Julien Charreton

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Billet de blog 16 novembre 2016

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Macron et les auto-proclamés "progressistes"

Emmanuel Macron, candidat à l'élection présidentielle, souhaite rassembler les "progressistes", un camp délimité de plus en plus par de nombreux médias comme allant de l'aile droite du PS à l'aile gauche du parti Les Républicains. Intelligent stratagème que celui de s'arroger le monopole du progrès, en particulier lorsque ce "progrès" ressemble bien davantage à un conservatisme...

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En ce jour de déclaration de candidature du chevalier blanc Macron, figure qui transcende les clivages gauche-droite, il m'apparaît intéressant de revenir sur le terme "progressistes", terme employé par le révolutionnaire Macron tout comme par un certain nombre de ses rivaux, ainsi que par de nombreux médias.

« Nous ne pouvons pas continuer ainsi avec des fractures au sein de la gauche et il faut réfléchir entre toutes les forces progressistes à construire une maison commune, peut-être demain une formation politique commune », Manuel Valls, Premier Ministre socialiste, entretien à L’Obs du 22 octobre 2014

            Termes importants dans les jargons politique, économique et social, le « progressisme » ainsi que ceux qui s’en revendiquent, les « progressistes », méritent une analyse.

            Le Larousse définit un « progressiste » comme un « partisan du progressisme », et le fameux « progressisme » comme le « comportement de ceux qui estiment qu’une profonde transformation des structures politiques et sociales permettra une amélioration des conditions de vie et une plus grande justice sociale ».

Ainsi, une définition communément admise du « progressisme » met en avant deux objectifs complémentaires : rendre la vie des citoyens meilleure (notamment au niveau matériel) et garantir une égalité des droits, une solidarité collective ainsi qu’une distribution plus juste des richesses, que celles-ci soient matérielles ou symboliques, entre les individus. Ces deux objectifs, bien que leurs définitions respectives puissent faire l’objet de controverses, révèlent assez clairement une certaine idée du « progressisme » et, plus largement, du « progrès ». Malgré cela, ces notions demeurent intrinsèquement subjectives et chaque individu dispose de ses propres idées du « progressisme » et du « progrès » : les « progressistes » sont donc a priori tous très différents les uns des autres. Le terme « progressistes » évoqué en novlangue néolibérale pose donc deux problèmes : la conformité aux objectifs évoqués dans la définition du « progressisme »,et l’attribution à un certain type d’idées des concepts vastes et pluriels que sont le « progressisme » et le « progrès ».

Tout d’abord, les dignitaires néolibéraux qualifient de « progressistes » des individus et des comportements qui pourtant se trouvent être aux antipodes des objectifs « d’amélioration des conditions de vie » et de « justice sociale ». En effet, les « progressistes » loués par nos camarades amoureux du marché cherchent à mettre en place des mesures et plus globalement un système bien éloignés des notions évoquées plus haut : prenons quatre individus très probablement lauréats du concours de progressisme organisé par Manuel Valls, à savoir Emmanuel Macron, Alain Juppé, François Bayrou et, bien sûr, Manuel Valls lui-même.

Le premier, qui devait être la figure de proue du « renouveau de la gauche » (Le Point, 07/01/2015) est l’instigateur du plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, ce qui dénote une certaine idée de « l’égalité des droits », dans une société où les droits deviendraient plus généralement ceux de l’employeur que de l’employé, même dans un cas extrême où le premier licencie le second sans motif valable. Alain Juppé, « en position de candidat « progressiste » en vue de la primaire UMP de 2016 » (Le Figaro, 19/11/2014) souhaite étendre l’âge de départ à la retraite jusqu’à 65 ans et désire supprimer L’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF)[1], des propositions révélatrices d’une certaine idée de la « justice sociale », idée pour laquelle il n’existe pas de différences de conditions de santé entre un ouvrier et un cadre qui partent à la retraite à 65 ans[2] et selon laquelle un patrimoine de valeur nette supérieure à 1,3 million d’euros ne mérite pas d’être taxé plus fortement que de nombreux revenus inférieurs. François Bayrou, leader du Mouvement Démocrate (Modem), qui le 11 février 2012 lançait pourtant un appel aux « humanistes » contre Nicolas Sarkozy et son projet électoral, et disait de son propre projet qu’il portait « un nom simple : il s’appelle humanisme » (Le Monde, 11/02/2012) promeut pourtant lui aussi une vision sociétale bien éloignée de la notion de « justice sociale ». En effet, lors de l’émission Des Paroles et des actes du 18 septembre 2014, « l’humaniste » a pris un malin plaisir à comparer le « code du travail suisse » au code du travail français et à s’en prendre au code régissant le marché du travail français, ironisant sur ses « 3000 pages » qui selon lui seraient responsables du niveau du chômage en France, dans la mesure où celles-ci créeraient une véritable terreur de l’embauche pour un employeur. Au-delà des provocations que constituent le fait de présenter l’édition Dalloz du code du travail[3] comme le code du travail français lui-même et d’évoquer un « code du travail suisse » alors qu’en Suisse le « code du travail » ne reprend absolument pas la totalité de ce qui régit le travail (d’autres textes sont contenus, par exemple, dans le code des obligations et les accords de branche ainsi que les conventions collectives jouent un rôle règlementaire considérable), Monsieur Bayrou affiche sans honte une vision selon laquelle la protection du salarié est en réalité assez secondaire, et s’accorde plutôt bien avec la radieuse perception de l’embauche qu’a Emmanuel Macron : un employeur recrute en pensant licencier le salarié par la suite et non le garder à ses côtés. Enfin, Manuel Valls, qui s’approprie sans gêne aucune le qualificatif de « progressiste », conçoit les cotisations sociales que paient les entreprises (et qui financent les pensions de retraite et de nombreuses prestations sociales) comme des « charges sociales », qu’il cherche comme tout bon libéral qui se respecte à faire disparaître, un bon « progressiste » devant certainement, à ses yeux, rendre le monde le plus individualiste possible.

