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Julien Garric

Maître de conférences en sciences de l'éducation et de la formation à Aix-Marseille Université

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Tribune 29 février 2024

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Surveiller et punir : le retour du « surgé » au mépris de la recherche

Dans la logique du « réarmement » civique de Gabriel Attal, le Conseil Supérieur des Programmes demande de revenir sur le fonctionnement du collège dans une logique plus stricte et disciplinaire et pour cela, de redéfinir les missions des Conseillers Principaux d’Education (CPE). Cette vision idéologique méprise les réalités du terrain et des connaissances scientifiques stabilisées par la recherche.

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Lettre ouverte à Nicole Belloubet Ministre de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse

Par un collectif de chercheur.ses et formateur.ices en INSPE et à l'Université

Le conseil supérieur des programmes (CSP) a rendu public le 30 janvier 2024 un avis « sur l’organisation des enseignements au collège ». Ce texte s’inscrit dans une dynamique qui entend bouleverser l’organisation du système éducatif afin de créer un « choc des savoirs » et rétablir la place de la France dans les classements scolaires internationaux. Orientation précoce vers la voie professionnelle, groupes de niveau, transformation du brevet des collèges, classe de « prépa-lycée », réaffirmation de la pratique du redoublement, port d’une tenue unique : autant de décisions en opposition avec l’essentiel des politiques éducatives menées depuis plus de cinquante ans qui contredisent les connaissances scientifiques sur la construction des inégalités scolaires, les processus de décrochage, ou la lutte contre la violence. Elles marquent un tournant explicitement conservateur des politiques scolaires, en contradiction avec les préconisations internationales et les recommandations de l’OCDE.

Dans la même veine, l’avis du CSP mobilise à propos du registre disciplinaire, un vocabulaire guerrier dans la logique du « réarmement » souhaité par notre gouvernement. Il propose de « rétablir l’ordre scolaire », en prononçant des « sanctions réelles et immédiates », ainsi que de systématiser les « exclusions automatiques de la classe ». Dans ce texte, le choc des savoirs revient à mettre à l’écart les élèves « perturbateurs », afin de protéger le sanctuaire scolaire qu’ils et elles risquent de déstabiliser. Pour accompagner ce « réarmement », le CSP propose de « recentrer les missions des conseillers principaux d’éducation (CPE) sur le respect du règlement intérieur », et ce, afin de soutenir les enseignant·e·s dans l’exercice de leur autorité. Cette vision réductrice du métier de CPE rappelle la figure du surveillant général ou « surgé », ancêtre autoritariste des CPE, épouvantail chargé de faire régner l’ordre d’abord dans les lycées napoléoniens et ceci jusqu’en 1970. Cette position confirme la volonté de revenir à une « école d’antan », puissante et respectée, pourtant bien peu conforme à ce que montrent les études historiques.

De nombreuses recherches ont été menées ces dernières décennies à propos des désordres scolaires, des sanctions, ou encore du rôle joué par les acteurs de l’institution scolaire et notamment les CPE dans l’équilibre fragile entre l’autorité éducative, l’exigence scolaire et le souci du bien-être des élèves, qui favorise le vivre ensemble et permet de travailler plus sereinement. L’avis du CSP mobilise à ce propos des représentations qui méprisent la rigueur de ces travaux scientifiques. L’école française serait soumise à des désordres endémiques provoqués par la bienveillance coupable d’une institution gangrénée, depuis mai 68, par le laxisme de ses personnels et de leur hiérarchie. En demandant des « sanctions réelles » et « systématiques » il sous-entend que les sanctions seraient trop « molles » et trop rares. Pour répondre à cette défaite de l’école républicaine, les médias, les politiques, les éditorialistes appellent au rétablissement de l’autorité, assurément « autoritaire » voire « autoritariste », avec plus de sévérité et un usage décomplexé de réponses plus « dures » face aux comportements perturbateurs.

