Un environnement peu propice au contrôle de ses émotions
C'est dû beaucoup à internet, aux services auxquels le réseau donne accès, à sa disponibilité en permanence via les téléphones portables. On est dans une économie de l'attention, qui veut que les gens soient connectés un maximum de temps, et que leur attention reste captée par leurs écrans, diffusant notamment des publicités ou de l'idéologie. Tous les problèmes sont vantés comme pouvant désormais être résolus ou presque par des posts, des vidéos, des explications en ligne. On peut se former à tout, avoir des conseils ou des réponses pour tout. Internet donne accès à ce qui se prétend comme une nouvelle intelligence, pouvant répondre à tout, donner accès à toutes les sciences.
Cette économie rend dépendant. Elle prétend assister les gens, leur faciliter la vie et leur permettre le confort, la facilité, la capacité de faire des choses qu'elles n'auraient jamais pu faire seules (de la création de musique aux arts picturaux, ou la rédaction d'articles, de textes...) Plus besoin d'efforts ou presque.
Plus besoin non plus de patienter, de s'ennuyer pendant un temps avant d'obtenir quelque chose. Il n'y a plus de temps mort, de moment où on n'a rien à faire. Le moindre moment d'ennui est comblé par l'utilisation de téléphones diffusant de l'info, du divertissement, du lien, ou l'apparence de lien, avec des personnes. Plus de solitude, plus d'efforts à faire pour attendre.
Tout cela génère, après 20 ou 25 ans d'internet, des sociétés faites d'individus qui ont de moins en moins la capacité à patienter, à supporter la frustration, à maîtriser leurs impulsions, à construire quelque chose sur le long terme. La nouvelle économie de l'attention et d'internet joue justement sur la manipulation des sentiments des gens pour qu'ils contrôlent de moins en moins leurs pulsions, leur envie, qu'ils n'arrivent pas à le faire et qu'ils se ruent sur du contenu en ligne. L'impulsivité, le manque de capacité d'attention, de résistance à des envies grandit ainsi.
Des raisons multiples et profondes à la colère
Cela créé au bout du compte des individus immatures, avec une capacité de résistance à la frustration équivalente à celle d'enfants en bas âge. Ces individus se mettent facilement en colère. Ils le sont à double ou triple titre.
D'abord parce qu'ils ont de moins en moins la capacité à contrôler leurs pulsions, parce qu'ils ont moins à le faire quotidiennement du fait de l'utilisation d'outils qui répondent à leurs envies quasiment dans l'instant.
Ensuite parce qu'ils sont sans doute fatigués par la sur-sollicitation de leur attention et le fait que leur cerveau se repose rarement. Cela fatigue et rend d'autant plus impulsif.
Et ensuite parce que nous sommes dans une société vieillissante ou ceux qui ne sont pas encore vieux sont bloqués par les plus anciens, sont mis du fait de la société de consommation dans une position d'assistés, donc de personne non mature, et que cela met en colère de ne pouvoir prendre la place correspondant à son âge, et de ne pas être considéré comme adulte ou capable de l'être. Il y a une quantité d'énergie qui est bloquée du fait du blocage entre générations causé par la forte place prise par les plus âgés, en nombre, en poids financier ou politique. Cette énergie demande à être libérée, à s'investir dans quelque chose au mieux, ou à se libérer par la colère sinon. Mais il faut en faire quelque chose.
La société qui conviendrait aux plus âgés, qui retournent dans une forme de jeune âge, de retour à l'enfance, de besoin d'assistance, du fait de leurs capacités déclinantes, se diffuse et est imposé à des personnes adultes ou qui devraient être en train de grandir, et qui en sont empêchées, mises qu'elles sont dans une position d'immaturité, de dépendance, de réponse à tous leurs besoins de suite.
