Julien Ballaire

Salarié d'une scop, expert auprès des Comités d'Entreprises et militant du progrès social

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 avril 2017

Julien Ballaire

Salarié d'une scop, expert auprès des Comités d'Entreprises et militant du progrès social

Abonné·e de Mediapart

Le coeur et les tripes. Le premier mai par rage, Macron par devoir

Julien Ballaire

Salarié d'une scop, expert auprès des Comités d'Entreprises et militant du progrès social

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Quand nous serons tous coupables, ce sera la démocratie." Albert Camus, La Chute.


Puisque c'est à la mode, puisqu'on me le demande, puisque j'en ai besoin, je veux partager avec vous quelques éléments de réflexion sur cette présidentielle, et les suites à y donner.  

Ce que je sais

J'ai voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. Non pas que l'intégralité de son programme ou de sa démarche m'ait convaincu, d'ailleurs je ne me suis pas investi dans sa campagne avant les tous derniers jours. Des désaccords de fond et de forme, j'en avais. Mais c'est avec lui que j'en avais le moins. C'est lui qui faisait la meilleure campagne. C'est lui qui avait la stratégie la plus à même de ramener l'électorat jeune, populaire, précaire, vers le progrès social. C'est lui qui incarnait le mieux à mes yeux le chemin vers des conquêtes sociales, la raison d'être de la gauche. 
Je respecte ceux qui ont fait un autre choix à gauche, même si ce n'est pas toujours réciproque. 

A mes yeux, l'unité entre Mélenchon et Hamon n'était ni possible, ni souhaitable, ni efficace. Pas possible, car les clivages politiques étaient insolubles. L'un prônait la rupture avec la social-démocratie en France et en Europe, l'autre l'inscription de sa démarche en son sein. Ces choix stratégiques s'excluent mutuellement. Pas possible car l'un comme l'autre tenaient à la légitimité de leur démarche, et à leur égo, et refusaient l'idée d'un désistement ou d'un abandon de leur ligne politique. C'est tout à fait défendable. Pas souhaitable, car une union de compromis entre ces deux lignes n'aurait fait que brouiller les pistes, et désemparé les électeurs frustrés, d'un côté ou de l'autre. L'exemple espagnol de l'échec de l'alliance entre Podemos et Izquierda Unida nous l'apprend. Pas efficace, car au final, le score n'aurait pas été celui de la somme mathématique entre les deux candidats au soir du premier tour. L'unité sans trancher ne fonctionne pas.

En revanche, je ne peux que déplorer certaines attitudes de campagne, les sectarismes réciproques nourris par le moindre prétexte, les amalgames douteux et les postures pédantes. Le fait est que deux stratégies s'opposaient. L'une fait 20%, l'autre 6. Personne n'aurait espéré il y a quelques mois qu'un candidat de gauche fasse 20% et manque d'un rien la qualification au second tour. Je regrette que certains n'aient pas su dépasser leur manière de voir le monde (et je suis conscient de la difficulté de la tâche) pour rejoindre la dynamique derrière Mélenchon, malgré les réserves et les limites. Cela nourrit parfois cet inconscient de gauche permanent qui préfère la défaite pure à la victoire maculée. Il n'a jamais été question de signer un chèque en blanc à Mélenchon. Ce n'est pas le sens de mon vote. J'aurais voté Hamon sans scrupule si la situation avait été inverse, sans lui signer de chèque en blanc non plus. Parce que ce n'est pas mon ADN. Ce n'est pas pour ça que je milite depuis 10 ans, et que je vote depuis 9. Mon soutien est toujours critique et mon vote rarement enthousiaste. Il n'est pas de sauveur suprême, et je laisse la prétention à l'infaillibilité aux évêques de Rome.

Alors, plusieurs constats. La sociale démocratie est morte, et c'est une très bonne chose. Cette famille politique (pas ceux qui y militent) est celle de toutes les compromissions depuis 25 ans. Elle paie ses errements et ses trahisons. Ses choix. Ses arbitrages. Hamon paie le cul de sac stratégique dans lequel il s'est volontairement enfermé, son fétichisme vis-à-vis de l'outil PS qui l'a trahi, et la nullité abyssale de sa campagne. Le PS va connaitre une sèche défaite aux législatives qu'il aura bien méritée, et ses quelques survivants iront grossir les rangs d'une hypothétique majorité Macron. En Europe, la complaisance avec les idées racistes, la doxa austéritaire et les alliances contre-nature en font une force en déclin. Rien n'est plus à en attendre.