Contrairement à ces discours, les travaux académiques démontrent que l’école française punit énormément ses élèves, sans doute plus que tous les autres pays de l’OCDE. Cette inflation de sanctions, et en particulier d’exclusions, provoque le sentiment d’injustice chez les élèves et d’inefficacité chez les adultes. Les recherches françaises et internationales sont unanimes sur l’échec de ces politiques : une posture strictement punitive participe à l’augmentation des processus de décrochage et de discrimination, à la dégradation des relations éducatives et de manière contre-intuitive à la multiplication des phénomènes de violence.

Ces dernières années, l’activité professionnelle des CPE a fait l’objet d’un nombre croissant de recherches qui alimentent une connaissance fine des processus éducatifs, au plus près de la diversité des contextes des établissements, des professionnels, des élèves et de leurs parents, bien loin des caricatures et du bruit politico-médiatique. Ces travaux montrent l’importance d’un travail quotidien auprès des élèves dans lequel l’autorité est une composante parmi d’autres. Les CPE œuvrent à inventer des alternatives au tout punitif, à développer les compétences psychosociales des élèves, à leur éducation citoyenne, à conforter des comportements responsables, à favoriser la coopération, à construire des relations fondées sur le respect mutuel. La demande d’un régime disciplinaire plus strict, avec un recentrage de l’activité des CPE sur le maintien de l’ordre et la demande d’externalisation de la gestion des perturbations scolaires, témoignent d’une méconnaissance inquiétante de la diversité de ses missions, et d’une non moins inquiétante méconnaissance des conditions de l’exercice de l’autorité et de la sanction. Mais au-delà de cette nouvelle marque de mépris pour le travail des personnels de l’Éducation nationale et pour celui des chercheuses et chercheurs, le CSP propose ici une vision passéiste de l’école qui va pénaliser l’ensemble des élèves et a fortiori ceux qui maîtrisent le moins les codes scolaires, favoriser un climat de défiance et de tensions et renforcer les inégalités.

Comment un programme qui souhaite le « choc des savoirs » peut-il à ce point ignorer les savoirs issus de la recherche ? Nous contestons ces réponses qui simplifient à l'extrême les problématiques éducatives. Ces préconisations démagogiques relèvent d'une rhétorique culpabilisante à l'égard des CPE et témoignent d’une méconnaissance préoccupante de l’institution et du fonctionnement des établissements scolaires. Elles risquent de fragiliser encore un peu plus une école déjà fortement dégradée, qui ne tient souvent que par l’investissement de ses personnels.

Lettre ouverte signée par :

Julien Garric, INSPE d'Aix-Marseille, IREMAM, Maître de conférences en Sciences de l’Éducation et de la formation

Emilie SAUNIER, INSPE de Franche-Comté, ELLIADD-IREDU, Maîtresse de conférences en Sciences de l’Éducation et de la Formation

Sylvie CONDETTE, Université de Lille, CIREL, Professeure des Universités en Sciences de l’Éducation et de la formation

Jérôme COUTELLIER, INSPE de Toulouse, CPE Formateur

Clémence MICHOUX, Université de Poitiers GRESCO Docteure en Sociologie

Nathalie ALIA, INSPE de Grenoble, CPE formatrice

Rozenn ANDRO, INSPE de Bretagne CPE, formateur

Riad AZZAM, INSPE de Nantes CPE Formateur

Anne BARRERE, Université Paris Cité, CERLIS Professeure des Universités en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Nadia BELKIS, INSPE de Lyon, CPE Formatrice

Catherine BLANCO-PELLERIN, INSPE de Nantes, CPE Formatrice

Anne BOUJU-GOUJON, INSPE Centre Val de Loire Université d'Orléans, ERCAE, Maîtresse de Conférences en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Magali BOUTRAIS, Université de Rouen Normandie CIRNEF, Maîtresse de conférences  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Jean-François BRIVE, INSPE de Clermont-Ferrand, CPE formateur

Claire BURDIN, INSPE de Nantes, CREN, Formatrice, docteure en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Sophie CARRERE, INSPE de Bordeaux, CPE formatrice

Vanessa CASTRE, INSPE de Bordeaux, CPE Académie de Bordeaux

Marie-Anne CHATEAUREYNAUD, INSPE de Bordeaux, LabE3D, Professeur de didactique Langues et cultures

