Julien Weinzaepflen

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 octobre 2025

Julien Weinzaepflen

Abonné·e de Mediapart

Dieu en ignorant le mal livre l'homme au conseil de la faute

Julien Weinzaepflen

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À lire Kierkegaard, on voit que le mal est le grand impensé du christianisme et cela paraît d’autant plus paradoxal que la faute, au contraire, est son omnipensé, sa pensée omniprésente.
Pourquoi seulement le mal ? Le bien lui aussi est impensable : « Le bien ne se laisse nullement définir », écrit le philosophe ironiste et grand mélancolique danois. Mais le bien est impensable dans un cadre de pensée où poser a priori « la différence du bien et du mal » relève du péché originel puisque c’est en vertu de cette promesse vicieuse qu’Ève consomme le fruit défendu.
Le bien est impensable, mais il est valorisé : « Il est la liberté. Ce n’est que pour elle et en elle qu’existe la différence du bien et du mal. »
Kierkegaard a soin de distinguer la liberté du libre arbitre : le libre arbitre peut errer quand la liberté n’existe qu’en vue du bien. Le libre arbitre croit tout contrôler quand la liberté ne contrôle pas l’ordre du monde ni celui des actions humaines. Et le libre arbitre qui s’en est remis à ses propres forces ne peut se dédouaner ni sur « Dieu qui ne tente personne » (saint Jacques), ni sur le diable qui l’a appâté, d’avoir cédé à la tentation : « La faute est intransférable et qui succombe à la tentation est soi-même coupable de la tentation. »
Le bien n’est pas surévalué, mais survalorisé, existant seul en soi, et encore pour la liberté à qui l’angoisse révèle dans la faute son « apparition à elle-même dans le possible », la liberté terrorisée ne pouvant certes plus faire que la faute n’ait pas été commise, mais se changeant en repentir pour regretter le mal dans son horreur du mal.
Prolongeant dans son romantisme héroïque la tradition scolastique qui veut que le mal ne soit qu’un manque-à-être ce qui revient à refuser de le penser, Kierkegaard affirme que « Dieu ignore le mal. Il ne peut ni ne veut rien en savoir et c’est la punition du mal que Dieu ait la propriété d’ignorer le mal. Puisque Dieu est l’infini, son ignorement est un phénomène vivant de destruction, le mal ne pouvant pas se passer de Dieu, pas même pour simplement exister comme mal. »
Dieu détruit donc le mal à l’infini en laissant l’homme fini au conseil de la faute, qui est la dégradation quasiment biodégradable du mal intrinsèquement détruit par Dieu en cela même qu’il n’a jamais existé, au contraire de la faute, dont l’existence a eu sur l’homme des conséquences incalculables et qu’il ne peut pas référer au mal puisque l’ignorement de Dieu ne le lui permet pas. Le transfert de responsabilité par où se présente la rédemption à l’homme, le rend tragiquement accessible à la conscience du péché qu’ignorait le paganisme, impuissant devant le péché qu’il devait pourtant être en mesure de ne pas commettre et responsable de l’avoir commis sans le matelas éthique qui aurait dû l’informer de l’existence du mal et de ce en quoi il consiste. Le transfert de responsabilité qu’est la rédemption se lave les mains de l’existence du mal et cela met l’home en porte-à-faux, affronté à la seule conséquence du mal qu’est la faute qui le terrorise sans être prémuni de savoir ce que dit le mal qui n’est pas de l’être qu’il ne parvient pas à accomplir ni à réaliser. Dieu en ignorant le mal a peut-être bien tout accompli en privant l’homme de se réaliser. »Et finalement, de moins pire en banal, on finira par trouver ça normal. » (Jean-Jacques Goldmann)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.