Une force politique est née, dans le cadre de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Elle va devoir le dépasser, irriguer la société sans être au second tour. Ce sera dur, mais elle n'a pas à rougir de cette campagne. Mélenchon a su assumer une certaine radicalité, malgré le fait que son programme soit au final, gentiment keynésien. Il est aujourd'hui au cœur de la gauche, qu'on le veuille ou non.

Les forces de l'argent, de l'ordo-libéralisme, de la communication élevée au rang de ligne politique ont trouvé un nouveau champion. On ne peut s'en satisfaire.

Et maintenant ? Jean-Luc Mélenchon a été durement critiqué pour ne pas avoir appelé à voter contre Le Pen au second tour. J'aurai préféré qu'il donne son avis personnel, je regrette qu'il ne l'ait pas fait. Cependant, je pense que certaines de ces critiques sont fallacieuses. 

Quelques faits : Jean-Luc Mélenchon est le seul à avoir fait reculer l'extrême-droite depuis 5 ans. Il est en tête chez les jeunes (31% vs 21%), chez les chômeurs (31 vs 26 alors que Le Pen faisait 35% il y a quelques mois). Il la fait reculer chez les ouvriers, 24% vs 37% là où elle part de 49% en janvier. Personne d'autre ne peut se targuer d'un tel bilan. Pas une once de complaisance dans son discours depuis 40 ans au sujet du FN. Il est d'ailleurs allé au combat il y a 5 ans à Hénin-Beaumont contre Marine Le Pen plutôt que de choisir une circonscription tranquille, et peu nombreux parmi ses critiques d'aujourd'hui l'ont soutenu à cette époque. Ce n'est pas lui qui a banalisé le FN pendant cette campagne, ni avant. Entre la stratégie Terra Nova pour qui il faut abandonner les classes populaires et la stratégie Laurent Bouvet pour qui il faut épouser ses peurs pour capter son vote, Mélenchon a proposé une voie médiane, celle du progrès social, qui porte, au moins un peu, ses fruits. Son bilan honore et oblige la gauche, et appelle à l'humilité ceux qui n'en ont pas été capables.

Et ce bilan oblige aussi à adapter le discours sur le FN. Bien sûr, une partie de l'électorat de Mélenchon, de gauche "traditionnelle", est réceptive à l'argument moral anti-fasciste. Question de principe, question de valeurs. J'en suis. Mais ne nous mentons pas. Une autre partie, perdue, déboussolée, victime de la mondialisation, ramenée par sa campagne dans le champ politique du progrès, n'est pas touchée par la rhétorique du front républicain. Est-ce un problème ? Sans doute. Est-ce nouveau ? Non. Nous ne sommes plus le 21 avril 2002. La gauche a gouverné et échoué. Les usines ont continué à fermer. Les idées du FN ont irrigué la société, jusqu'à une bonne partie du PS.  

Je ne suis pas étonné que les classes populaires de la Somme ou de la Meuse, qui ont vu les usines partir en Pologne et les services publics fermés par Macron, ses ersatz ou ses soutiens, se fichent des valeurs et de la sauvegarde de la République comme incantation morale. Car la République devait les protéger, et elle a échoué. Je n'écris pas ça de gaité de coeur, mais je vois au quotidien des syndicalistes désemparés devant la montée du FN sur leur terres et qui dressent ce constat. La bataille contre le FN se fait projet à projet, pas en ânonant des consignes hors-sol. Il est nécessaire d'amener l'électorat de Mélenchon à voter contre le FN, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il va s'y employer. Mais une consigne de vote venue d'en haut ne suffira pas. On dit qu'il faut reconquérir cet électorat. Il y parvient. Gardons-le mobilisé. Et cela, on y arrivera pas avec une incantation à un front républicain fissuré depuis trop longtemps. Il est absurde de penser qu'un mot du chef délivrera l'électorat comme un paquet cadeau avec un joli ruban autour, ou qu'une citation de Jaurès ou de Marx suffira à faire retrouver la lumière aux brebis égarées. Il faut de la pédagogie et du débat. En cela, la consultation de la base peut être une réponse. En tout cas cela mérite d'être essayé.

