Julien Ballaire

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Billet de blog 16 novembre 2015

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Empêcher que le monde se défasse

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Empêcher que le monde se défasse

"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse."

Albert Camus, Discours de réception du Prix Nobel de Littérature.

129 victimes, 129 noms, 129 visages, et malheureusement peut-être plus dans les heures et les jours à venir, malgré la mobilisation de tous les instants des médecins qui se battent contre la mort depuis vendredi soir.

C’est la jeunesse de Paris qu’ils ont visé, celle qui boit des coups dans les quartiers bobos, profitant d’un automne trop doux pour squatter les terrasses, ou de son pouvoir d’achat pour fréquenter le Bataclan. Une jeunesse éduquée, ouverte d’esprit, multiculturelle, celle-là même qui lira le Goncourt tout frais d’un passionné d’Orient. Une jeunesse internationale, faite d'étudiants, de journalistes, d'artistes des quatre coins d'Europe. Une jeunesse qui refuse les lectures simplistes du monde et des causes de ces maux. C’est cette jeunesse qu’ils veulent faire taire, réduire au silence et à la honte. Ce n’est pas un hasard si les plus conservateurs ne sont jamais les cibles des attentats. Ce n'est jamais un hasard si les alliés objectifs de leur obscurantisme, ceux qui chez nous prônent un autre obscurantisme, ne sont jamais visés. Il faut être deux pour faire la guerre, et c'est pour cela qu'ils ont visé cette jeunesse qui ne s'y résoudra jamais. Et c’est à cette jeunesse de parler aujourd’hui. A ceux qui restent de porter la voix de ceux qui ne sont plus.

Car déjà le piège se referme. Il ne suffira pas de mettre des bougies à ses fenêtres pour éviter que Daesh gagne, comme il n’a pas suffi d’être Charlie le 11 janvier pour empêcher qu’il ne gagne des points.

Chaque appel à la guerre est une victoire de Daesh. Chaque loi sécuritaire est une victoire de Daesh. Chaque repli identitaire, chaque saillie islamophobe, chaque envie de ratonnade, chaque attaque contre une mosquée est une victoire de Daesh. Chaque musellement de l’expression de la société civile est une victoire de Daesh. Ils veulent que l’on ait peur, que l’on restreigne nos libertés de peur qu’ils ne nous les prennent, que l’on expurge un hypothétique ennemi de l’intérieur, que la division se fasse entre nous au nom de la haîne. Ils veulent qu’on se rabaisse, en tant que peuple et que République. Il faudra être fort pour ne pas leur faire ce plaisir.

Déjà le piège se referme, les vautours aux solutions simplistes et avilissantes, ceux-là mêmes qui n’ont pas eu le minimum d’humanité d’attendre le temps du respect et du deuil avant de vendre leur soupe électorale quasi-fasciste dès vendredi soir, déjà les vautours rodent. Déjà, amalgames, violences, manipulations ressortent, au profit d'un sécuritarisme de comptoir qui est la négation même de l'intelligence humaine.

Peut-être faudra-t-il une intervention militaire pour venir à bout de Daesh. Mais cela ne se fera pas à la suite d’un premier ministre martial, gouvernant à coups de menton comme un personnage secondaire des Expendables de Stallone.

Lutter contre Daesh, c’est dire que la politique internationale de l’occident contribue à nourrir ce radicalisme qui n’a d’Islam que le nom. Depuis 1988 et la fin de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, nous savons qu’il faut aider à reconstruire les états et les sociétés de ceux que l’on a aidé à se libérer d’un joug oppresseur. Depuis 1988 nous ne le faisons pas. Et les entrepreneurs de la misère et de la faiblesse remplissent les vides, des talibans à aujourd’hui.

Lutter contre Daesh, c’est dire qu’il n’est pas possible de continuer à commercer avec ceux qui ferment les yeux sur la contrebande de pétrole qui les financent. C’est dire qu’il n’est pas possible de se réunir chez Erdogan sans exiger qu’il cesse de laisser les terroristes prospérer à sa frontière pendant qu’il bombarde les Kurdes, seule force politique et militaire qui, quoique sous armée, inflige des défaites à Daesh.

Lutter contre Daesh, c’est donner comme le dit Marc Trévidic, les moyens aux services de sécurité d’appliquer les lois, déjà largement suffisantes, afin de suivre et neutraliser les personnes dangereuses.

Lutter contre Daesh, c’est comprendre comment et pourquoi cette organisation que l’on laisse s’armer et se financer parvient à recruter en France et ailleurs. C’est comprendre que cette organisation fait de la politique, cible ceux qui se sentent abandonnés, voire agressés par la République. C’est reconnaître la légitimité de leurs sentiments. Comment se sentir partie de la République quand la République fait appel de sa condamnation pour l’illégalité des contrôles au faciès ? Comment se sentir républicain quand on est vu comme un ennemi, du fond de sa cité pourrie ? Lutter contre Daesh, c’est dire que la République a abandonné certains de ses enfants, et y remédier.

Peut-être faudra-t-il une intervention militaire contre Daesh. Mais dire que l’on est en guerre, c’est reconnaître à Daesh la légitimité de l’Etat qu’il n’est pas. Attaquer Raqqa à l’aveugle, c’est réagir à l’émotion, et pas à la réflexion politique. C’est le contraire de ce que l’on attend d’un leader politique, quel qu’il soit. Une intervention efficace ne pourra se faire que sous mandat international, avec une identification claire des cibles pour ne pas toucher les populations civiles qui ont déjà payé un trop lourd tribut lors de la guerre contre le terrorisme lancée il y a presque 15 ans et dont l’échec est aujourd’hui total. Ce qu’il faut contre Daesh, c’est un plan global, qui s’attaque à ses sources de pouvoir, de conviction, et qui prépare l’après, la reconstruction, pour que le vide ne succède pas à la barbarie, et que la barbarie ne succède pas à nouveau au vide.

Oui, ce sont des valeurs que Daesh a attaqué. Les valeurs de la République, non pas celle exclusive que certains vivent comme une agression, mais celle inclusive, celle qui croit que le destin des hommes est de construire du commun, quelles que soient leurs origines, celle qui croit à la politique au sens noble comme solution aux problèmes du monde, celle qui croit que l’on surmonte les crises en construisant des droits et des libertés nouvelles, et pas en les restreignant. C’est ça que Daesh veut attaquer, et c’est ça qu’il faut défendre, contre tous ceux, et ils sont nombreux, qui veulent en profiter pour l’étouffer.

La peur est normale. C'est sa victoire qu'il faut éviter. Et alors nous pourrons inscrire les aspirations de notre génération dans les pas de celles de Camus, d’Aragon, de Ferrat. Dire que les hommes sont las des bombes, des fusils, et de ceux qui les portent. Dire qu’il est temps, grand temps, que le malheur succombe. 

https://www.youtube.com/watch?v=vWwgrjjIMXA&index=9&list=RDBG8y0rRYjEI

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