officielles, la perte de place et de poids de celles-ci a permi à certains individus de faire leur beurre, pour certains via des activités malsaines, criminelles. Internet est le lieu de tous les trafics: drogue, contrefaçon, vente de produits importés illégalement, vente d'armes, prostitution, pédophilie... Et cela, c'est l'attitude de personnes irresponsables, comme celles qui sont parvenus à l'âge adulte dans la fin des années 60 et le début des années 70 en proclamant qu'il ne fallait plus de règles dans la société, plus d'autorité.
Quand on supprime l'autorité et les règles cela permet à d'autres règles de prendre le dessus, et notamment à la la loi du plus fort, de plus malin, du plus roublard et du plus manipulateur. Il fallait réfléchir avant de vouloir supprimer les règles, à quelles règles on allait mettre à la place. La conséquence c'est que nous vivons actuellement dans une société avec de moins en moins de règles, ne permettant plus que rien ne se construise et dure, ne permettant pas d'envisager un avenir dans un environnement stable et de pouvoir y faire des projets. En proclamant "il est interdit d'interdire", cela nous a projeté dans une mentalité de minables, d'incapables, d'irresponsables, ne contrôlant pas les conséquences de leurs actes.
Une société individualiste, peu capable d'efforts, rendue dépendante
Nous sommes dans une société d'hyper individualisme où il n'y a plus de volonté de l'intérêt collectif. Ce à quoi aspire les gens, ce dont ils rêvent désormais ce n'est plus que de gagner au loto et de vivre leur bonheur individuel, ce n'est plus de vivre bien avec les gens, avec les leurs. Il n'y a plus de rattachement à une communauté, de volonté de vivre avec une communauté et de s'investir pour elle. Nous sommes dans une société individualiste où l'implication pour l'intérêt collectif ou autrui sont soit exploités, soit moqués.
Nous sommes dans l'ère de la facilité, de l'assistance par ordinateur ou par appareils connectés, en réseau. Le goût de l'effort, l'autonomie, la capacité à faire par soi-même ne sont plus en vogue. Nous ne sommes plus responsables de rien, plus engagés pour rien. L'avenir, le sort de la société, le monde construit et laissé aux enfants actuels, c'est comme si cela ne nous concernait plus. Nous sommes dans l'ère des gens qui ne contrôlent pas les conséquences de leurs actes, qui restent dans une position infantile dépendante et qui laissent tout aller, tout se produire en restant spectateurs.
Il faut dire qu'il est devenu normal de projeter d'exploiter autrui en le manipulant par des objets connectés, en le menant par le bout du nez par ce biais afin de pouvoir en tirer profit; ce n'est plus si dérangeant.
Nous sommes dans l'ère où les entreprises, les vendeurs, les médias se battent pour obtenir l'attention des gens. Cette attention, comme les données personnelles des gens, est devenu une source de revenu à prendre. On est ainsi tiré à hue et à dia en permanence, on devient les jouets de ceux qui parviennent le mieux à manipuler notre cerveau pour qu'on se concentre sur leurs messages, leurs produits. On n'arrive plus à se concentrer, on regarde sans arrêt à droite, puis à gauche.
Quand on marche dans la rue en ville derrière des gens, on voit des personnes complètement imprévisibles qui sautent d'une direction à l'autre, regardent à droite puis à gauche, vont ici puis là brutalement, s'arrêtent, repartent et ne font pas attention aux personnes autour d'elles, attirés par une chose, puis l'autre: les notifications de leurs téléphone portable, une vitrine, un panneau...
Comment espérer qu'une société avec des gens comme ça puisse décider d'une trajectoire pour l'avenir, de construire un avenir, et s'y tienne? C'est l'ère du changement permanent qui conduit à faire du surplace et à ne jamais avancer dans une direction, à ne pas faire de projet construit.
Le gavage et la corruption des jeunes générations par la consommation
Et on voudrait que l'on se taise, que l'on ne dise rien par rapport à ça?
Je suis de la génération qu'on appelait la "bof génération", gavée dès l'enfance par la consommation, la télévision, ce qui ne met pas dans des dispositions dynamiques et revendicatives. C'est comme si on nous avait dit dès l'enfance qu'il n'y avait rien à réclamer parce qu'on avait déjà tout, et qu'il n'y avait rien à viser dans la vie. Mais ce n'est pas qu'on est une génération qui n'a rien à dire, qui n'a pas d'envie, c'est qu'on est une génération dont on a sapé les envies, qu'on a corrompu en agitant devant son nez des biens de consommation dès l'enfance.
L'attitude de la génération du baby boom par rapport aux plus jeunes qu'elle est de la corruption de mineur, d'enfants. Ils nous ont tiré vers le bas. En voulant "interdire d'interdire", ils ont aussi mis à bas les règles de séparation, de distinction entre générations, avec les places assignées à chacun, avec la non communication aux enfants de ce qui ne concerne que les adultes, avec le fait que des générations sont amenés à succéder à d'autres, doivent grandir.
Aujourd'hui nous sommes notamment dans une ère où la pornographie est en libre accès sur internet, y compris pour les enfants qui n'en ont pourtant pas l'âge. On le sait mais on laisse faire, ou on intervient si mollement que cela revient à ne rien faire. Au final on se détourne du problème et l'oublie. "On n'y peut rien", "ce n'est "pas si grave", "il ne faut pas être pudibond", mais "ouvert", semble-t-on dire au fond. Ou alors on considère que ce n'est pas son problème finalement, et on ne pense qu'à soi. C'est la société du laisser-aller, de la perte de repère, de la perte de morale.
