Julien Charreton

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Billet de blog 5 décembre 2016

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Macron et Valls : deux jumeaux-rivaux face aux "tabous de la gauche"

C'est à l'heure de la candidature de Manuel Valls à la primaire du Parti Socialiste et au moment de la campagne pour 2017 d'Emmanuel Macron qu'il me paraît important d'analyser ce que ces deux rivaux au niveau personnel mais idéologiquement proches entendent par "briser les tabous à gauche".

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« Il ne faut ni tabou ni posture [sur l’assurance-chômage] », Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie, 9 octobre 2014

            Voici une manipulation sémantique de toute beauté, une véritable réussite pour les évangélistes du « trop d’impôt tue l’impôt », qui mérite amplement une analyse détaillée ! Consacrons donc du temps à ce tour de force de la novlangue néolibérale.

            Le Larousse définit un « tabou » comme un élément « auquel on ne peut toucher, qu’on ne peut critiquer, mettre en cause ». Il s’agit donc, dans la bouche des politiques, d’une mesure prise précédemment, d’un acquis social qu’il serait impossible de critiquer, de remettre en question. Dans le cas d’Emmanuel Macron, ce terme est employé pour dire que son propre camp, le Parti Socialiste, doit accepter de « toucher à » l’assurance-chômage, de modifier son fonctionnement, bien que celle-ci fasse partie des « tabous » du PS. En somme, le ministre exhorte les siens à opérer des changements dans un domaine qui ne fait d’ordinaire volontairement pas partie de leur champ d’action.

            Le terme « tabou », lorsqu’il est employé ainsi, est clairement péjoratif. En effet, ce mot symboliserait l’incapacité de certains dirigeants à agir dans certains domaines, et pointerait du doigt leur « immobilisme ». A l’inverse, réussir à revenir sur certaines mesures phares, dont les dirigeants en question sont eux-mêmes à l’origine ou qu’ils défendent, serait une preuve « d’audace », de « capacité à réformer », et tout dirigeant qui se respecte se devrait d’agir ainsi, en mettant de côté sa subjectivité pour « assumer ses responsabilités ». Cependant, il faut bien comprendre ce que « gouverner sans tabous » veut dire dans la bouche d’un néolibéral.

            De manière assez fréquente, les libéraux en herbe qui parlent de « gouverner sans tabous » évoquent en fait les « dogmes » que les dirigeants socialistes devraient abandonner : 35 heures, SMIC, assurance-chômage, système de retraite par répartition… Nombreux sont les « tabous » de la gauche, à en croire le discours ambiant. En réalité ce n’est pas un hasard si c’est elle que l’on pointe du doigt, dans la mesure où celle-ci a été, autrefois, hostile aux préconisations néolibérales, que ce soit en défendant des mesures inspirées du programme du Conseil National de la Résistance (CNR), comme le système de retraite par répartition, ou que ce soit en instaurant des mesures opposées aux recettes magiques des néolibéraux, les 35 heures par exemple.

Toutefois, les socialistes étant désormais, pour une large partie, convaincus des thèses néolibérales, ils décident eux-mêmes de « gouverner sans tabous ». Que signifie donc cette expression ? Rien de moins qu’appliquer la doxa néolibérale, alors qu’ils en furent autrefois les pourfendeurs. En effet, « faire sauter les tabous » revient à ce que des anciens opposants au néolibéralisme s’y convertissent, tout simplement. Par exemple, lorsque Manuel Valls dit souhaiter « déverrouiller les 35 heures », on applaudit « l’audace » du « « rénovateur » de la gauche, s’attaquant aux tabous » (Challenges, 1er avril 2015), ou alors quand Emmanuel Macron affirme qu’il ne faut « ni tabou ni posture » sur l’assurance-chômage ou encore sur le travail le dimanche, on encense son « pragmatisme » qui se détache des « esprits fossilisés [à gauche] » (Le Point, 8 décembre 2014).  Des « réformistes », des vrais, enfin ! Des dirigeants qui n’hésitent pas à gouverner « courageusement », avec « lucidité » !

            Vous l’aurez compris, tant qu’un dirigeant décidera de diminuer les dépenses de l’Etat, de réduire les charges des entreprises, de baisser les indemnités chômage, d’instaurer davantage de « capitalisation »* dans le système de retraites ou d’augmenter la durée légale du travail, il aura l’ultime honneur d’être perçu comme « gouvernant sans tabous » par les chevaliers de l’ordre du marché. Le « courageux », dira-t-on, celui qui a osé mettre de côté sa subjectivité, ses « dogmes » pour le bien de son pays !

            Soyons clairs : il ne faut pas confondre un tabou avec une conviction. Cette dernière désigne un « principe, [une] idée qui a un caractère fondamental pour quelqu’un », et il n’y a absolument rien de scandaleux à ce que des dirigeants politiques en aient et prennent des mesures en adéquation avec celles-ci. Au contraire, les convictions sont à l’origine-même de l’engagement et de l’action politique, et c’est leur diversité qui permet de lutter contre la pensée unique ! Elles sont liées à nos choix de vie, de société, vont bien au-delà de la simple appartenance à un parti politique, et un pays dans lequel les dirigeants ont tous les mêmes convictions ne peut certainement pas être qualifié de démocratique ! Les élus de gauche ont leurs convictions, ceux de droite les leurs, et ce n’est en aucun cas une forme « d’audace » lorsque les convictions des uns deviennent exactement celles des autres !

            Les néolibéraux, grands défenseurs de l’objectivité, désirent un monde dans lequel la politique n’en serait plus, celle-ci étant par essence subjective ! Cependant, ces gens si éloignés de toute « idéologie », de tout « choix partisan » ne semblent pas comprendre qu’en prônant une objectivité totale, ils mettent en place la subjectivité la plus pure, le dogme le plus puissant : le leur, celui d’une croyance sans failles dans un système pourtant ô combien empli de défauts et d’injustices, et au sein duquel subsiste au final une pensée unique, la foi inconditionnelle dans le marché et dans ses bienfaits.

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