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2020 est une année perturbante pour le milieu dans lequel j’évolue. Le monde de l’art. A l’automne 2020, il y a un énième discours du président et autour de moi tout l’art s’annule. Encore. Plus d’expos, plus de résidences… Ne vous méprenez pas quant à la prononciation, je parle bien du « plus » dont le S final est en voie de disparition.
Et pourtant, à l’époque un petit monde se crée en parallèle, sans dépendance étatique. Au commencement on est entre artistes, à travailler dans les ateliers des uns et des autres, à faire des expériences, de la recherche. Sans volonté d’exposer, seule celle de faire compte. Et puis cette situation continue, la pandémie continue, nous ouvrons alors nos portes, transformons nos espaces pour pouvoir accueillir le monde extérieur à venir voir, à venir faire. Une chose change alors : nous nous rendons compte que nos entourages ont besoin que nous les embarquions dans le faire et dans le partage, qu’ils ont besoin d’artistes en dehors des sentiers battus, qu’ils ont même parfois besoin de les incarner à leur tour.
Tout d’abord Art en grève se constitue et en profite pour divulguer, parler du fait que ce monde d’art contribue à la société généreusement sans vraiment en faire partie. Nous avons des vies étonnantes. Autour de moi, beaucoup d’artistes aux multiples métiers : gardiens de salle, assistants, vendeurs de camping-car, professeurs, baby-sitters, peintres en bâtiment, correcteurs, rentiers, traducteurs, etc... Un plus ou moins précaire équilibre finit par se trouver entre temps-travail-argent. C’est dur mais parfois ça tient, car oui, une des choses que l’on nous apprend au fil des rencontres et des années, c’est qu’être artiste c’est tenir dans le temps, trouver un système D qui nous permet de créer minimum à tiers temps. Pas besoin de vacances, ni de jours fériés, ni de week-end. Juste d’espace-temps pour son travail.
Mais c’est quoi comme travail ? Regarder le monde, retranscrire quelque chose. Un choix de vie aussi, où tout est axé vers la possibilité de faire de l’art. D’abord il faut un espace pour créer, ensuite du temps, parfois de l’envie, de quoi communiquer, partager, réseauter, comprendre le système administratif dans lequel on n’est presque plus…
Un exemple : depuis janvier 2020 nous dépendons de l’URSAFF. Oui oui, nous sommes assimilés aux professions libérales et avons même un titre chic chic chic : « Artiste non créateur d'œuvres originales (article L382-1 du code de la sécurité sociale) ». Alors bien sûr, lors de cette migration de notre sécu depuis la « Maison des artistes » vers l’URSAFF, un problème de gestion de fichiers rend inaptes quantité de profils. Bien sûr des personnes ne peuvent se connecter car leur identifiant de création de compte est faux. Bien sûr d’autres sont considérées comme « femme de » quand elles ont divorcé dix ans auparavant. Bien sûr les derniers ne reçoivent jamais de courrier et doivent se battre pour pouvoir s’inscrire – inscription, entendons-nous, qui ne rime pas avec « horizon vers la sérénité et l’assurance d’une retraite digne ». Bien sûr, en mai 2020, soit un mois après avoir dépassé la date légale de dépôt de nos déclarations sur les revenus 2019, il est impossible de régulariser nos situations. Je traduis : nous n’avons pas de sécu.
La crise sanitaire actuelle ne fait que planter un peu plus loin nos espoirs d’une vie plus légère. Beaucoup d’artistes se voient en train de perdre petit à petit ce subtile, délicat système D. Les indemnités ne concernent pas les projets annulés mais sont basés sur les revenus de l’année précédente. Le « manque à gagner » est une notion inexistante si l’année précédente a eu le malheur de ne pas être flamboyante – attention spoiler, c’est rarement le cas.
Mais bon, Emmanuel Macron nous suggère de manger du fromage. Il ne fait ainsi qu’accroître les annonces de locations d’atelier sur Paris. Pas parce que les artistes sont vexés du mépris à leur égard mais parce qu’ils ne peuvent pas payer leurs loyers avec des casse-croûtes sortis de nulle part.
J’aurais aimé écrire sur la question du statut d’artiste, dénoncer les abus qui le concernent, dénoncer le fait que la plupart des gens sourient quand on leur demande si on est payé. J’y pensais à l’époque et Gilbert Coqalane a magnifiquement ouvert une brèche dans laquelle je m’engouffre avec plaisir.
Car le problème est toujours le même, on manque de temps pour dire qu’on galère. Être politique en plus du reste est un peu compliqué. S’il-vous-plaît, faites de la politique pour nous, on s’occupe du reste.
Ce texte, écrit à l’automne 2020, est au présent de vérité générale.
Ce texte, écrit à l’automne 2020, milite pour pouvoir être converti au passé simple.