            Les « progressistes néolibéraux » défendent donc des valeurs bien différentes de celles du « progressisme » que sont « l’amélioration des conditions de vie » et la « justice sociale ». Cependant, un autre détail pose problème : les apôtres friedmaniens s’arrogent le monopole du « progressisme », notion pourtant bien large et aux définitions multiples. En effet, le discours de Manuel Valls cantonne les « progressistes » à ceux qui partagent plus ou moins fidèlement sa conception de la société, et rend impossible l’attribution du qualificatif à ses détracteurs. Un certain nombre de formations politiques classées à gauche, telles que Nouvelle Donne, Europe Ecologie Les Verts ou encore le Parti de Gauche, qui se rapprochent d’ailleurs bien plus dans leurs discours et dans leurs actes locaux des idéaux du « progressisme » évoqués par le Larousse se trouvent privés de cet adjectif, et surtout de l’image méliorative que ce dernier apporte à un homme politique ou à un parti. Toutefois, même si le Front de Gauche[4] par exemple s’auto-attribuait le terme « progressistes » de la sorte, il s’agirait d’une situation tout aussi injuste vis-à-vis des détracteurs de son projet et de la signification même du terme, bien que le projet des « éco-socialistes » se rapproche davantage de la définition du Larousse.

            Par-delà la non-conformité des projets néolibéraux aux objectifs du « progressisme » et l’injuste monopole des idées « progressistes » que les défenseurs du marché s’arrogent persiste une autre question : qu’est-ce finalement que « le progrès » ? Le Larousse le définit comme « l’évolution régulière de l’humanité, de la civilisation vers un but idéal », et ceci illustre le flou qui subsiste autour de cette belle notion pourtant si complexe, et si subjective. En effet, comment penser qu’un homme de gauche et une sympathisante de droite puissent avoir la même notion d’un « but idéal » ? D’ailleurs, est-il si évident que deux êtres humains, par essence différents, puissent partager une définition réellement commune du « but idéal » ? Le « progrès » se trouve être une de ces splendides notions chères aux êtres humains, mais pour laquelle l’idée de s’accorder sur une définition unique paraît impossible, bien qu’il soit possible qu’une majorité de gens considèrent certains éléments de nos vie comme des formes de  « progrès », éléments tels l’invention et la diffusion de l’électricité. Toutefois, même la notion de « progrès technique » se trouve être controversée, à cause notamment du processus de « destruction créatrice »[5] pointé par Joseph Schumpeter ou encore à cause des changements parfois néfastes pour certains qu’engendre ce type de « progrès » (l’avènement des smartphones est lié par exemple à une surveillance assez massive des citoyens), ce qui complexifie davantage la notion de « progrès » et témoigne des nombreuses controverses à propos de l’essence même de cette notion.

            Les néolibéraux, friands de ces termes splendides et essentiels mais dont la définition demeure floue, n’ont pas hésité à manipuler la notion de « progrès » ainsi que tous ses termes dérivés (« progressisme », « progressistes »…) dans un sens qui leur profite. Néanmoins, le véritable « progrès » à réaliser ici serait celui d’accepter que la notion même de « progrès » diffère en fonction des gens qui emploient ce terme…


[1] L’ISF s’applique aux personnes physiques qui ont leur domicile fiscal en France et qui disposent d’un patrimoine dont la valeur nette en France et hors de France est supérieure à 1,3 million d’euros au 1er janvier 2015, ainsi qu’aux personnes physiques qui n’ont pas leur domicile fiscal en France mais y possèdent des biens d’une valeur nette supérieure à 1,3 million d’euros (source : impots.gouv.fr)

[2] Une étude de l’INSEE montre que les hommes cadres de 35 ans peuvent espérer vivre encore 47 ans contre 41 ans pour les ouvriers du même âge, et que les cadres ont une espérance de vie sans incapacité plus longue que les ouvriers (insee.fr, L’espérance de vie s’accroît, les inégalités sociales face à la mort demeurent)

[3] Cette édition propose de nombreux commentaires et textes de jurisprudence qui vont bien au-delà des textes de lois, stricto sensu, du code du travail

[4] Union notamment du Parti Communiste Français (PCF), du Parti de Gauche (PG), et d’Ensemble

[5] La « destruction créatrice » renvoie à l’idée qu’une innovation va rendre obsolètes certaines inventions, activités ou modes d’organisation, en plus de stimuler la croissance économique. Il s’agit donc du « versant négatif » d’une innovation

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