On va voter. Sans illusions, mais on va voter. Parce que c'est un droit qu'il convient d'exercer... Tant qu'il dure. On va voter quand bien même on est conscient des limites de plus en plus étroites de l'exercice. Parce que toute défaite de la droite est bonne à prendre. Parce que virer Sarkozy, c'était bon à prendre. Et puis quoi ? L'écoeurement. Il n'y a pas d'autre mot. Un écoeurement teinté de sidération tant on peine à croire au spectacle désolant qui nous est offert. On n'est pas né de la dernière pluie. On votait contre, pas pour. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un personnel politique endogame, formé dans les meilleures écoles de la bourgeoisie plutôt que dans les organisations militantes du mouvement ouvrier, en épouse étroitement et la culture et les intérêts. N'empêche, on avait beau s'en douter, on ne s'attendait pas à ça.
La décomposition politique a désormais atteint son point de non retour. Si tant est que ce fût possible, il n'y a plus rien à arracher à la bourgeoisie. Elle n'a rien à offrir, rien d'autres que sa vulgarité et sa lâcheté. Le présidentialisme a d'ailleurs ceci de caractéristique qu'il donne à voir la psychologie, la façon d'être et de penser de la bourgeoisie à travers l'individu qui a la charge de représenter ses intérêts. Sarkozy incarnait son cynisme et sa vulgarité, Hollande incarne sa lâcheté et son provincialisme. Signe que la décomposition politique a désormais atteint un stade terminal, la bourgeoisie française n'a pas même la force de défendre ses propres intérêts. Mentalité de colonisés. C'était cela aussi le sarkozysme, un changement de paradigme, une évolution très profonde de la culture politique de la bourgeoisie française que Hollande ne fait que prolonger.
Sarkozy est parti, mais on n'est pas sorti pour autant du sarkozysme, considéré comme expression de la mentalité de la bourgeoisie française. C'est cela sans doute que l'on avait pas vu et qui provoque tant de sidération. Pêle mêle, Mittal, Snowden, le plan de croissance européen, le choc de compétitivité, les retraites, la guerre au Mali, l'austérité jusqu'à l'os, les négociations transatlantiques...etc... On croit rêver. Mais non, on ne rêve pas. Affronter la bourgeoisie allemande, affronter l'impérialisme américain pour défendre ses intérêts et son indépendance politique, la bourgeoisie n'en a ni la force, ni la volonté. Hollande, c'est la France couleur Vichy, la bourgeoisie française rendue à l'expression la plus claire de sa nullité intrinsèque. C'est ce qu'il faut renverser.
On va voter ? Mais non, moi je ne vote plus. Ya basta la comédie. Dès lors que l'échéance électorale ne provoque plus aucune rupture significative et épuise rapidement son potentiel de mobilisation politique, pourquoi s'enfermer là-dedans, pourquoi re-légitimer sans cesse un processus qui s'affirme chaque fois d'avantage comme un pur et simple déni de démocratie. Il fallait virer Sarkozy. Hollande en a été l'instrument. Maintenant, ce qui est à l'ordre du jour, c'est de virer cette bande de clowns.
La gauche, la fausse ou la vraie, ça n'existe pas. Il y a les intérêts de la bourgeoisie, dont Hollande, tout comme l'était Sarkozy, est le fondé de pouvoir et il y a les intérêts des classes populaires, qui subissent, sous Hollande comme sous Sarkozy, la violence inouïe que déchaîne la bourgeoisie contre elles. Parce qu'il vit dans l'illusion du réformisme, parce qu'il se compose d'appareils et d'apparatchik qui n'ont pas intérêt à rompre avec le PS, le Front de gauche se refuse à appeler un chat un chat et cultive dans sa relation avec le gouvernement de Hollande et Ayrault une ambiguité qui ne lui permet pas d'apparaître comme une alternative aux yeux des classes populaires. On crie très fort, mais on prétend tout de même être dans la majorité. Dire, comme Mélenchon, que l'on est prêt à devenir le premier ministre de Hollande, c'est faire vivre une illusion dont il est le seul dupe.
J'apprécie Mélenchon. C'est à dire que je lui reconnait un mérite essentiel, celui d'avoir relevé le drapeau quand les petites boutiques du trotskysme végétaient sans fin - et végètent toujours - dans leur isolement et leur impuissance. Mais une fois passée ce moment politique de l'élection présidentielle ou il a joué son rôle, le voilà prisonnier d'une stratégie, et pour tout dire d'une culture, celle du réformisme, qui atteint très vite ses limites. Sur le fond d'abord : aucune politique keynésienne ne saurait sortir le capitalisme de ses contradictions et de l'impasse dans laquelle il entraine l'ensemble de la société humaine. Tout virtuose qu'il est, Mélenchon peine à faire sonner juste ses vaticinations sur le potentiel de croissance de la mer et son éco-socialisme mal digéré, fortement teinté d'opportunisme. Plus grave, la posture chauvine sur les rapports de force politique au sein de l'Union européenne. Pathétique, l'inutilité à peu près complètes des blablateries savantes sur l'euro et le rôle de la BCE.
Comme Marchais en son temps, Mélenchon est en train devenir une sorte de clown de service. La où il y avait de la pertinence quand il donnait de la voix pour mobiliser l'espérance populaire, il y a de plus en plus une posture vide de contenu politique. L'affrontement continuel avec la médiacratie - pour reprendre un vocable qu'il apprécie - se boucle sur lui-même, faute d'une perspective politique qui prendrait réellement la mesure de l'exaspération populaire en lui fixant des objectifs clairs. N'avoir pour seule stratégie que la conquête électorale en un temps où les classes populaires n'y voit aucune issue, ne peut mener à rien. Prisonnier de ses croyances et de ses alliances, Mélenchon se dégonfle comme une baudruche. Sans doute ne peut-on rien faire dans le mouvement ouvrier français sans le PCF. C'est quelque chose que Mélenchon a compris - et c'est quelque chose sur lequel il faudrait réfléchir encore d'avantage. Mais c'est très compliqué de faire quoi que ce soit avec le PCF, tant il est vrai que l'appareil a, comme toujours, comme premier réflexe de défendre coûte que coûte le système qui le tue, mais sur lequel il a de tout temps fait prospérer ses intérêts.
Disons-le plus simplement. On ne ramènera pas Hollande, Moscovici, Valls et consorts à la raison. Pas plus que Merkel ou l'Union européenne. Il faut chasser Hollande, c'est à dire chasser la bourgeoisie avant qu'elle se décide à égorger la résistance populaire, détruire l'Union européenne en tant que principal instrument politique de la bourgeoisie dans sa lutte cruelle contre les peuples européens. L'enfant que la bourgeoisie s'apprête à mettre au monde est un monstre. Ce qui est à l'ordre du jour, c'est le fascisme; c'est le déchainement d'une violence que l'on peine à imaginer, mais dont on pressent qu'elle sera pire que tout ce que l'on a pu voir jusques-là. La profondeur de la crise historique du capitalisme est grosse d'une catastrophe d'une ampleur inégalée.
Le bulletin de vote, c'est l'instrument de la conquête politique du Front National, parce que c'est la direction que la bourgeoisie entend lui donner. Les dés sont pipés et ma conviction, c'est que l'on perd tout si l'on persiste sur un terrain qui a perdu tout forme de légitimité aux yeux du mouvement populaire.
Socialisme ou barbarie.