Ca faisait longtemps ! Enfin pas tant que ça ! Depuis Bac Nord en fait, le film de Cédric Jimenez sorti à l’automne 2021, c’est-à-dire pile un an ! Athéna, le nouveau film de Romain Gavras uniquement sur Netflix depuis mi-septembre, reprend le flambeau du film de banlieue qui dérange et déchaine les critiques de tous bords, telle une armée d’atrides fondant sur Troie !
Depuis la bombe « La Haine » de Mathieu Kassovitz en 1995, le « film de banlieue » jusque-là cantonné au rayon du film social d’auteur (Carné, Godard, Charef, Brisseau parmi les plus connus) fait recette : tant dans les Festivals et remises de prix diverses (La Haine, L’Esquive, Entre les murs, Dheepan, Divines, Les Misérables) que dans les salles (pensons à Intouchable et ses 19,5 millions d’entrées entre autres) et bien sûr l’arène politico-médiatique où le sujet des banlieues est brulant et peut forger des carrières politiques (Sarkozy) ou les éteindre (De Villepin).
La critique autour d’Athena s’apparente de près ou de loin à celle qu’avait nourri La Haine en son temps : une esthétisation de la désespérance et une dénonciation de la violence physique (police, skinheads (déjà !)) puis symbolique (médias, parisianisme) perçue comme une excuse à la violence intrinsèque de la jeunesse des cités versus un ensauvagement insupportable de celle-ci, une vision misérabiliste, enfermante, fatale et stigmatisante pour celles et ceux qui sont désigné(e)s comme tel(les) (« on n’est pas à Thoiry ici » disait déjà Hubert aux journalistes ; « on est enfermés dehors » semblait lui répondre Said perdu dans Paris dans La Haine).
Indépendamment de tout jugement artistique sur le film, force est de constater qu’Athena reprend à son compte et porte à son paroxysme une codification des représentations de la banlieue des grands ensembles dans le cinéma qui s’est construite après-guerre dans la lignée du cinéma social des années 30 (La belle équipe (Duvivier – 1936), Le Jour se lève (Carné – 1939)) et qui structure toujours nos imaginaires aujourd’hui :
- Un urbanisme déshumanisant, pathogène et excluant pour ceux qui y vivent comme ceux qui y viennent, une relation au dedans-dehors la cité toujours conflictuelle et sans autre issue que par effraction
- ici la razzia dans le commissariat et le repli dans la cité-forteresse
- La bande de copains, essentiellement masculins, aux comportements tribaux, envieuse, désœuvrée et inadaptée, pouvant dégénérer à tout instant dans la violence contre soi ou contre les autres (vol, viol, drogue, bagarre, émeute)
- ici la révolte et les barricades de Karim et ses copains, entrainant le soulèvement comme un seul homme de toute une cité-communauté de « bad boys » en uniforme derrière lui
- Des rôles sexués et familiaux stéréotypés où les pères sont absents ou « impuissantés » (malades, handicapés, en prison), les mères éplorées ou « courages » élevant seules leurs enfants, les filles effacées, garçonnes et/ou prostituées et surtout les garçons qui occupent autant le territoire qu’ils crèvent l’écran de leur mal-être
- ici sont mises en scène deux femmes avec des rôles mineurs : la sœur de la fratrie qui soutient la rébellion de Karim contre le grand-frère Abdel (que devient-elle, à quoi sert son personnage peut-on légitimement se demander ?!) et la mère qui pleure ses fils, des fils tous ultra-violents et guerriers (révolté chef de guerre / militaire / dealer)
- Enfin, le « film de banlieue » est souvent le théâtre d’un déchainement des élans tragiques de vie et de mort (Gavras n’a rien inventé en la matière, il l’a magnifié et assumé comme style artistique) du fait des logiques de quartier et d’institutions invalidantes ; systématiquement, les aspirations de cette jeunesse à une extraction de sa condition avorte et conduit in fine à une mort symbolique, sociale et très souvent physique des héros
