Julien Charreton

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Billet de blog 9 novembre 2016

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Novlangue néolibérale : Liberté

L'idée est de pointer du doigt le glissement sémantique de termes de la langue française courante ou du jargon économique et social, en partant de leur définition initiale pour ensuite analyser la nouvelle définition donnée à ces termes par les partisans du néolibéralisme et l'état d'esprit qu'ils installent dans la société de cette manière,qu'ils le fassent de manière consciente ou non.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En ce jour d'élection américaine, j'ai pensé qu'il était intéressant de publier une première analyse sur un terme qui n ous est cher et qui est supposé aller de pair avec les Etats-Unis d'Amérique, le terme de "liberté". L'idée est de dévoiler les manipulations sémantiques néolibérales, volontaires ou non, et c'est avec une idée à l'origine magnifique mais désormais instrumentalisée tristement que je souhaite démarrer ces réflexions citoyennes, subjectives et personnelles.

Je commencerai toujours par donner la définition originelle du terme du dictionnaire Larousse, puis j'essaierai de mener une analyse du glissement de sens du terme en question. 

« Une société qui place l’égalité avant la liberté finira par n’avoir ni égalité ni liberté. [..]Une société qui place la liberté avant toutes choses finira par obtenir, sans l’avoir cherché, davantage d’égalité en même temps que davantage de liberté », Milton Friedman, La liberté du choix (1980)

            La citation ci-dessus résume parfaitement la conception néolibérale du fonctionnement d’une société. Chronique d’un des plus beaux mots de la langue française, devenu le prétexte systématique des néolibéraux pour justifier leurs dogmes.

            La liberté est un mot difficile à définir précisément, car il dépend largement de la façon dont on l’emploie. Ici, il s’agit de la définition qui caractérise plus particulièrement les différents contextes dans lesquels les messagers du dieu Marché l’emploient, à savoir pour le Larousse : le « caractère de ce qui relève de l’initiative privée ». Définition très large, dont les frontières floues permettent aux pourfendeurs de l’intervention publique de s’en servir comme ils le souhaitent.

Puisque dès qu’un élément relève de « l’initiative privée », il intègre un cadre cher à de nombreux citoyens, à savoir celui de la liberté, il apparaît naturellement inenvisageable de s’y attaquer. Ce terme, le premier de la devise de la République française, représente pour beaucoup d’entre nous (et pour d’autres citoyens du monde d’ailleurs) un symbole de la République, d’un système politique où l’être humain est libéré de l’oppression d’un Etat intrusif, parfois presque totalitaire, et dans lequel le citoyen peut vivre sans être soumis à un maître, sans être étroitement contrôlé, en pouvant agir selon ses propres choix. Dès lors, qui donc chercherait à s’en prendre à ce totem de la République, de l’homme affranchi, ou même simplement songerait à s’y attaquer ?

Il y a en réalité deux étapes dans la présente combine des néolibéraux. La première est celle d’abriter certaines de leurs idées derrière le prétexte de la « liberté », et la seconde est d’imposer à la société la thèse selon laquelle la « liberté » doit primer sur tout, et surtout sur l’égalité.

Primo, les serviteurs de Hayek[1] invoquent la « liberté » dans tout un tas de circonstances, ce qui a pour effet de draper leurs arguments dans la soie républicaine et de les élever loin de toutes critiques (ce dont certains d’entre eux ne doivent probablement pas se rendre compte d’ailleurs). La baisse des impôts des plus riches est alors justifiée par la « liberté d’entreprendre », la réduction des dépenses publiques s’explique ainsi par le besoin de « libertés individuelles », la fin des charges sociales est le fruit d’une « liberté économique », tout comme la dérèglementation absolue des banques, et bien sûr il faut dans toute situation laisser toutes ces « libertés » à tout chef d’entreprise et à tout néolibéral, quoi qu’il advienne. Qui donc irait alors s’opposer à ces actions, incarnations-mêmes de la belle « liberté » ?

Secundo, les apprentis Friedman vont nous dire ce que leur maître à tous a expliqué : que la « liberté » doit primer sur l’égalité, faute de quoi une société n’obtiendra ni l’une ni l’autre. Il paraît en effet évident qu’un pays comme les Etats-Unis, temple du « self-made man » et apogée actuelle des doctrines néolibérales sur certains plans, a mis fin à tout type d’inégalité et que chaque citoyen dispose des mêmes droits et devoirs dans ce pays ! Les plus « audacieux » diront que c’est parce que ce pays n’a pas encore appliqué pour de bon les potions magiques néolibérales, qui naturellement permettront l’égalité des citoyens grâce à la mise en place dans tous les domaines des « libertés individuelles ». Et puis il est vrai qu’en y réfléchissant bien, il apparaît clairement qu’en abandonnant l’égalité en tant qu’objectif pour « placer la liberté avant toutes choses » une société éradiquera les inégalités entre les gens, ceci saute aux yeux !

La liberté est un concept extrêmement difficile à définir, mais l’essence du mot, à savoir le symbole d’hommes et de femmes qui ne sont pas soumis à un maître, qui ne sont pas étroitement contrôlés dans chacun de leurs faits et gestes et qui ont la possibilité de prendre des initiatives individuelles, « privées », nous est tous très cher. En aucun cas ce terme magnifique ne doit être employé pour couper court à tout débat, pour distiller insidieusement des idées proprement subjectives et qui méritent d’être débattues. En outre, nos confrères néolibéraux ne devraient jamais oublier que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres…


[1] Friedrich Von Hayek était un économiste autrichien, défenseur de « l’ordre spontané » que permettait le marché (selon ses propres mots) et pourfendeur de l’intervention de l’Etat dans l’économie.

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