
Tel Sisyphe, encore une fois, une fois de plus, nous allons remonter le rocher du « Toutes et tous capables ! », de « l’égalité des droits et de tous·tes », de « l’émancipation par les savoirs et la culture » en haut de la montagne « République ».
Alors, c’est vrai… Cette fois, le rocher est tombé tellement bas, tellement loin, qu’il nous faudra encore plus d’énergie et plus de courage pour faire remonter la pente à l’École publique*.
Si Pap Ndiaye veut véritablement nous y aider, tant mieux. Sinon, nous ferons sans lui. [Nous avons bien fait face à Blanquer 5 années durant…]
Mais, le veut-il vraiment ? Et s’il le voulait, le peut-il vraiment ?
On peut s’interroger : quel cabinet-conseil (McKinsey ?) ou quel think tank ultralibéral (Institut Montaigne…) lui déjà adressé la feuille de route ministérielle qu’il devra appliquer docilement ?
Et même si, d’aventure, ce n’était pas le cas, les dernières déclarations du candidat Macron sonnent comme de futures attaques profondes et sourdes contre l'École et la notion même de service public au bénéfice d’une privatisation à l’américaine ou à l’anglaise. (Voir « La stratégie du choc scolaire »)
« Aujourd’hui vous avez fait le choix d'un projet […] de libération de nos forces académiques, culturelles, entrepreneuriales. »
Il est clair qu’aussi sincère que puisse être l’attachement de l’historien, du citoyen et même du militant Pap Ndiaye à l’École publique , le ministre Pap Ndiaye lui, n’aura pas le loisir de faire autre chose que ce que le Président de la République et la 1ère ministre lui intimeront…
Il n'aura d'autres choix que de se soumettre ou de démissionner…
1 – Nommer un historien spécialiste des blacks studies à l’Éducation : Macron, ce cynique !

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En nommant un historien dont les travaux académiques sont en totale opposition avec les délires extrême-droitistes de Jean-Michel Blanquer et de Frédérique Vidal, Emmanuel Macron tente un coup double, comme il l’avait fait en nommant Nicolas Hulot ministre de l’Écologie au début de son 1er quinquennat. Créer un écran de fumée à sa politique ultralibérale et autoritaire.
- D’abord, E. Macron tente de faire croire que pour ce qui concerne l’Éducation (Nationale) — même si tout son quinquennat a préparé sa privatisation —, il pourrait avoir rompu avec la droite la plus extrême au sein de son gouvernement en ayant évincé J.M Blanquer du gouvernement. Sauf que ce récit ne tient pas : Gérald Darmanin, Éric Dupont-Moretti, Amélie de Montchalain tout comme Bruno Le Maire, sont toujours là… Quant à Élisabeth Borne, elle a carrément pris du galon en devenant 1ère ministre après ses « faits d’armes »(privatisation de la SNCF, loi assurance chômage). La « surprise » Ndiaye est en fait un coup politique, à peu de frais, « intégrant » une personnalité au parcours plutôt détonant dans ce cénacle ultralibéral, anti-redistributif et anti-écologiste.
- Car E. Macron tente également de provoquer un écran de fumée avant les législatives, vues à haut risque depuis l’Élysée. Avec la nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale, E. Macron relance les exaltations délirantes, haineuses et violentes de l’extrême droite et de la droite extrême… Pseudothèses qui se répandent au travers des algorithmes capitalo-haineux de Twitter et Facebook notamment…En effet, une fois encore, les médias positionnant majoritairement leur ligne éditoriale sur les « hashtag » parlent avant tout des « tranding topics »… Les réseaux antisociaux s’enflamment de polémiques sur le prétendu « wokiste », « racialiste », « indigéniste » Pap Ndiaye.. Et voilà comment effacer, en quelques instants, les enjeux éco-sociaux des retraites, de l’emploi et des salaires, de l’inflation et des conséquences du réchauffement climatique en Inde/Pakistan.