- ici la mort physique des 4 frères et l’humiliation de tous les jeunes mâles à genoux en boxer devant la police en fin de film qui s’inspire d’une scène réelle de triste mémoire à Mantes-La-Jolie
C’est la récurrence de ces codes depuis 70 ans dans le cinéma, porté dans Athéna à un degré d’intensité rarement atteint, qui crée le sentiment « d’écœurement » exprimé par certaines critiques d’habitants et d’associations de quartiers et qui fait s’interroger la journaliste Yasmina Mady sur Konbini : « Représentation de la banlieue au ciné : Athéna, le film de trop ? ». Même s’ils s’en dédouanent en tant qu’artistes (« un film reste un film » se défendait Cédric Jimenez après les attaques de son film Bac Nord (2021) ; "Je fabrique des images, je n'ai pas de solution. Je ne suis pas un homme politique" lui fait écho Romain Gavras à la Mostra de Venise dans un exercice de meurtre du père Costa Gavras qui en son temps produisit avec sa femme le premier film sur la banlieue ultrasensible, social et non-violent d'un enfant d'immigré ayant grandi dans un grand ensemble, Mehdi Charef (Le Thé au Harem D'Archimède (1985)), la réalité sur laquelle les auteurs de fiction de banlieue portent leur regard et leur art est éminemment politique : récupérée de toutes parts, elle a des incidences très concrètes sur la construction d’un imaginaire social de la sauvagerie nihiliste d’un groupe culturel constitué, le jeune de banlieue, qui surdétermine la peur et le rejet que cette population inspire chez des employeurs, des propriétaires d’appartement, des fonctionnaires de police ou monsieur et madame tout le monde, que l’on ne peut réduire à une bande d’assassins néo-nazis.
Fort heureusement, depuis les années 2000, de nombreux films de banlieue viennent diversifier le regard porté sur les quartiers par les auteurs de cinéma qui en font leur décor. On peut juste regretter que ce ne soit pas les films qui cartonnent au box-office (2 218 308 entrées pour Bac Nord en 2021, 63 276 pour Gagarine sorti la même année) !
Alors pour conclure, n’hésitez pas à voir Athéna, un beau film d’action haletant et saisissant, au jeu d’acteurs époustouflant et émouvant… si par ailleurs vous vous procurez et visionnez aussi (sélection subjective sur les 10 dernières années) : Les héritiers (Mention-Schaar – 2014), Papa was not a Rolling stone (Ohayon – 2014), Brooklyn (Crowlay et Tsan – 2015) , Swagger (Babinet – 2016), , Les grands esprits (Ayache-Vidal - 2017), La source (Lauga – 2019), Gagarine (Liatard et Trouilh – 2021), Une histoire d’amour et de désir (Bouzid 2021), Les promesses (Kruithof – 2021), L’horizon (Carpentier - 2021), Placés (Chikaoui – 2022), le petit dernier La Cour des Miracles (May - Zouhani 2022) et bien sûr les merveilleux documentaires d’Alice Diop comme les productions de l’association Métropop’! qui donnent à voir tellement d’autres facettes et personnages de banlieue que ceux de la cité-ghetto testostéronée, revancharde et biberonnée à l’ultra-violence comme si celle-ci coulait naturellement dans le sang de la jeunesse des cités, sans autre destin possible que de s’y adonner goulument.
Ali Arhab est monteur-réalisateur, Julien Neiertz est socio-anthropologue et consultant
Ils ont cofondé l’association Métropop’ ! qui travaillent dans les quartiers à la réappropriation de leur image par les habitants (cf. La série Les Métroportraits : https://www.youtube.com/user/metropopassociation) et préparent une série documentaire sur les représentations de la banlieue au cinéma.
Pour en savoir plus :
Article de Julien Neiertz sur les représentations de la banlieue au cinéma