Pourquoi n'a-t-il pas "structuré" cet électorat avant ? Et bien sans doute n'en a-t-il pas fait assez. Mais il a le mérite de mener la bataille idéologique (qu'Hamon appelle aussi de ses voeux), alors même que le gouvernement précédent s'est noyé dans la reprise des thèses du FN dans leur action politique. Il n'a pas de leçons à recevoir d'une gauche qui banalise les idées du FN et se cache ensuite derrière la morale à chaque élection. Mélenchon a attiré a lui un public nouveau lors des 3-4 dernières semaines de campagne. Sans doute cet électorat manque-t-il de "structuration politique", car il a manqué le temps de la lui amener. Aveu d'échec, peut être. J'ai autour de moi des personnes de ce nouvel électorat. Pas forcément culturellement de gauche. Je ne suis pas étonné qu'un électorat qui n'a connu que le dogme libéral et vu ses effets (en Grèce par exemple), le rejette aussi fort qu'un FN qui brouille les lignes politiques par arrivisme politique. Mais cet électorat a voté pour le candidat qui fait huer le FN à chaque meeting. Celui qui fait chanter "ouvrez les frontières" à ses soutiens. 

Les consignes de vote sont mortes un jour de referendum européen en 2005. Un électorat n'est pas une caserne. C'est un corps vivant et intelligent. On l’amènera à faire barrage au FN en lui expliquant pourquoi c'est nécessaire, pas en lui aboyant des ordres. En faisant le pari du collectif, pas du chef omniscient. Je sais que Jean-Luc Mélenchon le fera. Je ne doute pas que la France Insoumise le fera. J'acterai mon désaccord si ce n'était pas le cas.

Ce que je suis

Mon choix est fait pour le second tour. Nul besoin d'appel au vote, de consigne, de débat pour ma part. J'irai mettre un bulletin Emmanuel Macron dans l'urne le 7 mai. Vous avez le droit de penser le contraire. Vous avez le droit de ne pas être d'accord. Je pense que ce choix renvoie chacun à sa conscience et son histoire personnelle, et je ne juge pas les choix de chacun. Je me suis trop fourvoyé en pratiquant l'arrogance de celui qui sait tout (tare bien trop commune à gauche) pour faire le malin un jour de défaite. Mais voilà pourquoi je vais le faire.

Je vais voter pour Macron car je ne peux pas souscrire à l'analyse qui renvoie Macron et Le Pen dos à dos. Certes, l'un est la cause et l'autre la conséquence. Le programme, le bilan, les soutiens de Macron font le lit du FN. Mais le FN, ce sont des fondateurs Waffen SS. C'est la peine de mort, le négationnisme, le retrait de l'IVG, la dissolution des syndicats contestataires, la fin du droit de grève des fonctionnaires, la fin du droit du sol. On peut s'organiser sous Macron. On doit s'organiser sous Macron. On pourra moins, pas, plus le faire sous Le Pen. L'un est un danger pour les droits sociaux. L'autre pour la démocratie. 
Je vais voter contre Le Pen car je suis le fils d'une institutrice de ZEP qui a appris à écrire et à lire à des générations d'enfants turcs, des Balkans, maghrébins, d'Afrique sub-saharienne, dont les parents étaient venus chercher un peu de bonheur dans les HLM pourris d'Etampes. Je vais voter contre Le Pen car je suis le fils d'un syndicaliste qui a voué sa vie à défendre les droits des autres, quelle que soit leur couleur de peau, leur nom, leur origine, leur classe sociale. Je vais voter contre Le Pen car je suis, d'abord et avant tout, un syndicaliste qui se bat depuis 10 ans pour que tous ayons le droit à une vie digne. Ce sera mis à rude épreuve sous Macron. Ce ne sera plus possible sous Le Pen. Je vais voter contre Le Pen parce que mon premier souvenir politique, c'est le 21 avril 2002, j'avais 12 ans, et mon père au téléphone avec son meilleur ami lui annonçant "je suis avec mes mômes, ils sont fous, c'est bien on va pouvoir en faire quelque chose". Je vais voter contre Le Pen pour celles et ceux de ma famille qui ont du sang venu d'ailleurs qui font leur valeur ajoutée. Pour mes amis étrangers qui ont peur pour leur nationalité et leur droit à rester chez nous, chez eux.