La nomination de Pap Ndiaye comme ministre de l’Éducation nationale est donc avant tout un contre-feu médiatique et politique. Cette « promotion » vise d’abord à invisibiliser médiatiquement le camp adverse en vue des législatives. Totalement inféodé·es aux algorithmes qui visent l’engagement et l’attention, des pans entiers de la société tombent dans le panneau (iels vous diront qu’« iels ne sont pas la cible… Qu'iels savent se défendre de l’influence des GAFAM… Qu’iels sont plus malins·gnes que ça »)
2 – Déblanquériser l’École, une urgence et une absolue nécessité.

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Après 5 années de blanquerisation** de l’Ecole, les personnels de l’Éducation nationale ont à relever un défi immense. Reconstruire l’institution du sol au plafond alors qu’elle a été durablement affaiblie, abîmée et surtout vérolée des pires techniques managériales violentes et déshumanisantes. Elle est aujourd’hui remplie de petit·es chef·fes, à tous les étages, qui ont pris leurs aises 5 années durant usant d’autoritarisme, à l’image du locataire de la rue de Grenelle.
Aussi devons-nous reconstruire l’Institution École, avec les élèves et leurs parents, sur des bases différentes. Avec tellement plus de solidarité, de collectif, d’émancipation, de désobéissance et d’utopie.
En commençant par se rappeler que les (petit·es) chef·fes n’ont de pouvoir que parce que nous le leur concédons. Apprendre et s’autoriser à dire non, à interroger et contester des injonctions idiotes — trop souvent imposées contre nos métiers, notre connaissance des élèves et contre nous-mêmes —, à défendre un point de vue professionnel étayé, devraient être la base de notre positionnement alors que le nouveau ministre s’installe.
Pour cela nous devons déblanquériser l’École et cela commence maintenant.
- Déblanquériser l’École, c’est en finir avec la réduction des apprentissages aux seuls "savoirs fondamentaux" qui ont tout à voir avec l’employabilité des classes populaires et rien avec le droit à l’émancipation par les savoirs et la culture.
- Déblanquériser l’École, c’est en finir avec la seule prise en compte d’indicateurs chiffrés et chiffrables. C’est en finir avec « l’évaluationnite » et la bureaucratisation sans fin de nos métiers. Enseigner est un métier qui s’apprend, qui se construit. C’est un artisanat et nous devons refuser l’usines à case qu’a installée Jean-Michel Blanquer. Il nous faut reprendre la main sur notre métier et donc sur nous-même en refusant la soumission à l’autorité parce qu’elle est autorité. En se rappelant que si Jean-Michel Blanquer a comme successeur Pap Ndiaye, c’est aussi parce qu’E. Macron a en partie peur de la défiance du corps professionnel des enseignant·es. Il faut en prendre conscience s’en servir pour agir ensemble.
- Déblanquériser l’École, c’est remettre au centre les collectifs, qu’ils soient de travail ou d’apprenants.
- Déblanquériser l’École, c’est refuser une école qui manque de tout, à commencer de personnels… Enseignant·es remplaçant·es et de RASED, AESH, enseignant·es spécialisé·es, psychologues, infirmières et médecins scolaires, assistantes sociales… C’est une école qui manque de temps aussi… Pour des décharges hebdomadaires dans toutes les écoles, pour des réunions des collectifs sur le temps de travail, pour des formations initiales et continues construites au sein de l’Université.
- Déblanquériser l’École, c’est tourner la page de l’école « désinclusive » qui trahit la loi de 2005 en maltraitant enfants comme adultes, dans une institution sans moyen et au bord de l’implosion. Car, « l’école inclusive » telle que Jean-Michel Blanquer l’a imposée est sans moyen, sans formation et sans solution. C’est à la fois une École de la médicalisation des difficultés scolaires et une École de la violence quotidienne pour tous·tes, une École des faux semblants et des artifices en tout genre pour maintenir quoiqu’il en coûte des élèves au sein de collectifs et structures insuffisamment adapté·es, préparé·es, formé·es et équipé·es.
