Les deux premières leçons que je tire de la nomination de Sébastien Lecornu sont que d'abord et que décidément, Emmanuel Macron ne sait cohabiter qu'avec lui-même. ET qu'ensuite, François Bayrou est un Premier ministre qui lui a fait perdre du temps, pour reprendre le titre d'un ouvrage consacré par Thomas Legrand, aujourd'hui dans la tourmente, à Nicolas Sarkozy qui a créé Rachida Dati, l'ennemie qu'il a voulu faire choir et qui le désarçonne du cheval médiatique public qui l'a mis à pied pour lui ouvrir, peut-être, la voie d'un nouveau pantouflage dans le privé comme autrefois sur "RTL" du temps où il était de droite, comme le taclait Franz-Olivier Giesberg. Mais tout le monde pantoufle, a pantouflé ou pantouflera, et va du public au privé et retour, c'est le sens de l'intérêt public de nos donneurs de leçon.
François Bayrou n'a-t-il vraiment servi à rien, sinon à se prouver à lui-même qu'il n'avait pas l'encolure qui eût permis à son destin de l'enfourcher comme un de ses purs-sangs? Reconnaissons-lui un mérite, y compris dans le fait qu'Emmanuel Macron se soit laissé tordre le bras pour le nommer: cela aura permis au président désavoué de réessayer de l'Ancien monde, celui qui coulait dans ses veines et dont il ne s'est jamais éloigné pour percer l'incognito et se poser en candidat antisystème, mais qu'il avait tenu à distance. Bayrou avait bau piaffer d'impatience devant ses interviewers tel un Mélenchon ripoliné par un peu de politesse bridant son côté caractériel, il savait parler au citoyen la belle langue d'autrefois qu'il ne maniait certes pas en brillant agrégé des Lettres classiques: il reconnaissait lui-même tout récemment "être un faux littéraire" qui "s'était intéressé toute sa vie aux chiffres", comme s'il avait préféré l'arithmétique à la littérature, matière trop subtile pour son esprit borné. Avec Bayrou, l'Ancien monde a fait son dernier tour de piste et puis s'en va, pour être remplacé par un Premier ministre de transition, non pas écologique, mais entre l'ancien monde et le nouveau, au parcours à la Rastignac sans la flamboyance d'arrivisme d'un Gabriel Attal qui estimait n'avoir qu'à claquer des doigts pour recevoir ses hochets, Sébastien Lecornu a adopté un plan de carrière plus classique: c'est un nouveau Rastignac à l'ancienne, qui laboure le terrain, avec une ambition forgée au creuset de la méritocratie parlementaire, au sens où il faut se farcir les élus locaux et les députés nationaux et où Lecornu se les est farcis pour devenir l'un des leurs avant de les cornaquer ou d'en être le cornard, puisque le leurre est dans le nom.
À cet égard, ce détour biographique fourni par Mediapart est le bienvenu:
"militant de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) dès l’adolescence, Sébastien Lecornu n’a pas de métier." (Il n'a pas de métier comme Manuel Valls qui, licencié en histoire, n'a vécu que d'intrigues et de brigues.) "C’est la politique qui le fait vivre depuis ses 19 ans, au fil d’un CV qui fleure bon le XXe siècle : assistant parlementaire, conseiller ministériel, maire, président de conseil départemental, sénateur, ministre…"
https://www.mediapart.fr/journal/politique/090925/lecornu-matignon-le-choix-de-la-deraison?utm_source=quotidienne-20250909-203617&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250909-203617&M_BT=717936880348
Comment l'opinion publique, à la veille d'un 10 septembre qui se promet de tout bloquer et de donner une seconde chance à la crise des Gilets jaunes, prendra-t-elle qu'Emanuel Macron ait choisi de nommer Premier ministre celui qui a fait sortir le pays de cette crise qui pouvait emporter le régime par la supercherie du Grand débat?
Sébastien Lecornu devient donc Premier ministre pour permettre à Emmanuel Macron de cohabiter avec lui-même, mais au-delà, pour quoi faire? Sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, on était d'accord sur un seul point: au début de son second quinquennat, Emmanuel Macron avait promis qu'il changerait de méthode. Gabriel Attal avait produit le discours pour l'incarner: "nous réunir, nous parler", préparer un pacte minimum de coalition pour tenir jusqu'à la fin du quinquennat et remettre à plus tard d'orienter moralement le pays. Yaël braun-Pivet se sentant pousser des ailes, s'était lancée dans une campagne effrénée pour incarner cette nouvelle méthode tant de fois promise. Outre celui d'être présidente de l'Assemblée nationale et d'avoir l'habitude de travailler avec tous les groupes parlementaires, elle jouissait d'un avantage qu'Emmanuel Macron a oublié depuis qu'il y a sacrifié en nommant Élisabeth Borne: elle était une femme et il faudra bientôt instaurer la parité dans les nomination de Premier ministre par un même président, ainsi ne sauraient manquer d'en décider les "chiennes de garde" (l'expression est peu galante, qu'elles m'en excusent!) du néo-féminisme qui "dégenre" les stéréotypes, mais réduit tout au genre nullement hermaphrodite qu'on a reçu à la naissance, être un homme ou une femme, peu importent les compétences. Or Emmanuel Macron n'aime guère les femmes. Elles ont avec lui une différence qu'il n'assume pas. Les femmes ne lui permettent pas de gouverner avec son semblable et Emmanuel Macron veut cohabiter avec lui-même. Il appelle Lecornu à son secours pour le libérer d'une nouvelle expérience féminine. Avec Brigitte, il a assez donné. Qui sera le fusible et qui le cocu pour autant qu'on puisse tromper loyalement celui ou celle qu'on épouse? N'en préjugeons pas.
La méthode théorisée par Gabriel Atal et que voulait incarner Yaël Braun-Pivet est reprise dans la feuille de route donnée par Emanuel Macron à Sébastien Lecornu: "Il l’a chargé de consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la Nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois.
A la suite de ces discussions, il appartiendra au nouveau Premier ministre de proposer un Gouvernement au Président de la République. "
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/09/09/le-president-de-la-republique-a-nomme-sebastien-lecornu-premier-ministre
Ça, c'est pour le hors d'oeuvre. "L’action du Premier ministre sera guidée par... le service des Français et la stabilité politique et institutionnelle pour l’unité du pays. Le Président de la République est convaincu que sur ces bases une entente entre les forces politiques est possible dans le respect des convictions de chacun."
Ça, c'est pour la cosmétique.
Mais quel est le plat de résistance? Ce qui va guider l'action du Premier ministre est d'abord "la défense de notre indépendance et de notre puissance". Notre puissance, quelle puissance? Bref, notre Premier ministre gardera comme priorité le périmètre de son ministère ukrainien de la Défense au service de l'impuissance française à faire entendre sa voix "à l'international" ou à aligner un équilibre budgétaire à l'intérieur sans rogner sur la paix des ménages, tout en augmentant les dépenses militaires d'une armée exsangue au service de l'Ukraine, de l'Union européenne et d'une désapprobation toute verbale du génocide palestinien perpétré par le gouvernement Netanyahou. Voilà quel me semble être le périmètre d'action de notre nouveau Premier ministre. La feuille de route est réjouissante et promet des lendemains qui chantent la fleur au bout du drone. Ah, les guerriers d'opérette sont des fous bien dangereux.