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Billet de blog 24 janvier 2009

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Sauver la France

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C'est étonnant tous ces gens prétendumment de gauche qui se rengorgent d'avoir voté Sarkozy, comme s'il y avait lieu de s'en vanter. Discussion animée, quelques temps avant l'élection, avec une dame d'un certain âge, architecte de son état, qui m'assurait qu'après avoir voté toute sa vie à gauche, elle s'apprêtait à voter Sarkoy parce qu'il "allait sauver la France". La France que l'on sauve, cette vierge catholique menacée des pires outrages par les communistes, les homosexuels, les noirs et les arabes, c'est celle de Pétain... et de Doriot. Une trajectoire étrange, mais finalement assez commune dans l'histoire et la politique française que cette aigreur qui fait soudainement tourner casaque à certains pour embrasser les platitudes réactionnaires les plus éculées avec la ferveur idolâtre des nouveaux convertis.

La vieillesse est un naufrage. C'est toujours assez surprenant d'en faire le constat avec une génération, celle de 68, qui a poussé si loin le culte de la jeunesse, mais ça n'en est pas moins vrai. Quand on en a fini avec les rêves et les aspirations de sa jeunesse pour jouir enfin des privilèges dont bénéficient les possédants, ceux qui les courtisent ou les servent, il faut bien trouver des justifications idéologiques et morales à cette nouvelle posture. Tout un courant de pensée - si tant est que l'on puisse apeller cela comme ça - s'est mis à l'ouvrage depuis la fin des années 70 : les "nouveaux philosophes" (qui n'ont rien de très nouveaux et pas grand chose à voir avec la philosophie...).

Plus fréquent encore, ceux qui n'ont pas attendu d'être vieux pour surfer sur la ligne de plus grande pente. Il y a un personnage que l'on entend beaucoup - trop à mon humble avis - ces derniers temps, c'est Denis Olivennes. Quelqu'un de brillant assurément, normalien, énarque, conseiller de feu Pierre Bérégovoy et dirigeant éminent de quelques-uns des fleurons de l'économie française, Air France, Canal + et la FNAC, entre autres. Son arrivée à la direction du Nouvel Observateur l'a propulsé sur ces ondes où l'on jacasse en analyste et penseur du destin de la gauche française. J'évite, comme je le peux, ce genre de blablateries radiophoniques ou télévisées qui n'ont semble-t-il pas d'autres finalités que de permettre à ces "chroniqueurs" de s'écouter parler. Mais avec Monsieur Olivennes, sur France Inter ou RFI, je ne sais plus, je dois dire qu'on en fini plus de se tordre de rire.

L'existence entière du personnage s'est déroulée dans ces cabinets publics ou privés où l'on se convainc de détenir entre ses mains le destin de la gauche, de la France et pour tout dire, de la démocratie. Toute la pensée du personnage - et c'est là un bien grand mot eût égard à la batterie de lieux communs qu'il déblatère avec la suffisance qui le caractérise - est à l'aune de son parcours dans les lieux de pouvoir : c'est à la profondeur de la vision politique et à l'audace de quelques gouvernants que l'on doit le progrès social. La mobilisation des citoyens, l'affrontement des classes pour la répartition des richesses, tout cela n'a évidemment rien à voir avec la marche de l'histoire.

Celui-là, blablatteur professionnel parmi d'autres, ne mériterait pas que l'on s'y arrête s'il n'incarnait aussi parfaitement les tristes idées de cette gauche de gouvernement, convaincue que le pluralisme n'est d'aucune utilité à la démocratie et au progès social. Sans doute l'avez-vous remarqué, le parti socialiste est ce parti que distingue son ambition à gouverner; ce parti qui, toujours, acceptant le sacrifice suprême de ses meilleurs éléments dans les antichambres de la République, accepte de se salir les mains pour le plus grand bénéfice des masses. Il y a là, sans aucun doute, le bréviaire que tout dirigeant ou personnalité socialiste en vue apprend dans les stages de communication du parti. On ne trouvera pas de débat politique avec la gauche de la gauche où l'argument ne figure en guise d'estocade terminale.

