Le journal avait signé sa Une du jeudi 2 juin 2022 avec ce gros titre : “Les harceleurs au piquet” (voir image ci-après). Dans ce billet, nous avons voulu analyser la manière dont la presse a entrepris de traiter ce sujet, ce qui selon nous en dit long sur les représentations et forces en présence où le bien-être des victimes ne représente finalement que peu de chose. Voici donc une petite analyse de presse et nos commentaires.

Ce qui choque à prime abord, c'est que l’ensemble des médias qui ont traité cette thématique ont, comme Le Progrès, titré leurs articles avec comme souci unique le fait que des harceleurs étaient cantonnés à une partie de la cour de récréation : “Un coin de la cour réservé aux élèves harceleurs, la méthode d’une école critiquée” pour BFM Lyon, “Dans cette école, une partie de la cour de récréation est réservée aux élèves harceleurs” Francelive.fr, “Polémique dans une école près de Lyon, un coin de la cour de récréation réservé aux élèves harceleurs”, Lyonmag, “Harcèlement scolaire : les enfants “harceleurs” séparés des autres à la récré et rassemblés dans un coin de la cour”, La Dépêche.fr.
Seul semble donc compter le souci vis-à-vis des harceleurs privés d'un peu d'espace pour leur récréation. Les victimes sont totalement invisibilisées... Pourtant elles souffrent semble-t-il depuis un bon moment puisqu'on apprend dans les articles que des mesures ont été mises en place mais que le harcèlement ne s'est pas arrêté pour autant, et que c'est pour cela qu'une telle mesure a été prise à la récréation.
Mais jamais il n’est en effet question des élèves victimes de ces enfants harceleurs, qui pourtant, grâce à la mesure prise par l’école, se voient garantir, au moins pendant la durée de la récréation, un endroit “safe” où leurs agresseurs ne pourront rien tenter contre elles-eux.
Ce type de traitement médiatique du harcèlement scolaire en dit long sur la manière dont fonctionnent nos représentations sur la thématique du harcèlement scolaire. Notre horizon en la matière est malheureusement ainsi fait que, lorsque l’Institution prend des mesures contre les élèves harceleurs, il y a un effet boomerang médiatique qui vient dénoncer des mesures qui seraient contreproductives ou démesurées, avec le spectre de l’isolement et de l’exclusion d’élèves, que le besoin de protection des victimes ne saurait justifier :
On apprend sur BFM Lyon, par exemple, que beaucoup de parents d’élèves comprennent la mesure, mais que “certains […] dénoncent toutefois une punition qui semble excessivement sévère pour des enfants de huit ans et qui ne résout pas le problème du harcèlement scolaire “.
Dès lors, l’Institution est sommée de se justifier :
“La directrice de l’établissement dans un mail adressé à un parent d’élève […] explique qu’il s’agit d’une “mesure de protection pour les élèves ayant subi du harcèlement de la part d’autres élèves de leur classe”.”
On y arrive enfin, après plusieurs lignes, le terme qui aurait dû apparaître en titre est enfin lâché : ce qui se cache derrière cette mesure, c’est bien le “besoin de protection des victimes”. Pourtant, ce besoin de protection ne pourrait être envisagé à travers des mesures d’isolement ou d’exclusion des agresseurs. Là encore, l’Institution doit se justifier :
“Personne n’est isolé, ils jouent entre eux mais nous garantissons aux enfants qui ont été victimes qu’ils sont protégés“, explique Gil Jamon, inspecteur de l’éducation nationale de la circonscription de Givors au micro de BFM Lyon.”
Il doit en rajouter une couche pour nous persuader, sur LaDépêche.fr : “Il ne s’agit pas de créer une zone d’exclusion, pas de coin où l’on mettrait à l’écart les méchants harceleurs, mais une mesure de protection des enfants victimes, avec une organisation en deux espaces.”
D’où vient ce si profond rejet de l’idée d’isoler pendant un temps les élèves qui contreviennent gravement aux règles d’une école ? Craint-on que le fait d’isoler certains élèves ne devienne une simple mesure de facilité prise par l’équipe pédagogique ? Pourtant, selon Sandra Buteau interrogée par BFM Lyon, présidente de la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves du Rhône “sur les activités périscolaires notamment, il arrive que les enfants turbulents soient isolés.” Et pourquoi pas, si préserver la récréation de plusieurs victimes de harcèlement scolaire passe par l’isolement des élèves harceleurs, sur une petite période, conjointement avec un travail de fond réalisé avec ces élèves pour qu’ils arrêtent leurs comportements violents ?
Pendant que dans nos contrées vingt minutes de tranquillité pour les victimes de harcèlement scolaire choquent l’opinion publique, en Finlande, on réfléchit à pouvoir exclure temporairement certains élèves harceleurs d’un établissement afin de préserver les élèves victimes. En effet, dans un article du Monde, « Heljä Misukka, directrice de la politique éducative au sein du syndicat de l’éducation, le martèle : « L’exclusion temporaire doit permettre d’ouvrir de l’aide aux familles pour interrompre le cycle du harcèlement.”
Or malheureusement, actuellement le plus souvent les politiques institutionnelles font encore reposer le changement sur le dos des victimes, que l’on pousse à ne pas aller à la récréation ou à changer d’école lorsque le harcèlement survient. Ceci alors qu’on sait, comme le dit Heljä Misukka, que “si l’élève change d’établissement, on ne résout rien. On déplace le problème. ».
En France, dans un article de La Voix du Nord, la sénatrice du Pas-de-Calais Sabine Van Heghe, qui a présidé une mission d’information sur le harcèlement qui a abouti à 35 propositions simples et concrètes, se plaint du fait que la lutte contre le harcèlement scolaire rencontre peu d’écho sur le terrain et dénonce un manque de volonté publique. Elle explique, par exemple, qu’on ne sait toujours pas “si le dispositif pHARe va effectivement être élargi à tous les établissements” dès la rentrée prochaine. Elle explique, lorsqu’on lui fait remarquer “l’aspect critique de la situation : entre 800 000 et un million d’enfants sont harcelés chaque année”, que “le harcèlement ou cyberharcèlement détruit la santé mentale et physique des enfants, détruit des familles. Et on a l’impression qu’on prend davantage de pincettes avec le harceleur qu’avec le harcelé, qui subit souvent la loi de la double peine en devant déménager ou changer d’établissement.” (c'est nous qui soulignons).
Et de citer l’exemple concret d’un établissement de l’Héninois : “le harceleur d’un ado n’a même pas été reçu par le chef d’établissement ! Au prochain suicide, on va s’émouvoir, et après ? Ça va faire pschitt… Il faut une chaîne de solidarité de tous les acteurs qui entourent l’enfant. Des dispositifs existent, il faut qu’ils soient connus. ».
On le voit donc, et les échos médiatiques de la mesure prise par cette école le montrent encore, nos représentations face aux phénomènes de harcèlement scolaires sont telles que parfois nous en oublions l’essentiel, à savoir que la focale doit être avant tout dirigée vers les victimes, et que notre devoir, en tant que professionnel·le·s est de pouvoir leur garantir d’aller à l’école sans être harcelé·e, ce qui est un droit fondamental malheureusement de loin pas toujours respecté.
Alors rêvons… Lorsque les mentalités auront évolué dans nos régions, peut-être que les médias titreront ce type de mesure ainsi : “Avancée en matière de lutte contre le harcèlement scolaire : une école prône les récréations “safe” pour chaque enfant”.