Non seulement cette société là est moins capable de se maîtriser niveau pulsions, est plus sujette à la colère, aux expressions mal maîtrisées de pulsions, non concentrées, non canalisées vers un but, mais désordonnées et destructrices, parce qu'elle ne l'apprend plus au quotidien, parce qu'elle a des outils qui font qu'elles ne le pratique plus assez régulièrement, mais de plus cette colère est amplifiée par le manque global de sens de la société, le manque de débouchés, de but vers quoi grandir, de possibilité de grandir, de prendre en maturation, en responsabilités.
L'internet sans règles
Cela c'est dû notamment à une économie numérique qui prend de plus en plus de place et qui est insuffisamment régulée. Il n'y a pas assez de règles pour le fonctionnement d'internet, pas assez de lois qui s'y appliquent. Les lois déjà existantes ne sont tout bonnement souvent pas appliquées sur internet. C'est une forme de jungle. Les propos insultants y fleurissent, les atteintes à la vie privée, les trafics divers et variés. Mais aussi la façon dont les sociétés commerciales y font du business n'est pas cadré juridiquement, que ce soit au niveau des ventes ou pour le paiement d'impôts. Sans parler donc des conséquences sur la société, sur les individus, notamment les plus jeunes, de techniques marketing de captage d'attention employées et qui ne sont pas cadrées.
Ce nouveau monde s'est développé sans règles, sans être cadré par les Etats, comme un far-west, pendant des décennies. Aujourd'hui avec l'apparition de l'IA cela prend encore une dimension plus importante, cela franchit un nouveau pas. Les industriels du numérique ont voulu paraître comme très conscients des risques sociaux que cela générait, et vouloir ralentir eux-mêmes les évolutions, pour en fait éviter que ce soit d'autres qui le fassent et obtenir in fine la liberté de déployer leurs technologies et de les faires accepter par le monde économique, en les faisant paraître comme incontournables.
Là on prend un très très gros risque social, et qui n'est donc toujours pas maîtrisé et cadré par les Etats et les instruments juridiques. Ce sont toujours les industriels, à la motivation mue par le gain personnel et non l'intérêt général, qui sont à la baguette, qui modèlent les choses comme ils le souhaitent, qui font accepter par les responsables politiques et économiques leur technologie en faisant miroiter de la croissance et des possibilités de réussites économiques éblouissantes, faisant oublier tous les autres problèmes et tous les risques.
Mais donc les sociétés commencent à se délitées et à être de plus en plus impulsives. La vie commune devient de plus en plus empêchée, inaccessible. Pour la vie commune il y a besoin de règle. Sans règles c'est la jungle, c'est la loi du plus fort, du plus malin, l'exploitation des plus faibles, l'injustice et la colère, la vengeance, la violence. C'est le tour que prend nos sociétés.
Un besoin urgent de réinstaurer des règles
Pour éviter cela il faut remettre des règles dans les endroits où il n'y en pas. En tout premier lieu sur internet. Les Etats-Unis ont été capables d'agir quand il l'a fallu pour briser des monopoles économiques. Est-ce qu'ils seraient capables de le faire aujourd'hui par rapport aux géants du net? Il y a besoin de règles et de régulation sur internet. Des responsables politiques âgés, déclinants, manquant d'énergie et de vivacité comme aux Etats-Unis, et souhaitant une économie collée aux besoins des gens de leur âge, sont-ils désormais capables de le faire ? Non, ils n'ont pas la force.
Il faut aussi éviter que toute la société, même ceux qui n'en ont pas besoin, soient contraint ou poussés à devenir assistés, et ne puissent agir comme leur âge le demanderait, en déployant l'énergie correspondant à leurs capacités. Il ne faut pas que la société dans son ensemble doive se modeler sur les besoins des plus âgés, doive aller au rythme des plus âgés déclinants, doive être dépendant comme eux, assistés comme eux.