- Déblanquériser l’École,c’est aussi construire une école qui accueille dignement tous·tes les élèves et qui cesse enfin de nier la réalité des celles et ceux qui éprouvent le cadre et qui ne trouvent pas leur place dans les collectifs que sont leurs classes. L’école de Jean-Michel Blanquer s’est évertuée à faire comme si le mal-être grandissant d’une partie de la jeunesse n’existait pas… Déblanquériser l’École, c’est véritablement donner les moyens à tous les établissements scolaires publics de scolariser tous les élèves dans les meilleures conditions possibles, de rompre avec la notion de « décrocheurs » en lui opposant celle de « décroché·es ».
Déblanquériser l’École, c’est donc d’abord et avant tout déblanquériser nos esprits, nos pratiques, nos espoirs et nos (mauvaises) habitudes imposées 5 années durant… Ce ne sera pas simple, mais c’est possible. Et surtout, c’est indispensable pour ne pas craquer… Pour ne pas devenir « fou·olles » et éviter de sombrer dans une période « à la France Telecom »…
3 – Pap N’Diaye, pur produit de la méritocratie

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Pap Ndiaye a indiqué, lors de la passation « de pouvoir », être le pur produit de la méritocratie.
Il aurait donc mérité sa place, son rang, la reconnaissance qui lui est faite. Certes. Mais ce système de pensée appliqué aux catégories sociales écrasées par la pauvreté, les inégalités, l’accaparement des richesses et par la reproduction sociale engendre son corollaire : Les pauvres et les exploité·es seraient-iels responsables de leur condition d’opprimé·es ?
M. Pap Ndiaye aurait-il oublié la crise sanitaire et la mise en lumière de celles et ceux qui ont fait tourner l’économie pendant des semaines, sans protection, sans aide sinon celles de leurs collègues ? Personnels indispensables et pourtant si souvent exclus du fameux « mérite scolaire ».
- qu’un Jean-Michel Blanquer, idiot utile du libéralisme triomphant se prête à cette détestable musique dans la lignée d’un Nicolas Sarkozy ou d’un Ernest Antoine Seillière, c’est une chose…
- qu’un historien reconnu pour ses travaux sur « la condition noire » se réclame lui aussi du mérite, c’est-à-dire de la reproduction des élites, en est une autre… Peut-on croire un instant qu’un spécialiste de telles questions n’ait pas pris le temps de lire Bourdieu et Passeron, ne connaisse pas les travaux des Pinçon-Charlot ni ceux du groupe EScol ? Pourtant, la DEEP vient encore de le montrer, les inégalités scolaires corrélées aux inégalités économiques sont une réalité. C’est même le bilan de l’école imposée par Macron et Jean-Michel Blanquer… C’est le bilan d’une institution qui a encore plus exacerbé l’individualisme forcené, la concurrence entre établissements, entre collègues, entre élèves… Alors que la situation internationale et environnementale nous montre chaque jour que ce sont la coopération et la solidarité qui nous permettront de sortir des impasses du capitalisme, ce sont bien les « purs produits de la méritocratie républicaine » qui nous ont conduits dans l’impasse climatique et sociale dans laquelle nous sommes.
Macron, comme Blanquer, Vallaut-Belkacem et tant d’autres libérale·aux et sociaux-démocrates, mettent en avant « l’égalité des chances » alors que la société et donc l’École publique doivent garantir « l’égalité des droits ».
Pourquoi Pap Ndiaye a-t-il besoin d’aller sur ce terrain « glissant » du « mérite » et des « chances » alors que son travail universitaire tant à prouver le contraire ?
La méritocratie scolaire dont se réclament E. Macron, E. Borne et de façon plus surprenante Pap Ndiaye, est bien le marqueur d’une appartenance à la classe sociale dominante qui souhaite préserver ses privilèges au détriment de l’égalité des droits.
4 – Se mobiliser pour construire une école de la justice écosociale

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Quelques pistes pour lutter :
Le GIEC alerte : "C’est maintenant ou jamais." rappellait Jim Skea, vice-président, le 4 avril 2022. « Nous sommes à la croisée des chemins. Les décisions que nous prenons maintenant peuvent garantir un avenir vivable. Nous avons les outils et le savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement », insistait Hoesung Lee, président du Giec, lors de la présentation du rapport.