Les baby-boomers ont mis à bas toutes les règles permettant à une société de vivre et de se maintenir, d'exister par delà le temps. Et nous en arrivons aujourd'hui à une ère minable, avec des aspirations minables. On parle d'ère de l'anthropocène, mais ce n'est pas cela le bon terme. Le bon terme c'est "ère minable", "ère des minables". De ceux qui ne pensent qu'à eux-mêmes, qu'à leur liberté de choisir, qu'à leur confort, qu'à leur bien-être personnel et qui n'ont aucune vision d'avenir, aucune capacité à construire une société, une communauté durable.
Nous en sommes rendus à une société qui s'extasie devant une coupe du monde de football en plein hiver au Qatar, qui prend plaisir devant ce genre de spectacles, avec des responsables politiques disant que c'est bien de l'apprécier. Mais vous avez perdu tous repères! Cela est honteux, cela donne la nausée. Pourquoi voudriez-vous que nous soyons minables comme ça? Pourquoi voudriez-vous qu'on accepte de s'entendre avec les personnes au comportement aussi abject que ceux qui ont mis en place la coupe du monde du Qatar? Ce ne sont pas nos amis. Ils exploitent les gens qui travaillent chez eux comme des esclaves. Pourquoi voudriez-vous qu'on se rabaisse à accepter leur pétrole et leur gaz pour vivre de façon plus confortable? Qui vous dit qu'on n'est pas capable de faire des efforts, de gérer des pénuries, de se bouger pour faire les choses sans être assistés par des machines ou des engins à moteur? Vous ne nous prenez donc vraiment que pour des être capables de consommer passivement, pour des minus?
Les changements de moeurs favorisant l'individualisme sont une gêne
Nous sommes dans une société où plus rien n'est proposé que de changer les moeurs. Il n'y a que ça comme espoir d'amélioration. Vive l'homosexualité! Vive les droits des femmes! Mais on n'en a rien à faire de cela, ce n'est pas la priorité! Pourquoi s'offusquerait-on plus des atteintes à l'égalité ou des féminicides que des morts d'ouvriers par milliers sur des chantiers au Qatar? C'est vous qui décidez à notre place quelle injustice doit être dénoncée, et quelle autre injustice peut être passée sous silence? On parle bien peu des personnes qui meurent de faim de par le monde dans les médias officiels!!
Cette mise en avant des changements de moeurs, c'est en droite ligne de la mentalité de mai 68, des années 70 et de leur volonté de libéralisation des moeurs, de suppression des interdits. Libéralisation des moeurs et libéralisation économique, libéralisme dérégulé, vont strictement de pair.
C'est la même mentalité: moins de règles, moins d'efforts pour l'intérêt collectif, la société dans son ensemble, et plus de droit pour l'individu en tant que personne isolée. Il a alors moins d'efforts à faire pour la communauté. Moins à se contraindre pour ne pas consommer plus que nécessaire (ce qui revient à priver autrui - et notamment les générations futures), moins d'efforts à faire pour vivre en société avec un statut, un rôle attribué à chacun, en faisant attention aux autres, en se répartissant les rôles, en acceptant de se couler dans un moule pour que la vie commune soit possible, qu'on sache qui est qui et qui doit faire quoi, où on va.
Cette libéralisation des moeurs est l'autre jambe de la libéralisation économique: ce sont les deux jambes du même corps, elles avancent ensembles. Alors non seulement la libéralisation des moeurs n'est absolument pas la priorité actuellement, ce n'est pas ce qui va sauver le monde des périls qui le menacent: pollution, réchauffement climatique, bouleversement du climat, pénuries alimentaires, catastrophes climatiques, tensions sociales et géopolitiques liées. Mais c'est aussi au final un frein empêchant de lutter contre ces menaces: si on ne pense qu'à soi on ne pense pas à l'intérêt général. Alors oui il faut revenir sur cette libéralisation des moeurs, sur cette primauté donnée à l'individu, au droit de choisir chacun tout seul sa vie sans tenir compte d'une commauté. Oui il faut revenir sur les droits individuels, sur le droit des femmes, sur le droit des homosexuels, comme il faut revenir sur la dérégulation économique! Et c'est en faisant les deux ensemble qu'on y parviendra.
Ce n'est pas pour rien si les sociétés qui ont tenu dans le temps, toutes les sociétés jusqu'à maintenant, régulaient drastiquement, cadraient les droits des individus, et notamment des femmes ou des homosexuels. Et ce n'est pas pour rien si la société actuelle où on a accordé tant de droit à l'individu, des droits à consommer et polluer sans devoir en assumer les conséquences, au droit d'exposer sa vie sexuelle sans se restreindre même si des enfants jeunes peuvent entendre, en passant par le droit de calomnier ou d'insulter sur internet, voir au droit de consommer des stupéfiants vu comme cela n'est pas sérieusement régulé et empêché aujourd'hui, plus le droit de choisir sa vie sexuelle librement, ou de ne pas s'occuper d'enfants (même s'ils en ont besoin: c'est chez eux qu'il y a le plus de souffrances actuellement), est aussi la société qui ne présente aucun avenir viable, qui n'en a absolument pas.
Sortir de l'ère minable et retrouver des qualités
Je pense pourtant qu'il est valable de vouloir vivre dans une société qui ait un avenir, et de revenir sur tout ce qui fait que l'on n'en a pas actuellement. Je pense qu'il ait raisonnable de ne pas vouloir accepter d'avoir des passions minables, mais d'être plus exigeant que ça. On n'a pas envie d'accepter d'être "bof", d'être passif, d'être dépendant de produits ou de technologies.
On est des humains avec qualités. Ne nous placez pas dans le rôle de minables. A force de vouloir censément donner le droit à chacun de choisir sa vie, alors que le seul choix qui nous est réellement offert en réalité est de consommer, on n'est en fait devenu globalement que minables. Il faut revenir sur cela.