Il est beaucoup d'entrepreneurs sans scrupules qui profitent de l'évolution des sociétés vieillissantes, des personnes âgées, en devinant les envies de ceux-ci et en cherchant à profiter de leur pouvoir d'achat fort (grâce aux retraites qu'on leur paie, qui endettent d'ailleurs les pays et qui devront être remboursés dans le futur par les plus jeunes qui ne toucheront eux certainement pas de retraites équivalentes - et qui en plus devront composer avec un environnement très dégradé du fait de la fièvre consumériste des plus âgés actuels, durant leur vie active et leur retraite longue, et aussi avec une société aux règles estompées et floues, avec une absence de repères). Ces entrepreneurs préfèrent qu'il n'y ait pas de règles pour pouvoir le faire librement, avec un maximum de profit, sans les contraintes de devoir éviter des risques sociaux ou des atteintes à l'intérêt général des sociétés, de la communauté. Ce sont eux qui sont aux manettes actuellement.
Les règles entre générations
Par rapport à ce problème de financement des retraites, qui permettent aussi de faire tourner toute une "silver économie", il est désormais perçu comme une solution de faire venir des personnes étrangères pour qu'elles compensent le vieillissement de notre population, et paient des impôts permettant ce financement. C'est parfois vu comme une solution incontournable, qui s'imposerait sans discussion possible, comme une évidence. C'est une drôle de façon de réagir à l'inconséquence passée de toute une génération qui n'a pas prévu qu'il fallait faire un certain nombre d'enfants quand ils avaient l'âge de le faire, afin qu'ils puissent s'occuper d'eux quand ils seraient vieux, afin qu'ils puissent continuer à faire tourner la société à l'avenir, à payer des impôts. Cette génération a vécu de façon individualiste, a rejeté les traditions qui avaient cours dans la société et la faisait tenir auparavant en les considérant comme obsolètes, notamment celle d'avoir un certain nombre d'enfants. Et maintenant que les conséquences s'en font sentir, elles voudraient recourir à de nouvelles solutions violentes et destructurant encore plus la société où elles vivent, brisant encore un peu plus les liens entre les personnes, les références à une culture commune, en ne percevant au final les autres que comme des moyens de satisfaire leurs besoins. Ce serait une drôle de façon de récompenser l'inconséquence que de répondre à leurs demandes.
La société violente qui va se développer du fait de l'action des entrepreneurs qui exploitent l'avidité et l'inconséquence des plus âgés vivant aujourd'hui va-t-elle permettre de continuer une vie pacifique propice aux affaires longtemps de toute façon? Ne faudrait-il pas des personnes capables d'édicter des règles et de les faire respecter? Faut-il sanctionner tous ceux prétendant qu'il ne faut pas de régulation sur internet, ou agissant pour cela?
Avec la colère qui se développe chez les gens, du fait de la structuration de l'activité, du quotidien, de l'économie actuelle, et du fait des raisons objectifs qu'ils ont d'être en colère pour les plus jeunes, vu que le contrat entre génération n'est plus respecté, notre société va prendre un tour abrupte. Le contrat entre génération est qu'elles se succèdent les unes aux autres. Le contrat entre génération est que les plus âgés permettent aux plus jeunes d'avoir un avenir, une société et un environnement viables sur le long terme, que les plus âgés forment les plus jeunes, leur donnent des repères, que les plus jeunes s'occupent des plus âgés une fois qu'ils sont vieux, et s'occupent à leur tour de plus jeunes, pour que la société continue.
Si toute la masse de colère continue à s'accumuler dans un environnement où on n'apprend plus à la cadrer, les plus jeunes vont finir par dévorer purement et simplement les plus vieux. Des plus vieux qui retournent en enfance, leur enfance d'enfants gâtés pensant que tous est bon pour eux, que la croissance est toujours possible, vont se retrouver confrontés à des plus jeunes qui n'ont pas reçu de cadres, qui sont dans un environnement gênant la maîtrise d'eux-mêmes 24h/24h. Dans cette société complétement sauvage, les plus vieux, plus faibles, vont être purement et simplement dévorés.