L'idée, lumineuse, est la suivante : un parti qui ne se donne pas pour objectif immédiat de gouverner ne saurait peser sur le débat public, ne peut pas prétendre porter la voix d'une fraction des citoyens ni les mobiliser, n'a aucune influence sur le destin et les choix de la société. Dit comme ça, on voit tout de suite à quel point tout cela relève purement et simplement de la mauvaise foi intellectuelle. On se demande en effet dans ces conditions comment le Front National a pu peser aussi efficacement sur le cours politique de notre pays - au point que Sarkozy ait choisi de mettre complaisamment en oeuvre des pans entiers de sa démagogie raciste - sans jamais gouverner.

Si l'on tentait de mesurer l'accroissement du progrès social en France depuis la Libération, on aurait bien du mal à l'expliquer sans tenir compte du poids politique du PCF - qui n'a pas ou si peu gouverné - et de la techtonique des plaques de la guerre froide, du poids social des organisations syndicales et, in fine, de l'action et de la mobilisation des classes populaires. Si, en revanche, on veut mesurer son affaissement depuis les années 80, on ne peut guère se passer d'osculter et d'analyser les agissements des Denis Olivennes de tous poils durant les deux mandats de François Mitterrand et le ministère de Lionel Jospin.

Au delà de ces considérations sur l'histoire du progrès social - qui se discute, j'en conviens -, il y a cette obsession de certains à vouloir réduire l'espace démocratique à sa dimension spectaculaire et élective, cette idée que la démocratie ne saurait être autre chose qu'une course de chevaux où s'affrontent les champions - selectionnés par acclamations - de deux partis à peu près d'accord sur tout, sauf sur les moyens de démanteler la sécurité sociale, la retraite par répartition, l'éducation, les services publics, le code du travail et même le droit de grève. Tout cela au profit d'une modernité dont on vient de voir très récemment les conséquences désastreuses.

Cette manière de disqualifier l'adversaire n'est pas seulement réthorique. Elle dit une manière d'être, une manière de vivre et de penser l'espace public. Elle clame les aspirations de cette sorte de gens qui finissent par prendre leurs désirs les plus profonds pour la réalité, une certaine tentation de l'élite, de "gauche" comme de droite, de s'affranchir une fois pour toute de la démocratie. La rage des commentateurs après le referendum sur la constitution européenne, puis l'adoption en catimini du traité de Lisbonne, en sont les manifestations les plus probantes. La souveraineté populaire, conquête fondatrice de la révolution française, ne serait ainsi qu'une vieillerie à ranger définitivement au rayon des accessoires d'un populisme nauséabond.

Démocratie et progrès social, c'est ma conviction, ne sont qu'une seule et même chose. L'accroissement du progrès social dépend de la qualité de la démocratie et la vitalité de la démocratie s'affirme dans l'approfondissement des conquêtes sociales. La démocratie n'est pas le cadeau qu'une technocratie éclairée fît à la France, mais le produit du combat acharné des classes populaires contre les privilèges, pour la liberté, l'égalité et la fraternité. S'ils n'ont pas peur d'être renversés, s'ils n'affrontent pas la mobilisation populaire, les possédants ont une préférence marquée pour le bonapartisme censitaire ou même la cupola maffieuse. La démocratie, dans l'affrontement des intérêts de classe, doit sans cesse être défendu, conquise, y compris et encore plus quand les armes et les outils de la conscience de soi et de ses intérêts ont tendance à faire défaut aux classes populaires, pour toute sortes de raisons politiques et historiques. On en est là et je dois dire que ce débat là m'intéresse davantage que le combat inepte entre le ségolinisme et la "tradition" (sic) socialiste, l'opportunité d'une alliance avec Bayrou et je ne sais quels autres niaiseries assomantes du même ordre, rabâchées ad nauseam sur toutes les antennes de France et de Navarre.

Les opposants à la ligne de plus grande pente et aux breloques en vogue de cette modernité qui prétend diriger l'Etat comme un conseil d'administration ne sont pas suffisament nombreux pour gouverner. Ils ne sont pas toujours à la hauteur de leurs responsabilités, n'ont pas encore trouvé les moyens de prendre leur place dans la danse de l'histoire. Soit. De là à penser qu'ils ne sont d'aucune utilité, qu'ils ne pèsent rien dans le débat politique, il y a un pas que franchissent allégrèment ceux pour qui la démocratie n'est qu'une posture, un privilège qui n'a de sens qu'entre gens bien nés. Ceux-là seraient bien avisés de prendre garde à la marche de l'histoire. Elle ne fait pas de cadeaux.

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