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Quotidiennement, et toujours plus précocement, des centaines de milliers de jeunes sinon des millions sont exposé•es à des technologies algorithmiques dangereuses, injustement appelées « réseaux sociaux ».
Ces régies publicitaires sont d'abord et avant tout conçues pour influencer et manipuler leurs utilisateur•trices. La mise en relation entre les individus n'est qu'un prétexte à la captation de données et d'attention dans le seul but de placer toujours plus de publicité ciblée.
Ces plateformes répondent à des logiques commerciales d'un cynisme absolu et d'une grande violence sociale, économique et environnementale. Dans le même temps, elles échappent à toute réelle réglementation contraignante en matière de protection des droits et des libertés de leurs utilisateurs, tout comme à une fiscalité à la hauteur des revenus colossaux qu'elles engendrent. Elles se sont développées dans un Far West numérique, à la jonction de la pensée libertarienne, des joint-ventures et d'ingénieurs sans scrupules de la Silicon Valley, qui ont inventé les bases du capitalisme de surveillance, avec la complicité volontaire des responsables politiques refusant de regarder en face des dangers pourtant très largement documentés. Car ce sont d'abord et avant tout des régies publicitaires mondiales au service d'une infime minorité d'ultra-riches.
Leurs algorithmes (protégés le secret industriel et commercial et fermés aux travaux de la recherche) favorisent la captation de l'attention, le recueil massif de données et l'enfermement dans des bulles de filtres désocialisantes. Dans le même temps, ces algorithmes génèrent des phénomènes d'accoutumance liés à l’infini scroll et le swipe, engendrant une négation de la frustration.
Ces multinationales, propriétés de milliardaires désormais à la botte de Donald Trump, sont largement responsables de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite partout à travers le monde, car leurs algorithmes favorisent la violence, le clash, la haine et le simplisme dans le seul but de garder captifs leurs utilisateurs le plus longtemps possible.
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Protéger notre jeunesse de la violence des algorithmes des Big Tech est donc une mesure de salubrité publique et devrait s’étendre à toute la population. Car protéger les élèves nécessite que leurs parents soient pleinement informés des dangers pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Sans cette double impératif, les déclarations élyséennes qui semblent nous dire « Mais qui pouvait prévoir ? » ne seront qu’un énième coup d'épée dans l'eau.
Former notre jeunesse à se protéger d'un numérique prédateur et privateur implique de former en premier lieu les adultes, à commencer par les professionnels de l'éducation et de la santé. Le danger du numérique n’est pas seulement dans l’écran, il est surtout dans les mécaniques algorithmiques qui sont déployées contre les intérêts de leurs utilisateurs et dont les plus jeunes sont les premières victimes, mais pas les seules !
Former notre jeunesse passera nécessairement par des temps d'information et de formation auprès des adultes, leurs parents, mais aussi, voire surtout, des élu·es et décideurs publics, et de la population en général sur les mécanismes à l'œuvre lors de l’usage de ces plateformes de la DATA et les lourds dangers de s'y exposer, car personne ne peut s’en protéger.
De telles mesures nécessitent des moyens considérables, mais indispensables. De tels moyens sont aujourd'hui totalement absents faute d'une fiscalité à la hauteur des enjeux. Pire encore, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, a annoncé un investissement massif de 100 milliards d’euros dans le développement de l'IA, en lieu et place d’investir dans l'éducation et la santé de notre jeunesse.