Je vais voter Macron car ce sont mes tripes qui me l'ordonnent, même si ma tête craint que ça ne suffise pas, et sait que ça ne fait que reporter le problème. Je ne pourrai pas me regarder dans une glace sans avoir fait barrage au FN.

Je vais voter Macron et pourtant je pleure de rage en l'écrivant, des larmes dont j'attends qu'elles coulent depuis dimanche 20h, depuis que 620 000 voix, un souffle, un rien ont manqué aux Jours Heureux pour sortir le FN du second tour. 

J'ai la rage contre tout ce que Macron incarne, son projet thatchérien d'une violence sociale inouie qui ne sert que les insiders, sa posture césariste à rebours de toute construction collective, ses soutiens responsables de 30 ans d'échec politique. Et surtout, la morgue avec laquelle il célèbre sa victoire au soir du premier tour alors que l'humilité doit être de mise quand on a la lourde tâche d'éviter le fascisme à la France. Si des "macronistes de gauche" (oxymore s'il en est) me lisent, sachez que je conchie votre champion, sa ligne politique, son arrogance et son vocabulaire. Je ne "marche" pas mais je ne suis pas "assis" pour autant, comme il l'a dit dimanche soir. Ce terme me touche d'autant plus intimement, pour une raison que je garde pour moi, mais les "assis" vous emmerdent, vous et le produit marketing qui vous sert de candidat. 
Je pleure de rage car j'ai peur. Peur qu'il perde au second tour, confit dans la suffisance de son projet minoritaire dans le pays, et dans le miroir aux alouettes de sa prétendue aisance en débat. J'ai peur qu'il ne convainque pas le peuple de gauche de voter pour lui, en drotisant encore un peu plus sa ligne politique pour chercher à droite une majorité. Je vais voter pour lui, ça m'emmerde au plus haut point. Je n'en n'ai pas envie. Je suis fatigué. Sa position nous oblige, mais elle l'oblige bien plus. Rien ne lui est du. 

Ce qui nous attend

Je pleure de rage, aussi, car je vois se refermer le piège de la séquence à venir. Je rejette le séquençage politique que nous proposent certains "je vote en bon républicain et je reconstruis après". Non. Je continue de construire l'alternative dès aujourd'hui, et donc je me syndique, j'adhère à la LDH, je milite. Et donc je vais en manifestation lundi 1er mai pour signifier que jamais, au grand jamais il ne devra considérer une majorité le 7 mai comme un soutien à sa politique anti-sociale. Et le souvenir du CPE devra le lui rappeler. Et donc je vote pour lui le 7 mai pour écarter le fascisme et le risque de ne plus pouvoir lutter. Et donc je milite, ensuite, pour qu'une majorité de progrès social détruise les illusions ultra-libérales de Margaret Macron. Et je ne le lâcherai pas, pendant 5 ans. Tout cela est cohérent, et découle du même engagement, de la même visée politique. 

Je ne cherche pas à polémiquer avec celles et ceux qui ont fait un autre choix pour le 7 mai. Je le comprends, quoique je ne le partage pas. En tant que syndicaliste, j'ai appris à me battre pour chaque détail, chaque petit avantage qui permet de gagner des droits pour les gens. A mon sens, il est urgent de céder le moins de terrain possible, pour pouvoir continuer le plus efficacement possible. Ça passe, selon moi, par un vote contre le FN. 


Copains, connaissances, amis, camarades, on est nombreux à avoir fait des choix différents, au premier comme au second tour. Mais je sais que ce qu nous unit finira par nous rapprocher pour faire vivre les jours heureux. Parce que c'est ce pourquoi on se lève le matin, ce que disent nos chants, ce qui dictent nos coeurs. Parce que c'est notre raison d'être. Comme le dit un chant qui nous est commun, "Après la pluie le temps est beau". Mais ça commence à faire longtemps qu'il pleut. Je souhaite qu'on abandonne nos faux-semblants et nos totems pour parler des vrais enjeux. Je souhaite que l'arrogance et le sectarisme soient abandonnés sur l'autel du progrès social, et je sais ne pas en avoir été avare par le passé. Je souhaite qu'on tranche nos clivages, qu'on acte les ruptures nécessaires, et qu'on se retrouve. On en a besoin.

Pour ma part, j'assume les choix, leurs conséquences, je demande simplement à chacun d'en faire autant. Je sèche mes larmes et je garde ma rage pour le premier mai et après. Au plaisir de vous y voir, très vite. Vous me manquez.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.