Céline CHAUVIGNE, INSPE de Nantes, CREN, Professeure des Universités en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Fabien CHOLEY, INSPE de Toulouse, CPE Formateur

Loic CLAVIER, INSPE de Nantes, CREN, CPE Formateur

Bénédicte COURTY, Université de Bordeaux, LACES, Maîtresse de Conférences en psychologie

Jean Luc DENNY, INSPE de Strasbourg, LISEC, Maître de Conférences en Sciences de l’Éducation et de la Formation

Martine DERIVRY, INSPE de Bordeaux

Amélie DUGUET, INSPE de Bourgogne, IREDU, Maîtresse de conférences en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Olivier DUMON, INSPE Bordeaux, Enseignant documentaliste formateur

Jean-François DUPEYRON, Université de Bordeaux, SPH, Maître de conférences émérite en Philosophie

Fabienne DURAND, INSPE de Paris, CPE formatrice

Amelle EL GHORFI, Faculté d'éducation Montpellier, CPE Formatrice

Myriam FAVREAU, CIRNEF, CPE, docteure en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Christine FOCQUENOY, Université de Lille, CIREL, Chercheure associée, docteure en histoire contemporaine

Karine FUCHS,  INSPE de Strasbourg, CPE formatrice

Agnès GRIMAULT-LEPRINCE, INSPE de Bretagne, CREAD, Maîtresse de Conférences en sociologie

Christel GUENARD, INSPE Aix-Marseille, CPE formatrice

Sofia HACHEMI, INSPE Académie de Versailles, CPE Formatrice, docteure en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Rania HANAF, IINSPE de Nice, URMIS, Maîtresse de conférences en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Claude JAVIER, INSPE de Toulouse/Université Toulouse Jean Jaurès, EFTS CPE, formatrice, docteure en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Clémence JOUANNET, INSPE, Amiens CPE, Formatrice

Christelle JOUFFROY, INSPE de Bourgogne, CPE formatrice

Elena KARACHONTZITI, INSPE de Normandie Rouen, CIRNEF, Maîtresse de Conférences  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Magdalena KOUHOUT-DIAZ, INSPE de Bordeaux, LACES, Professeure des Universités en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Nathalie MIKAÏLOFF, INSPE d'Aix-Marseille, ADEF, Maîtresse de Conférences en  Sciences de l’Éducation et de la Formation

Guillaume MILIEN, INSPE de Clermont-Ferrand, CPE formateur

Christophe MIQUEU, INSPE de Bordeaux, SPH, Professeur des Universités en Philosophie

Nathalie MONET, INSPE de Franche-Comté

Thierry MONTANUS, INSPE de Martinique, CPE Formateur

Véronique MOULEC, INSPE de Bretagne, CPE formatrice

Rozenn NEDELEC, INSPE de Bretagne, CPE formateur

Clément PARISE, INSPE d'Amiens

Gaël PASQUIER, INSPE de Créteil, LIRTES, Maître de Conférences en Sociologie

Dominique PASTEUR, INSPE de Bourgogne, CPE formatrice

Martine PAYEN, INSPE de Lille, CPE formatrice

Stéphanie PÉRAUD-PUIGSÉGUR, Université de Bordeaux, SPH, Maîtresse de conférences en Philosophie

Samuel RABAUD, INSPE de Toulouse, CPE Formateur

Jean ROUSSEL, INSPE Centre Val de Loire Université d'Orléans, CPE formateur

Frédéric ROUX, Université de Bordeaux

Serge SUIRE, INSPE d'Aix-Marseille, CPE formateur

Julie TOURNIER, INSPE d'Amiens, CPE Formatrice

Célia VAN SMEVOORDE, INSPE d'Orléans, CPE formatrice

Sarah VENOT, INSPE Centre Val de Loire Université d'Orléans, CPE formatrice

Alexis VILAIN, INSPE de Clermont-Ferrand, CPE formateur

Marianne WOOLLVEN Université Clermont-Auvergne, LESCORES, Maîtresse de conférences en Sociologie

Geneviève ZOIA, Faculté d'éducation Montpellier, CEPEL, Professeure des Universités en Anthropologie