Nous n’avons plus que 3 ans devant nous pour changer de paradigme socio-économique.. L’Éducation nationale ne peut échapper plus longtemps à cet enjeu. Quels savoirs enseigner et pour quoi faire, pour qui et pour quelle société ?
Les 6 d’Agro-Paris-Tech comme les 150 normalien·nes disent à quel point tout une jeunesse aspire à construire une société plus juste, plus écologique, plus solidaire et plus vivable pour toutes et tous. Soit l'exact opposé de l'école imposée par Jean-Michel Blanquer et par E. Macron durant le dernier quinquennat. La jeunesse ne peut plus attendre et ne veut plus attendre.
Nous enseignant·es et éducateur·rices avons la responsabilité de construire l’École et les enseignements qui permettront à la jeunesse de s’émanciper des contingences actuelles pour faire face aux défis socioclimatiques de demain.
- Rappelons-nous cet adage du GFEN : « De la façon dont on enseigne se transmettent des valeurs. »
- Refusons les évaluations qui prescrivent nos pratiques pour en construire de véritablement utiles pour nos élèves et nos usages.
- Refusons la mise en concurrence et organisons les nécessaires coopérations dans nos classes et établissements.
- Refusons l’individualisme et construisons des collectifs solidaires d’apprenant·es et d’enseignant·es.
- Refusons le manque de moyens et exigeons et obtenons une École qui réponde aux besoins de toutes et tous les élèves.
- Refusons les désignations de bouc-émissaires et construisons une société ouverte, multiculturelle et forte de ses valeurs et de son histoire plurielle.
Cette École, nous l’avons entre nos mains, nous qui sommes dans les classes, dans les établissements.
Rappelons-nous qu’au cœur de nos classes, ce ne sont ni Jean-Michel Blanquer ni Emmanuel Macron qui viendront nous imposer leur vision médiocre d’une société de la compétition, capitaliste et dévastatrice de la nature et des humains. Ce sont bien les personnels de l'Éducation Nationale qui, déconstruisant les impasses du monde actuel avec leurs élèves, jetteront les bases d'une société de justice éco-sociale.
Si Pap Ndiaye veut nous aider à construire « l’École de la vie » tant mieux. Sinon, nous ferons sans lui.
Julien Cristofoli,
Enseignant spécialisé, militant
*cette assertion contient la maternelle, l'élémentaire, le collège, le lycée (pro et général) et l’Université...
**Cette expression est issue d'une conversation avec Dominique C., ancien secrétaire départemental de la FSU Sarthe.
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Sources :
Passation de pouvoir Blanquer-Ndiaye : https://invidious.fdn.fr/47RgdaiKfaI
Démission N. Hulot du gouvernement Philippe : https://invidious.fdn.fr/YC5Ss9_ORlY?t=21
INA : «Il y a une condition noire qui s’impose aux personnes considérées comme noires» : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/il-y-a-une-condition-noire-qui-s-impose-aux-personnes-considerees-comme-noires
Liste des membres du gouvernement Borne : https://www.gouvernement.fr/actualite/la-composition-du-gouvernement-delisabeth-borne
La France et le monde assommés par la chaleur : https://reporterre.net/La-France-et-le-monde-assommes-par-la-chaleur
Twitter : bilan globalement négatif : https://www.arretsurimages.net/chroniques/votre-attention-sil-vous-plait/twitter-bilan-globalement-negatif
« C’est maintenant ou jamais » : les solutions du Giec face au chaos climatique : https://reporterre.net/C-est-maintenant-ou-jamais-les-solutions-du-Giec-face-au-chaos-climatique
Appel à déserter : https://blogs.mediapart.fr/des-agros-qui-bifurquent/blog/110522/remise-des-diplomes-agroparistech-appel-deserter
« Alignons notre pratique scientifique sur les enjeux impérieux de ce siècle » : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/05/11/alignons-notre-pratique-scientifique-sur-les-enjeux-imperieux-de-ce-siecle_6125674_1650684.html