Les magistrats sont masochistes ! - Justice au Singulier
Cher Philippe Bilger,
On nous a vendu une République qui serait irréprochable si la justice y était indépendante. Les décideurs politiques ont tendu à rendre la justice indépendante et ses décisions sont contestées, rendues par des magistrats qui seraient politisés et parfois même syndiqués, mais qui perdraient toute partialité en pénétrant dans un prétoire.
Dans l'affaire qui nous occupe, je serais le dernier à nier que Nicolas Sarkozy a un tropisme libyen des plus curieux qui, même si l'on oubliait ce financement présumé, serait plus que soupçonnable, un tropisme qui l'a fait envoyer une femme dont il était en train de divorcer sous la tente d'un violeur notoire et sous la protection de Claude Guéant (pardonnez le zeugma) pour négocier la libération des infirmières bulgares comme premier trophée de son élection, puis inviter ce dictateur à dresser sa tente sur les Champs-Élysées pour le réhabiliter à l'international avant de le liquider à l'appel de BHL qui connaissait des opposants à son "Petit livre vert", citoyens d'un pays qui avaient droit à la démocratie, estimait le philosophe insomniaque.
Mais la justice condamne un ancien président de la République pour "association de malfaiteurs" en l'absence de ce qu'Aristote appelait des "éléments de preuve" et qu'on pourrait tout simplement appeler des éléments matériels, avec une intention présumée d'"intelligence" dealeuse "avec l'ennemi", aggravée de ce que l'ennemi serait un terroriste que les malfaiteurs associés ont voulu soudoyer pour qu'il les abonde en échange dune gratification réputationnelle qui a abouti à sa liquidation physique, alors que le tribunal n'a pu retenir les allégations d'enrichissement personnel ni même de corruption matérialisée, puisque la justice n'a pu retrouver l'argent que le pourvoyeur liquidé de liquidités a pu ou a dû donner auxdits malfaiteurs associés. L'élément matériel a disparu, mais les malfaiteurs doivent payer leur association indéniable par une peine d'amende allant jusqu'à leur retenue par corps. Et tant pis si cette dernière crée un précédent sur l'immunité présidentielle. Cette prétendue immunité est purement symbolique, mais la fonction est affaiblie et une autorité chargée d'appliquer la loi affaiblit sans vergogne une fonction politique. C'est la vengeance des "petits pois".
Petits pois d'autant plus suspects d'être susceptibles et vindicatifs qu'ils ne sont pas sans collusion avec la classe politique puisqu'ils y entrent et qu'ils en sortent, dévêtant l'hermine pour nouer l'écharpe selon qu'ils préfèrent juger au nom du peuple ou reprendre leur liberté de citoyen. Pour que l'indépendance de la justice devienne acceptable, il faudrait que les magistrats, qui déclinent toute responsabilité quant aux conséquences de leur jugement, acceptent cette ascèse monastique et soldatesque, en entrant dans la magistrature, de prêter serment qu'ils ne brigueront aucune fonction politique. Sans cela, l'indépendance de la justice n'est pas bordée et rien ne préserve de ses abus d'autorité.
Vous nous vendez ici une justice pour l'exemple. La République serait irréprochable si les politiques palliaient la partialité judiciaire en n'étant ni ripous ni voyous, car ils se doivent d'être exemplaires et méritent donc d'être jugés pour l'exemple, je résume à peu près votre raisonnement. C'est à la fois le moins qu'on puisse exiger d'eux et beaucoup leur demander. C'est le moins qu'on puisse exiger d'eux, car même si l'on n'est pas robespierriste, tous les prétendants à la fonction politique, depuis saint Louis jusqu'aux lieutenants de la République vertueuse, ont prétendu exercer la fonction suprême au nom de la vertu et protégés par leurs vertus personnelles. C'est le moins qu'on puisse exiger d'eux, car autrefois, même les voyous avaient un code d'honneur, un code d'honneur qu'ils ont perdu. Tout est perdu, même le code d'honneur des voyous et des politiques. Et c'est beaucoup leur demander, car plus on a la main près de la caisse, plus l'argent nous brûle, nous-mêmes et tous nos obligés, nous-mêmes et les clients qui nous demandent rétribution pour services rendus. C'est beaucoup leur demander, comme c'est trop demander au citoyen au nom duquel jugent les magistrats de ne pas commenter une décision de justice, comme c'est trop demander à ceux qui portent toge, qu'ils soient magistrats ou professeurs, de rester neutres. La neutralité des docteurs qui enseignent du haut de leur chaire ou des censeurs qui jugent drapés derrière l'habit censé les transformer est impossible à obtenir de ces organes honorés par leurs fonctions, qui leur donnent une haute idée d'eux-mêmes en dépit qu'ils en aient, mais l'honneur des magistrats devrait les faire renoncer à tout mandat politique en entrant dans la magistrature. Le danger de la collusion écarté excuserait leur partialité résiduelle.