Quelles pensées me viennent lorsque j'apprends, que je digère l'information : un collègue a été décapité, parce qu'il a présenté des caricatures de Mahomet en classe ?
Je vois un grand tourbillon de réalités qui semblent se matérialiser dans cet acte, et je m'interroge. Comment allons-nous démêler ce grand nœud ? Par quoi commencer pour essayer de donner sens et retrouver le sens commun ? Pour donner de l'espoir et recréer du lien entre les personnes ? Entre tous les membres de notre société ? De notre humanité ?
Je sens que toutes les difficultés que nous vivons sont l'expression d'un mal de vivre qui aboutira forcément à un changement, à un renouveau. Il nous faudra peut-être vivre encore de nombreuses difficultés, mais toutes ces difficultés révèleront les faiblesses humaines que nous souhaitons transformer.
En attendant, par quoi commencer ? Comment me faire comprendre ? Comment dialoguer ? Probablement pas avec ce discours abstrait. J'ai déjà essayé.
Je suis professeur d'arts plastiques auprès d'élèves très défavorisés socialement.
Ce que je perçois dans mon métier : la force, l'énergie, le potentiel infini de mes élèves. Leur fragilité, leur immaturité, leur capacité à être influencés, impressionnés, aussi.
Ce sont des éponges, le fruit du mimétisme des parents, de la publicité, des réseaux sociaux, de l'école.
Où se situe leur personnalité, comment se développe leur liberté d'être, de penser, de ressentir, de s'exprimer, dans ce contexte conditionnant ? Les années passent, et leur découverte d'une vision du monde façonnée devient de plus en plus une certitude qu'ils ne questionnent plus.
Comment parler d'une liberté d'expression dans un monde qui ne diffuse qu'un seul discours ? Quand on demande aux élèves d'apprendre à s'asseoir et à se taire, à accepter un programme d'apprentissage qu'ils n'ont pas choisi, peuvent-ils comprendre cette notion de liberté de penser, d'expression ? De liberté tout court? Le conditionnement favorise-t-il la responsabilisation des futurs adultes?
La religion. Oui, car derrière cette question d'Islam, on parle de religion. Qu'en savons-nous ?
Comment étaler des pages et des pages de texte dans les médias sur des notions que nous méconnaissons, lorsque nous ne pratiquons pas, ou n'étudions pas celle-ci ? Pourquoi les méconnaissons-nous ? Tout simplement parce que nous ne les étudions pas, et là je reparle de l'école. L'ignorance nous rend intolérant, vous connaissez cet adage, et c'est ce qui est en train de se passer. La religion est abordée au collège, au premier trimestre du programme de 5ème. Les élèves découvrent les trois religions monothéistes. Leur naissance, leur expansion, leurs particularités. Oui, mais est-ce suffisant ? Ne sommes-nous pas confrontés au risque pointé depuis de nombreuses années, celui de vouloir toujours plus réduire les heures de cours et en même temps d'émietter les temps consacrés aux thématiques enseignées en englobant un programme très large , et donc impossible à approfondir?
Par souci de neutralité religieuse( la laïcité), en plus de rendre ce thème tabou, nous en devenons ignorants. Tabou parce que nous nous interdisons de l'aborder. Or, s'interdire, c'est s'enfermer, et en cela, je pense que c'est contraire à notre mission. Nous devons affronter les questions de fond, et pour cela, nous former d'une manière ouverte, et non pas de la manière creuse et désincarnée proposée par le gouvernement. Il semblerait que l'histoire nous demande de prendre nos responsabilités. Pour cela, de vrais spécialistes universitaires, des représentants de culte, devraient être les intervenants à ces formations qui permettraient cette ouverture et connaissance du sujet.
Car les professeurs, eux-mêmes issus de ce système scolaire, sont-ils actuellement en mesure d'enseigner la place de la, des religion(s) dans l'histoire, dans la société ?
Concernant le risque terroriste. Je trouve offensant et orienté d'utiliser le terme « d'islamisme » pour parler de cette dérive idéologique sectaire que représente ce réseau de sympathisants extrémistes. Comment peut-on associer le nom d'une religion, l' Islam, à cette idéologie du meurtre ? Les élèves, et la population, sont touchés par cette association dans les termes qui les discrimine en tant que musulmans. Je pense sincèrement qu'il est grand temps de mettre en avant, de laisser la parole aux musulmans de notre pays, par le biais des informations, des médias, qui touchent la population, afin qu'ils nous éclairent sur ce que signifie leur religion, sur ce que signifient ses valeurs. Il y a un réel déséquilibre dans l'ouverture culturelle que nous payons aujourd'hui. Car si l'extrême-droite monte, c'est parce que toute la place est donnée à une vision stéréotypée et angoissée de l'Islam. Nos élèves sont jeunes, au fond, heureux dans l'ensemble de pouvoir se faire des copains, d'avoir une vie sociale à l'école. La couleur de peau, la religion, toutes ces idées viennent se coller à eux avec l'influence de toutes ces informations extérieures citées plus haut.
Concernant l'offense que représente dessiner, diffuser, et montrer en classe des caricatures de Mahomet. Il est évident que ce sujet cristallise une colère vis-à-vis de l'Occident, qui nous vient du contexte capitaliste et impérialiste actuel mais aussi de conflits bien plus anciens.
Peut-on pour autant censurer les dessins satiriques ? C'est le propre des dictatures.
Je pense qu'au delà d'un dessin, c'est plutôt un questionnement sur le projet que la société veut construire qui doit être déterminant. Car les erreurs, ou les différences de points de vue, appartiennent à chacun, mais la vie en société est l'affaire de tous, et c'est par l'épanouissement de chaque individu, par l'exercice de sa liberté de penser, de s'exprimer et par la révélation de tout son potentiel, qu'une société en paix pourra se réaliser.
Encore une fois, oui, l'éducation a un rôle essentiel. A nous d'être à la hauteur. J'y crois.