Le monde de l'éducation affirme que la sécurité des élèves comme des personnels, et donc la sécurisation des établissements scolaires, ne passera pas par d'énièmes mesures sécuritaires (portiques, caméras de vidéosurveillance, fouille des sacs et déploiement télévisuel de forces de l'ordre, etc.), dont la totale inefficacité a été maintes fois démontrée. La Ministre de l’Éducation Nationale l’a reconnue elle-même. Des centaines de contrôles des sacs ont déjà eu lieu et autant de conseils de discipline. Pour quel résultat ? Le drame de Nogent est une terrible et funeste illustration de cette fuite en avant sécuritaire totalement inefficace, puisque des gendarmes étaient présents aux abords du collège pour un contrôle inopiné des sacs, en marge duquel notre collègue assistante d'éducation, Mélanie Grapinet, a été poignardée par un élève de 3e lui-même ambassadeur Phare. C’est l’échec total de dispositifs technocratiques pensés pour avoir un impact médiatique plutôt qu’éducatif et social.
Nos pensées vont à notre collègue et à sa famille, à ses proches comme à ses collègues et à ses élèves. Mais ce drame est aussi celui de ce jeune et de sa famille, brisée à jamais suite à cet acte irréparable. Ce drame est celui de notre société. Il est la responsabilité des adultes et des décennies de désinvestissement de la chose éducative, de mépris des enseignant·es et de la pédagogie. Ce drame est d'abord la conséquence de politiques publiques austéritaires qui désagrègent précisément les services publics qui devraient prendre soin de notre jeunesse.
Au contraire, il nous faut appeler, nous qui souhaitons prendre soins de la jeunesse, à un plan d'urgence pour l'Éducation, de la maternelle à l'Université, afin que le monde des adultes prenne soin, autant que de besoin, de sa jeunesse, de ses enfants, dont nous sommes toutes et tous co-responsables. Il nous faut prendre soin d'elles et eux.
- Prendre soin de toutes et tous les jeunes, c'est d'abord prendre le temps de les accueillir, de les connaître, de les écouter, d'échanger et de partager avec elles et eux pour les comprendre et les reconnaître.
- Prendre soin de toutes et tous les jeunes, c'est leur assurer l'accès à une éducation de qualité, avec des classes moins chargées, avec des personnels formés et correctement rémunérés, avec un statut et des conditions de travail décentes. Cela passe nécessairement et urgemment par le recrutement de personnels supplémentaires disponibles pour gérer les situations de crise, qui sont aujourd’hui le quotidien des établissements et des classes.
- Prendre soin de toutes et tous les jeunes, c'est leur donner des limites éducatives et leur permettre de construire avec les adultes les règles d'un monde juste et désirable, loin de la marchandisation de tout et de la destruction des écosystèmes comme des droits et des libertés.
- Prendre soin de toutes et tous les jeunes, c'est s'assurer qu'aucune et aucun d'entre elles et eux ne se trouve dans une situation de pauvreté et de précarité inacceptable, ou pire encore, à la rue, dans la septième puissance économique mondiale.
- Prendre soin de toutes et tous les jeunes, c'est leur permettre de se projeter dans une société où chacune et chacun a une place, désirable et désirée, par des cursus de formation qui rompent avec la gestion de la pénurie qu'est Parcoursup.
- Prendre soin de toutes et tous les jeunes, c'est prendre le temps d'accompagner chacune et chacun afin qu'elles et ils deviennent des adultes autonomes, responsables et capables, à leur tour, de prendre soin de leurs semblables comme de leur environnement, du vivant.
Le monde de l'éducation, soucieux qu'un tel drame ne se reproduise plus, doit appeller à un sursaut social, politique et démocratique afin que le gouvernement et une partie de la classe politique cessent de nier la crise existentielle que traverse la société française et son école, soumise à des inégalités croissantes et à des violences sociales, économiques et sociétales en constante augmentation.
C'est par le partage, la solidarité, la coopération, l'entraide, mais aussi le débat et le respect d'autrui, mis en œuvre dans le monde des adultes, que notre jeunesse trouvera le chemin d'un avenir de paix, de justice et de libertés pour toutes et tous, auquel chacune et chacun aspire et auquel chacune et chacun a droit.
Julien Cristofoli,
Enseignant spécialisé en collège (REP+) et défenseur des logiciels libres
Responsable syndical (FSU) et pédagogique (GFEN)
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