L’une des artistes les plus en vogue de ces dernières années en a fait le sujet d'une vidéo célèbre : un pantin barbu qui court inlassablement autour d’un stade en évitant les faucilles et marteaux lancés devant lui tels des projectiles de jeu vidéo, et vient régulièrement s’effondrer entre les seins énorme d’une Marylin Monroe virtuelle habillée aux couleurs du drapeau étasunien.
Victor-Hugo, le fils de mon mécanicien, a 8 ans. Pour lui, le « Lider Maximo» est déjà un personnage de l’histoire, comme Simon Bolivar ou José Marti. Victor-Hugo ne sait pas trop quoi dire d’autre - il n’aime pas beaucoup les leçons d’histoire, en fait – mais il se rappelle quand même d’une chose que sa maitresse lui a répété plusieurs fois : c’est à Fidel qu’il doit, comme tous les écoliers cubains, son joli uniforme beige.
Sa grande soeur, Ana-Maria, lui garde une rancoeur tenace pour avoir du ingurgiter, durant des années et sous toutes les formes, des kilos de Moringa, la plante aux multiples vertus dont il imposait la culture et la consommation partout sur le territoire cubain pour pallier à l'absence d'autres aliments.
Hector, chauffeur à l’ambassade, affirme qu’il est mort il y a déjà longtemps, et que les autorités attendent juste le bon moment pour annoncer, symboliquement, son décès. Il est persuadé que les quelques images qui apparaissent de temps à autre dans les médias sont en fait celles d’un sosie, raison pour laquelle, selon lui, sa voix y est systématiquement couverte par celle d’un commentateur.
Sa conviction s’est encore renforcée le jour où on a appris que Hugo Chavez venait de mourir au Vénézuela, sur sa terre bien aimée, alors qu’il était encore censé suivre sa chimiothérapie ici-même à La Havane quelques heures auparavant.
«Ah, tu vois ? Ici on congèle les morts et on les ressort quand ça nous arrange… ».

Agrandissement : Illustration 1

Certaines employées de la résidence de France disent se rappeler, émues, l’époque où il avait l’habitude de débarquer, en pleine nuit, chez l’ambassadeur, pour discuter pendant des heures à l’abris des potentiels micros de la CIA et vider le stock de fromages français importés sous franchise diplomatique.
Lissette le hait. Son mari était à bord du ferry pris en otage en avril 2003, dans la baie de La Havane. Le bateau, qui fait la navette entre le centre-ville et le quartier de Regla, avait été dérouté en direction de Miami par une dizaine de dissidents. Il était tombé en panne d’essence à peine sorti du port, et avait dérivé jusqu’à Mariel, une vingtaine de kilomètres plus à l’est. Les opposants avaient tenté d’obtenir du carburant en échange des quarante passagers pris en otage, mais avaient fini par se rendre aux autorités. Sur ordre direct de Fidel Castro, trois d’entre eux étaient exécutés onze jours plus tard. Quatre autres seront emprisonnés à perpétuité ; parmi eux Roberto, le mari de Lissette. Selon elle, il était sur le ferry par hasard, comme tous les matins quand il revenait de sa garde à l’hôpital Ameijeiras.
Zorha a monté une laverie clandestine (une machine à laver, un étendoir et une planche à repasser) dans le garage aménagé en appartement où elle vit depuis quelques années. Elle ne lui reproche pas les restrictions, ou même la période spéciale durant laquelle elle a du exercer comme jinetera, couchant avec les touristes pour quelques dollars ou quelques paquets de café…Mais elle ne lui pardonne pas d’avoir interdit la pratique de la religion catholique durant des années. Plus que les 250 prisonniers politiques libérés, c’est d’ailleurs ce qu’elle retiendra de la première visite papale à Cuba (Jean-Paul II): le rétablissement du 25 décembre comme jour férié et l’autorisation d’installer une crèche devant chez elle.
Ce 26 novembre 2016, Yosnell ne peut pas croire à sa disparition. Il l’a apprise dans la nuit, en sortant du cabaret Las Vegas, sa boite gay préférée. Les larmes font couler sur ses joues le mascara posé sur ses longs cils. « Nunca pensé que se nos iba a morir. Je n’ai jamais pensé qu’il allait nous mourir». Yosnell a 21 ans, il n’a jamais réussi à associer complètement le vieillard barbu et son survêtement Adidas au dictateur persécuteur d’homosexuels que ses amis plus âgés lui décrivaient.
Arlene a émigré illégalement à Paris en 2010. D’abord inscrite comme étudiante à Paris 12, elle a ensuite été embauchée dans une entreprise de maintenance informatique, à Roissy. Elle n’est jamais retourné à Cuba, comme la loi lui imposait de faire au moins tous les onze mois, et a donc perdu sa nationalité. Ce 26 novembre, alors que fleurissent sur les pages facebook de ses 1156 amis des vidéos relatant, au choix, les hommages à Fidel Castro ou les manifestations de joie liées à l’annonce de sa mort, Arlene publie une série de photos de sa nouvelle voiture, chacune agrémentée d’un commentaire enthousiaste et d'un petit émoticone en forme de coeur. « Ma nouvelle chérie dans le jardin» ; « La voilà sur le parking » ; «Une nouvelle venue dans la famille», etc.
Julio est étudiant en communication à l’Université de La Havane. C’est aussi un blogueur suivi par la diaspora cubaine du monde entier, hyper-critique sur le régime en général et les restrictions d’accès à l’internet en particulier. Il publie chaque jour des articles dans lesquels il fustige régulièrement Etecsa, l’entreprise nationale des télécommunications, la censure appliquée par l’Institut Cubain du Cinéma (l’ICAIC) ou encore l’âge préhistorique des dirigeants du pays. C’est aussi l’un des principaux revendeurs du « paquete semanal » ce contenu audiovisuel piraté chaque semaine et distribué sous le manteau sur disques durs ou clés USB…
Au lendemain de la mort de Castro, alors que son blog se remplit des commentaires de joie des exilés cubains de Miami ou Barcelone, il va pleurer Place de la Révolution et publie ces quelques lignes : "Besitos pa todos ustedes. Sé que no me olvidarán, les dejo un país, construyan el suyo". Te quiero grande Fidel.*
* « Des baisers à tous. Je sais que vous ne m’oublierez pas, je vous laisse un pays, construisez le vôtre. ». Je t’aime, grand Fidel.